Monde

France / Détresse étudiante : « 100 euros de bourse pour un loyer de 400 »

- La vidéo émouvante partagée par une étudiante sur les réseaux sociaux dresse un tableau réel et tragique de la précarité de centaines de milliers d'étudiants français.

Ümit Dönmez  | 03.11.2022 - Mıse À Jour : 03.11.2022
France / Détresse étudiante : « 100 euros de bourse pour un loyer de 400 »

France

AA / Paris / Ümit Dönmez


Le coût de la vie est devenu insupportable pour un grand nombre d'étudiants français, alors que l'inflation continue de rogner leur pouvoir d'achat déjà affaibli par des années de précarisation.

La vidéo postée, mardi, sur les réseaux sociaux par Maëlle, témoigne de cette situation tragique.

L'étudiante de 20 ans, à Sciences-Po, est en larmes. Elle lance un cri de détresse en décrivant la précarité de son quotidien. Elle dénonce notamment le montant dérisoire de sa bourse, versée par le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous).

"Ça fait 4 ans que chaque année, ils diminuent ma bourse", lance-t-elle avant d'expliquer qu'elle reçoit 100 euros de bourse mensuelle pour subvenir à ses besoins et payer un loyer de 400 euros. Autant dire que la mission est impossible.

Elle explique également que ses parents, qui vivent à Mayotte, "n'ont pas les moyens" de payer ses études, et qu'en conséquence, elle est obligée de travailler 20 heures par semaine, en parallèle de son cursus, pour tenter de subvenir à ses besoins.

Maëlle précise que son père est au chômage et que, si sa mère a été augmentée, c'est simplement pour faire face au prix de l'alimentaire, très élevé dans les collectivités d'Outre-mer.

"Le fromage coûte 10 euros", rappelle-t-elle, avant de préciser qu'avec un revenu total de 2 000 euros pour deux, ses parents n'ont que le "strict minimum".

Et de noter : "Je travaillais beaucoup, j'étais super fatiguée, mais [...] ils ont encore baissé ma bourse, parce que, je cite : 'mes parents habitent à Mayotte' donc ils ont un salaire plus élevé".

"Mes études en prennent un coup, mais je bosse et je ne dis rien", ajoute-t-elle avant d'interroger : "Combien d'heures je vais devoir travailler pour payer ma vie ? "Une question à laquelle le Crous répond en disant qu'il "ne peut rien faire".

La jeune étudiante avait également demandé un soutien d'urgence au Crous, mais en vain. Ayant travaillé pendant l'été précédent, l'étudiante s'était vu refuser sa demande.

La vidéo émouvante de Maëlle a été visionnée plus de 4 millions de fois sur les réseaux sociaux. Une cagnotte « Leetchi » a été ouverte et 14 000 euros ont été récoltés, menant l'étudiante à mettre fin à la cagnotte et à en reverser une partie à des associations de soutien aux étudiants.



- Des centaines de milliers d'étudiants en détresse

Pour Maëlle, l'avenir s'éclaircit et chacun pourra s'en réjouir. Cependant, la situation de détresse et de précarité, décrite dans sa vidéo, continue d'être le quotidien de centaines de milliers d'étudiants français.

Selon une étude réalisée par l'association « COP1-Solidarités étudiantes », et dont les résultats ont été publiés le 3 octobre dernier, 56 % des étudiants ne peuvent pas manger à leur faim. Ainsi, selon cette enquête, plus d'un 1,5 million d'entre eux sont confrontés à la famine ou à la sous-alimentation, de façon quotidienne.

Dans son rapport publié à la rentrée 2022, l'Union nationale des étudiants de France (Unef) rapporte que le coût de la vie a augmenté, cette année, de 6,47 % en moyenne pour les étudiants, alors que le taux annuel d'inflation s'élevait à 6,1 %, selon les derniers chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

"Cette augmentation représente 428,22 euros en plus par an, soit 35,7 euros en plus par mois dans le budget des étudiant•e•s", rapporte l'association qui rappelle que la situation de précarité des étudiants était déjà catastrophique lors des premières vagues de la pandémie de Covid-19, au printemps 2020.

