France : Gouvernement en sursis et épuisement du pouvoir, clap de fin pour la V. République ?
- Le président Macron est confronté à une crise politique majeure. L’absence de majorité stable, la multiplications des motions de censure et la lassitude du pays traduisent l’essoufflement d’un quinquennat dominé par la survie gouvernementale

Istanbul
AA / Istanbul / Serap Dogansoy
Malgré la reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron reste confronté à une crise politique majeure. L’absence de majorité stable, les motions de censure et la lassitude du pays traduisent l’essoufflement d’un quinquennat dominé par la survie gouvernementale.
- Un gouvernement sous la menace permanente de la censure
À peine reconduit, le gouvernement Lecornu II s’est retrouvé jeudi sous le feu croisé de deux motions de censure déposées à l’Assemblée nationale, l’une par La France Insoumise (LFI), l’autre par le Rassemblement national (RN).
La première, défendue par Mathilde Panot, a obtenu 271 voix, soit 18 de moins que la majorité (289) requise pour renverser le gouvernement.
La seconde, déposée par Marine Le Pen, Éric Ciotti et 56 députés, n’a réuni que 144 voix, confirmant cependant la fragilité mais aussi la survie du pouvoir exécutif.
“C’est important pour tous nos compatriotes que nous ayons une stabilité gouvernementale qui puisse s’installer”, a déclaré Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, saluant le rejet des textes.
Mais derrière cette apparente stabilité, les fractures demeurent profondes. Cinq députés écologistes et communistes se sont abstenus, sept socialistes, un Républicain et un élu du groupe Liot ont voté pour la censure, illustrant la porosité d’une majorité parlementaire épuisée. Alexandra Martin, seule députée LR à soutenir la motion de LFI, a justifié son choix par la volonté de “sortir de ce blocage par un retour aux urnes”. Quant aux trois députés LR, ils ont voté la motion du RN. “Une majorité de marchandage a réussi aujourd’hui à sauver ses places au détriment de l’intérêt national”, a dénoncé Jordan Bardella, président du RN, sur le réseau social américain X. “Tous ceux qui ont refusé la censure seront responsables des souffrances à venir du pays.”
- Macron tente de reprendre la main
Pour apaiser les tensions, Sébastien Lecornu a annoncé la suspension jusqu’au prochaine élection présidentielle en 2028 de la réforme des retraites, pourtant promesse symbolique du deuxième quinquennat Macron, et s’est engagé à renoncer à l’usage du 49.3. Il a également présenté une “conférence nationale sur le travail et les retraites”, assortie d’une contribution exceptionnelle des plus aisés destinée à financer la souveraineté industrielle.
Le président Emmanuel Macron a, lui, justifié cette suspension comme un “compromis pour la stabilité”, reconnaissant devant des députés la portée “douloureuse” de ce choix, imposé par la situation politique.
À la sortie de l’Assemblée, Sébastien Lecornu a simplement lancé aux journalistes :“Au travail !” avant d’ajouter : “Il fallait bien que les débats commencent, et vous l’avez vu, ils vont démarrer.” Mais les oppositions, elles, n’entendent pas relâcher la pression. Mathilde Panot a dénoncé “une victoire à la Pyrrhus” et annoncé le dépôt d’une motion de destitution visant le président Macron. “Le Premier ministre Lecornu comme le président Emmanuel Macron sont en sursis”, a-t-elle déclaré. “Plus tôt que tard, le président devra partir.” “Une résistance unie face au macronisme existe. Pas de soumission à Lecornu, pas de résignation à Macron. Que la macronie finisse.”, a renchéri Jean-Luc Mélenchon sur le réseau social américain X.
- Un pouvoir affaibli et une démocratie sous tension
Ces épisodes illustrent une vérité. Le pouvoir macroniste ne gouverne plus, il survit.
