Fatigués et inquiets : Les habitants de Lampedusa s'estiment abandonnés mais continuent de venir en aide aux migrants
- Des responsables "continuent de venir avec les promesses habituelles mais rien ne change", déclare un insulaire à Anadolu

Roma
AA / Lampedusa, Italie / Giada Zampano
Donato Sparma, 54 ans, tient une petite échoppe de fruits dans l'une des ruelles de l'île italienne de Lampedusa et n'a jamais hésité à en offrir aux migrants affamés qui y débarquent après de périlleuses traversées en mer.
Lampedusa, une île d'à peine 20 kilomètres carrés, est plus proche de l'Afrique du Nord que de l'Italie continentale. Ainsi, depuis quelques années, elle est en première ligne face à la crise migratoire en Europe. Son petit centre d'accueil est constamment débordé et l'économie touristique de l'île a du mal à coexister avec les flux de migrants.
Les habitants de l'île, qui étaient pour la plupart prêts à tendre la main aux milliers de migrants arrivant à Lampedusa avec l'espoir d'une vie meilleure en Europe, s'estiment aujourd'hui abandonnés.
"Nous sommes fatigués et très inquiets", a déclaré Sparma à Anadolu par une chaude journée de septembre, alors que l'île faisait à nouveau face à une nouvelle urgence migratoire et à des milliers d'arrivées quotidiennes.
"Nous avons toujours aidé les migrants. Je leur ai souvent offert des fruits et de la nourriture, mais la situation est difficile et nous ne voyons pas de changement", a-t-il ajouté.
Les habitants de Lampedusa sont habitués aux imposants flux migratoires en provenance de Libye et de Tunisie, qui se sont intensifiés depuis l'avènement du printemps arabe.
Mais aujourd'hui, ils ont l'impression que le gouvernement italien et les autorités de l'UE n'apportent aucune solution durable.
"Ils continuent de venir ici avec leurs promesses habituelles. Mais rien ne change", a déclaré Sparma, rappelant les récentes visites de la présidente du Conseil des ministres, Giorgia Meloni, et de son vice-président, Matteo Salvini, chef du parti de droite, la Ligue, et fervent partisan de la lutte contre l'immigration.
Une fois de plus, à la mi-septembre, l'île, qui ne compte que 6 000 habitants, a été submergée par des dizaines de milliers de migrants.
L'interaction entre les migrants et les habitants s'est déroulée le plus souvent sans problème. Mais les habitants de Lampedusa se souviennent encore de l'explosion de violence inattendue de septembre 2011, lorsque des migrants ont mis le feu à des matelas dans le centre d'accueil de l'île, pour protester contre les rapatriements forcés.
Trois bâtiments avaient alors été détruits et des affrontements avaient éclaté entre les manifestants, la population locale et la police.
"Je me souviens de cette époque", a déclaré Sparma, ajoutant : "Nous ne voulons pas que cela se reproduise".
** Ils ne veulent pas travailler
Au Panificio Luca, un établissement offrant des spécialités locales telles que les "panelle" et les "arancini" - beignets de pois chiches et boulettes de riz siciliens -, les travailleurs locaux sont tout aussi divisés que l'Europe sur les solutions à apporter au problème de l'immigration.
Une dame d'âge mûr, qui a requis l’anonymat, a déclaré que les habitants ont toujours aidé les migrants en cas d'urgence, mais qu'une approche plus globale et plus complexe est aujourd'hui nécessaire.
Une autre, plus jeune, âgée d'une vingtaine d'années, a une opinion plus tranchée sur les personnes qui quittent l'Afrique du Nord pour une nouvelle vie en Europe : "Ils finissent par percevoir un peu d'argent du gouvernement, puis ne font rien. Ils ne veulent pas travailler, voilà la vérité", a-t-elle déclaré.
Le parti d'extrême droite de Meloni, Fratelli d’Italia (Frères d'Italie), a remporté les élections nationales en septembre dernier en promettant de juguler l'immigration massive en Italie.
Or, le nombre d'arrivées par bateau en provenance d'Afrique du Nord a augmenté, avec plus de 130 000 migrants recensés par le ministère de l'intérieur depuis le début de l'année, soit près du double par rapport à la même période en 2022.
À la suite de la dernière crise de Lampedusa, Meloni a appelé l'UE à faire davantage pour soulager la pression qui pèse sur Rome.
Bruxelles a accepté d'intensifier ses efforts et a annoncé qu'elle commencerait à débloquer des fonds destinés à la Tunisie, dans le cadre d'un accord visant à endiguer la migration irrégulière en provenance de ce pays.
Le parti anti-immigration de Salvini, la Ligue, s’en est récemment pris au gouvernement allemand pour le financement d'une ONG caritative effectuant des sauvetages en Méditerranée, qualifiant ce financement d'"ingérence très grave" dans les affaires italiennes.
Salvini, qui a fermé les ports italiens aux navires de sauvetage de migrants lorsqu'il était ministre de l'Intérieur en 2019, a fait pression pour le rapatriement des migrants non éligibles à l'asile, notamment en construisant de nouveaux centres de détention et en prolongeant la durée de la détention.
La semaine dernière, le gouvernement de droite a publié un décret indiquant que les migrants en attente d'une décision d'asile devraient payer une caution d'environ 5 000 € (5 250 $), sous peine d'être placés en centre de détention.
*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj
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