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Fermer VOA, Fulbright et USAID : l'Amérique éteint son soft power (OPINION)

- L'administration Trump, guide par la doctrine "America First/ l'Amérique d'abord ", a réduit les dépenses en développement international et bourses d'études, négligeant l'importance de la crédibilité dans la communication.

Nicholas J. Cull  | 26.03.2025 - Mıse À Jour : 27.03.2025
Fermer VOA, Fulbright et USAID : l'Amérique éteint son soft power (OPINION)

Istanbul

AA / Istanbul

  • L’auteur, Nicholas J. Cull, est professeur de communication et de diplomatie publique à l’Université de Californie du Sud.

De nombreux signes indiquent que la politique internationale entre dans une nouvelle ère, mais peu sont aussi évidents que le renversement stupéfiant dans l’approche des affaires mondiales pratiquée par les États-Unis. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont adopté l’idée que le pouvoir mondial ne repose pas seulement sur la force militaire et économique (le hard power/ puissance dure ), mais aussi sur ce que l’on appelle le "soft power/ puissance douce", ce pouvoir d’attraction qui découle de l’admiration pour sa culture et ses valeurs. Le professeur de Harvard, Joseph Nye, a inventé le terme "soft power" à la fin de la guerre froide, lorsque les États-Unis ont commencé à reconsidérer leur stratégie mondiale à long terme.

À travers le prisme de Nye, les analystes américains ont compris que le succès des États-Unis pendant la guerre froide ne découlait pas seulement de ses atterrissages sur la Lune ou de ses films à succès, mais aussi d’activités renforçant le soft power telles que les bourses d'études financées par l'État pour étudier dans des institutions américaines, les médias internationaux subventionnés par l'État pour diffuser des informations objectives, et les projets de développement destinés à promouvoir la démocratie à l’étranger. Pendant la guerre froide, les gouvernements américains construisaient des pavillons d’expositions, promouvaient une culture commerciale attrayante, entretenaient des relations bilatérales respectueuses et mettaient en avant un mode de vie attrayant. Les gouvernements post-guerre froide, aux États-Unis et ailleurs, cherchaient à faire de même. À mesure que les politiques étaient affinées pour l’ère post-11 septembre, Washington élargissait sa compréhension en liant plus étroitement le développement économique à son cadre politique, baptisant ce mélange de hard et soft power "Smart Power/ Puissance intelligente.".

Parfois, les États-Unis ajustaient même leurs politiques pour s’aligner sur les opinions internationales concernant des sujets comme les relations raciales. Le meilleur exemple de cela fut sous les présidences de Dwight D. Eisenhower et John F. Kennedy, lorsque le gouvernement américain comprit que la meilleure façon de contrer les accusations soviétiques sur le racisme des États-Unis était d'être réellement moins raciste. Mais cela appartient au passé. Il semble que ces jours de théorie et de pratique du soft power soient révolus. Dans une série de décisions stupéfiantes, le président américain Donald Trump a ordonné la suspension de la plupart des actions de soft power du gouvernement américain et la fermeture de ses mécanismes. Des programmes comme Fulbright, Voice of America et d'autres ont été quasiment abandonnés. L'outil principal du smart power de l’USAID n’est désormais qu’un souvenir. Que signifie cela ?


  • Priorité au budget au détriment du soft power

La doctrine qui sous-tend la politique de Donald Trump repose sur le principe de "America First/ l'Amérique d'abord", selon lequel consacrer les ressources publiques au développement international ou aux bourses pour étudiants étrangers est un gaspillage de fonds qui devraient être investis sur le territoire national ou utilisés pour des réductions d'impôts. Le secrétaire d'État Marco Rubio estime que chaque aspect de sa politique étrangère doit contribuer directement à la sécurité des États-Unis. Pourtant, cette approche est erronée. Elle ne reconnaît pas qu'une image positive sur la scène internationale n'est pas un luxe, mais un élément essentiel de la sécurité.

Les généraux américains en sont conscients. L’amiral Mike Mullen avait d’ailleurs souligné que chaque dollar non dépensé en diplomatie devrait l’être en munitions. Les adversaires des États-Unis le savent aussi : à chaque utilisation de la désinformation, de la manipulation ou du sabotage pour discréditer un rival, ils illustrent l'importance de la "sécurité réputationnelle". Les outils du soft power étaient tout aussi essentiels à la sécurité des États-Unis que leurs porte-avions ou leurs forces marines. Plus encore, une réputation ne se construit pas uniquement quand on le décide. Le monde continuera d’observer et d’évaluer les États-Unis à travers leurs exportations, leur culture et leurs politiques, même sans l’influence des outils de soft power. La comparaison avec d’autres nations se poursuivra, mais les États-Unis ont réduit leur capacité à orienter cette perception. Si d’autres pays prennent le relais en promouvant des normes internationales élevées et une vision crédible d’un avenir meilleur, ils hériteront de l’influence que Washington possédait autrefois. Autrement dit, la dynamique du soft power et de la réputation internationale demeure, mais les États-Unis ne sont plus l’étoile centrale de cet univers — et pourraient même en devenir un obstacle.

La suppression de Voice of America et des autres médias financés par le gouvernement américain est une décision particulièrement contre-productive. Lors du premier mandat de Trump, la Maison-Blanche avait été irritée par des reportages critiques à son égard. L'administration n'a pas compris qu'une communication efficace repose sur la crédibilité et qu’un média dont les journalistes sont libres de critiquer leur propre gouvernement est bien plus influent qu’un canal entièrement aligné sur une ligne officielle. Il est difficile d’imaginer qu’un État qui se veut le défenseur de la démocratie et de la liberté d’expression offre ainsi un cadeau de silence aux régimes qui cherchent à museler la dissidence. L’administration Trump semble pourtant croire que son "rayonnement culturel et ses valeurs" continueront d’attirer l’admiration mondiale — non pas des défenseurs de la liberté d'expression, mais des autocrates et des oligarques. Quelque chose d’essentiel a été perdu.

* Les opinions exprimées dans cet article sont propres à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale d’Anadolu.


* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba

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