Dans l'édition 2022 de l'étude intitulée « Précarités étudiantes : deux ans après, rien n'a changé », l'association « Linkee » de lutte contre le gaspillage alimentaire, rapporte que deux étudiants sur trois, soit deux millions d'étudiants, sont en situation d'extrême précarité. Ainsi, après avoir payé toutes leurs factures (loyer et charges, internet, téléphone, abonnement de transport), il ne leur reste pas plus de 50 euros pour subvenir à leurs besoins, notamment à l'alimentation.

"En octobre 2020, les files d’attente étudiantes pour accéder à l’aide alimentaire avaient choqué l’opinion en France et au-delà des frontières hexagonales : elles révélaient la violente précarisation des jeunes du fait de la crise du Covid, leur isolement, leurs conditions de vie misérables et leur désarroi dans un pays qui s’enorgueillit de préparer l’avenir", lit-on dans le propos liminaire de l'association.

"Deux ans après, le constat que nous avons dressé est toujours d’actualité. Pire, de nouveaux étudiants sont venus grossir les rangs des distributions organisées chaque jour par l’association Linkee dans plusieurs villes en France", lit-on encore.

Augmentation des loyers, alimentation de plus en plus chère, insuffisante revalorisation des bourses et les retards dans les versements de celles-ci, ont accentué la précarité des étudiants, qui n'ont plus d'autre recours que de solliciter la solidarité des associations.




- L'Unef dénonce l'insuffisance de l'action gouvernementale

Dans son rapport 2022, l'Unef rappelle la précarisation renforcée des étudiants et dénonce l'insuffisance de l'action gouvernementale pour répondre aux besoins immédiats de ces jeunes en quête d'un meilleur avenir.

"Depuis 5 ans maintenant, les politiques publiques des gouvernements [du Président de la République, Emmanuel] Macron envers les étudiant·e·s sont bien en deçà des attentes. Les étudiant·e·s ont enchaîné de fausses promesses et mesures en demi-teinte, mais leur situation ne va pas en s’améliorant", indique le rapport.

Faisant référence à la revalorisation des bourses de 3,5 % décidée à l'été dernier par le gouvernement, l'association déploré que celle-ci soit "bien en dessous du taux d’inflation". Elle note également "que les aides ponctuelles de 150 euros illustrent le décalage entre l’action du gouvernement et les besoins réels des étudiant•e•s", qui demeurent bien plus élevés, selon l'Unef.

"Au-delà de l’insuffisance criante des politiques publiques en faveur des étudiant•e•s, le gouvernement n’a pas cessé de précariser davantage les jeunes", note encore l'association, mettant en opposition la communication du gouvernement et ses politiques.

"Ces dernières années, le gouvernement n’a cessé de vanter son action en faveur des étudiant•e•s. Pourtant, force est de constater qu’il reste frileux quant à son investissement en aides directes pour les étudiant•e•s", indique l'Unef.

"Alors même qu’il s’agit de la manière la plus efficace de lutter contre la précarité étudiante, le gouvernement sous le premier quinquennat Macron est celui qui a le moins investi ces quinze dernières années, avec 21,13 % d’investissement en moins en aides directes que pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy [2007-2012] et 55,86 % moins que pendant celui de François Hollande [2012-2017]. Et il est également le seul gouvernement à faire perdre de l’argent aux étudiant•e•s à hauteur de 35,81 euros par an par étudiant·e", affirme encore l'association, notant que le coût de la vie étudiante a augmenté de 16,8 %, en termes réels, durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron.

Dans une nouvelle vidéo postée, ce mercredi, sur TikTok, la jeune étudiante Maëlle rapporte qu'elle vient de recevoir un courrier électronique du directeur du cabinet du délégué interministériel qui a visionné sa vidéo. L'étudiante, pleine d'enthousiasme, exprime sa joie et son espoir que le gouvernement va leur "donner des bourses décentes", qui leur permettront de subvenir à leurs besoins sans avoir à recourir à d'incessantes heures de travail ou à la solidarité des associations caritatives ou de généreux donateurs. Affaire à suivre.


Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.