France : À Nanterre, l'État entrave l'agrandissement d'une mosquée
– Un bras de fer oppose la préfecture et la mairie sur l’agrandissement d’un lieu de culte musulman.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Depuis six ans, l’Institut Ibn Badis de Nanterre tente d’étendre sa mosquée en rachetant un bien communal voisin. Soutenu par la municipalité, ce projet se heurte à l’opposition de l’État, qui multiplie les recours juridiques pour bloquer la transaction.
À travers son enquête, Mediapart révèle les multiples manœuvres préfectorales destinées à empêcher la vente du terrain, au motif officiel d’une évaluation financière jugée incomplète. En 2021, le tribunal administratif a annulé une première délibération de vente, avançant que le prix proposé (2,7 millions d’euros) dissimulait une « subvention déguisée » de la municipalité envers l’association gestionnaire de la mosquée. En 2024, une seconde tentative à 3,4 millions d’euros a été à nouveau invalidée par l’État, cette fois pour des raisons liées au coût du désamiantage du site.
Selon Mediapart, la préfecture suit de près ce dossier, au point d’exercer une influence notable sur son traitement médiatique. Des sources préfectorales relayées par des médias du groupe Bolloré dénoncent un « prosélytisme » et des liens supposés de l’institut avec des cercles rigoristes. Ces accusations, contestées par le président de l’association Rachid Abdouni et le maire de Nanterre Raphaël Adam, ne reposeraient sur aucun élément concret. « Si nous posions un problème d’ordre public, pourquoi nos comptes et notre gestion seraient-ils validés par toutes les administrations concernées ? », interroge Abdouni.
L'affaire s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre l’État et les institutions musulmanes, notamment depuis l’adoption de la loi contre le séparatisme. Plusieurs établissements privés musulmans ont récemment subi des restrictions similaires, comme les lycées Al-Kindi à Lyon ou Averroès à Lille. Pour le maire de Nanterre, cette situation illustre une « crispation croissante » de l’État vis-à-vis des lieux de culte musulmans en France.
L’enquête de Mediapart met également en lumière les liens politiques du préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, qui joue un rôle central dans le blocage du projet. Ancien directeur de cabinet de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur jusqu’à l’été 2024, ce haut fonctionnaire est un ancien militant Les Républicains (LR) proche de Xavier Bertrand. Élu local à Asnières jusqu’en 2020, il demeure suppléant d’une députée Renaissance, Nicole Dubré-Chirat. Ces connexions alimentent les soupçons d’une gestion hautement politique du dossier, au-delà des simples considérations administratives.
Malgré les blocages successifs, la municipalité de Nanterre a réitéré sa volonté d’aller au bout du projet. Reste à savoir si une nouvelle manœuvre préfectorale viendra encore ralentir ce chantier, dont l’issue semble autant politique que juridique.