L’exécutif, privé de majorité stable, gouverne par négociation permanente et renoncement successif. Sa popularité s’effondre, 14 % d’opinions favorables selon les derniers sondages, tandis que le projet de budget 2026, censé ramener le déficit à 4,7 % du PIB, suscite de vives tensions sociales et politiques. Pour Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance, “C’est une bonne nouvelle pour le pays. La stabilité doit primer sur les calculs partisans.” Mais à gauche, Aurélie Trouvé (LFI) estime au contraire que “Ce gouvernement est en sursis”, et Louis Boyard (LFI) dénonce “le choix incompréhensible de la direction du Parti socialiste”.
Derrière ces affrontements se dessine un épuisement démocratique, où l’Assemblée nationale devient le théâtre d’une défiance généralisée et d’un macronisme réduit à la survie institutionnelle.
- Des élections à répétition, un pouvoir qui vacille
Cette instabilité trouve ses racines dans les législatives de 2022, où le bloc présidentiel a perdu sa majorité absolue. Depuis, Emmanuel Macron a gouverné dans un climat de confrontation, usant douze fois du 49.3 pour faire passer ses textes, notamment la réforme des retraites, adoptée sans vote en 2023.
Les tensions culminent fin 2023 avec la loi sur l’immigration, soutenue par la droite, qui fractura durablement la majorité. La défaite des macronistes aux européennes du 9 juin 2024 face au RN a précipité une dissolution de l’Assemblée nationale, censée relancer le quinquennat. Mais les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024 n’ont fait qu’aggraver la fragmentation parlementaire. Le pays s’est alors retrouvé avec un Parlement éclaté, une majorité présidentielle affaiblie et des oppositions renforcées.
Depuis, quatre Premiers ministres se sont succédé en deux ans : Michel Barnier, François Bayrou, puis Sébastien Lecornu, nommé le 9 septembre 2025, démissionnaire un mois plus tard avant d’être reconduit par Macron. Un fait inédit sous la Ve République, symbole d’un exécutif en quête d’équilibre impossible.
- Vers la fin d’un cycle institutionnel ?
Cette période de crise politique pose une question plus large. La Ve République est-elle encore adaptée à un paysage politique éclaté ?
Les motions de censure répétées, la fragilité du 49.3 et l’érosion de la figure présidentielle traduisent l’usure d’un système conçu pour la stabilité et désormais paralysé par le pluralisme.
Pour certains constitutionnalistes, la France vit “la fin du cycle institutionnel ouvert en 1958”, la France est plongée dans un malaise démocratique inédit dans l'histoire de la Ve République, marqué par la domination de l’exécutif. Le macronisme, né de la promesse de dépassement des clivages, a abouti à un éclatement durable du champ politique, dont il est désormais la victime.
Le système institutionnel de la Ve République, instauré en 1958, repose sur un équilibre entre un président doté du pouvoir et un gouvernement responsable devant le Parlement. Ce modèle, conçu pour garantir la stabilité après les crises de la IVe République, repose sur la cohérence entre exécutif et législatif. Mais lorsque cette cohérence se brise, comme aujourd’hui, le risque est celui d’un affaiblissement durable du pouvoir exécutif, contraint à gouverner par compromis et par renoncement. Cette fragilité nourrit la défiance démocratique, paralyse la décision publique et met à l’épreuve la capacité du régime à assurer la stabilité qu’il promettait à sa création.
- Une incertitude persistante
Alors qu’un nouveau vote de censure pourrait être déposé dans les semaines à venir, le gouvernement Lecornu avance sur un fil. “Le dialogue social peut éviter la rupture institutionnelle”, veut croire le Premier ministre. Mais autour de lui, les voix se multiplient pour estimer que la France vit un moment de bascule démocratique.
Pour Emmanuel Macron, l’enjeu dépasse désormais la survie d’un gouvernement, il s’agit de préserver la légitimité d’un régime ébranlé par la défiance, l’usure et une opposition déterminée à en finir avec le macronisme.
Le gouvernement a survécu à la censure, mais non à la crise. Et comme l’ont soufflé plusieurs députés en quittant l’hémicycle jeudi soir, “combien de temps encore le pouvoir pourra-t-il tenir sans majorité, sans cap et sans confiance ?”