Entre condamnation pénale et solidarité politique : le mal français de « l'entre-soi »
- Alors que la défiance des Français envers les politiques condamnés pour corruption ne cesse de croître, les déclarations du ministre de la Justice en soutien à certains élus condamnés suscitent des interrogations dans l’opinion publique
Istanbul
AA / Istanbul / Ben Amed Azize Zougmore
Entre une opinion publique exaspérée et une classe politique prompte à la solidarité entre pairs, le fossé se creuse. Selon le dernier baromètre Ipsos-Cevipof rendu public en décembre 2024, la défiance des Français envers leurs élus atteint des seuils critiques, sur fond de sentiment d'impunité généralisé.
Les chiffres étaient alors sans appel : 63 % des sondés considèrent que « la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus ». Plus frappant encore, 83 % des Français jugent que leurs représentants « agissent principalement pour leurs intérêts personnels », un constat qui souligne une rupture de confiance profonde avec le système représentatif.
Ce climat de suspicion est vraisemblablement d’actualité car régulièrement alimenté par la persistance d'une solidarité institutionnelle, même face aux décisions de justice. Le cas récent de Damien Castelain, président de la Métropole européenne de Lille (MEL), en est sans doute l'illustration.
Condamné en appel à une peine de deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire pour abus de confiance et détournement de fonds publics, il a toutefois bénéficié du soutien public du ministre de la Justice. « Qu’il soit assuré de mon soutien dans ce moment difficile pour lui, sa famille, ses collègues élus et ses collaborateurs », a déclaré le ministre, se défendant de commenter le fond de l'affaire pénale.
Gérald Darmanin n'en est pas à sa première sortie publique où il affiche son soutien à un homme politique condamné. Le garde des Sceaux n’avait pas hésité à effectuer une visite de “45 minutes” à l’ancien président Nicolas Sarkozy, alors incarcéré à la prison de la Santé à cinq ans de prison avec mandat de dépôt à effet différé, assorti de l'exécution provisoire, dans l'affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne.
Dans une lettre au ministère de la Justice, signée par un collectif de 28 avocats, cette visite avait été qualifiée “d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs”.
Pour les observateurs de la vie publique, ce grand écart entre l’indignation citoyenne et la posture des responsables illustre un « paradoxe français ».
D'un côté, l'arsenal législatif s'est durci depuis les lois sur la transparence de 2013 et la moralisation de 2017. De l'autre, les réseaux de fidélité politique semblent souvent prendre le pas sur l'exigence d'exemplarité, renforçant chez les électeurs l'idée d'une justice à deux vitesses.
Cette « culture de l'entre-soi » est perçue par l'opinion non plus comme une courtoisie privée, mais comme une validation tacite de pratiques illégales, alimentant mécaniquement la fracture entre les citoyens et les élites.
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