Politique, Monde

Dette, notation, croissance : le compte à rebours d’une crise française

– L’impossibilité de voter un budget 2026 alimente le spectre d’un choc financier inédit

Ümit Dönmez  | 08.10.2025 - Mıse À Jour : 08.10.2025
Dette, notation, croissance : le compte à rebours d’une crise française

Ile-de-France

AA / Paris / Ümit Dönmez

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L’État français est sans gouvernement effectif, sans budget voté pour l’année 2026, et sous la menace directe d’une dégradation supplémentaire de sa note souveraine. Depuis la démission, ce lundi, de Sébastien Lecornu, Premier ministre par intérim, aucune majorité stable n’a pu se constituer.

La situation économique, elle, ne peut pas attendre. La croissance est en berne : le FMI anticipe 0,6 % en 2025, l’OCDE prévoit un déficit public de 5 % du PIB en 2026. La dette publique dépasse les 113 % du PIB et pourrait franchir 116 % dès l’an prochain selon Scope Ratings. Les agences de notation s’alarment : Fitch a abaissé la note souveraine de la France à A+, S&P maintient la sienne à AA- avec perspective négative. Dans ce contexte, tout nouveau signe d’instabilité budgétaire pourrait enclencher une hausse du coût de la dette, une perte de confiance des investisseurs et un effet domino sur l’économie réelle.

Interrogé par Anadolu, le député LIOT, Harold Huwart, résume le risque : « Laisser le pays sans budget, sans perspective de majorité politique, c’est exposer notre pays à une crise financière majeure qui aura des conséquences sur l’emploi et sur l’économie. »

Son collègue Charles de Courson, ancien rapporteur de la commission des Finances, respecté pour la sagesse de ses analyses, abonde : « On le paiera à un coût de plus en plus élevé d’une dette qui continue à galoper, donc rendant ingouvernable ce pays. »

Dans l’impasse politique actuelle, une hypothèse revient avec insistance : recourir à une loi spéciale. Ce mécanisme permettrait à l’État de prolonger le fonctionnement des administrations en reconduisant les crédits votés de l’année précédente, c’est-à-dire sans adopter de nouveau budget. Elle garantit la continuité des services publics (ce qu’on appelle les « services votés ») mais interdit toute création de dépense nouvelle ou mesure fiscale inédite. Ce dispositif, prévu par la Constitution et la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) n'est pas d’un outil de gouvernance normale, mais d’un pis-aller en cas de blocage total.

C’est précisément ce que dénonce Charles de Courson : « Faire une loi spéciale, c’est reconnaître qu’on n’est pas capable de faire le budget. […] Ça veut dire qu’on ne fait plus rien, on ne prend plus aucune décision. »

Cette option est également rejetée par Laurent Panifous (LIOT), qui plaide pour une issue politique : « Plutôt qu’une loi spéciale, je préfère que nous puissions construire collectivement un budget de compromis, un budget de stabilité, un budget de transition. » Le député défend l’idée que l’Assemblée peut encore, à défaut d’un gouvernement majoritaire, voter un budget provisoire, le temps de finir le mandat présidentiel : « Il reste 19 mois jusqu’à la présidentielle. […] On doit être capable, ici, de construire un budget. »

Mais pour d’autres, cette voie est illusoire. Le président LFI de la commission des Finances, Éric Coquerel, ne cache pas son jugement : « Ce que nous souhaitons, c’est une présidentielle anticipée. » Il estime que le blocage vient de l’Élysée, que « le départ d’Emmanuel Macron » est la condition d’une sortie de crise. Il évoque même une motion de destitution, à l’étude dans son groupe.

Sur le plan technique, la loi spéciale permettrait théoriquement de faire fonctionner l’État en 2026 sans budget voté, mais elle ne règle rien politiquement, ni vis-à-vis des agences, ni sur le plan des réformes. Elle figerait les finances publiques dans un moment où la trajectoire de la dette n’est déjà plus soutenable, et où la croissance ne peut pas se contenter d’une gestion a minima.

Au cœur de la crise se trouve une double perte de confiance : celle des investisseurs, et celle des citoyens. Une dette qui progresse, des agences en alerte, des députés divisés et un exécutif silencieux — tout laisse entrevoir une année 2026 sous très haute tension, dans un contexte international instable et un appareil d’État qui semble déjà fonctionner en mode dégradé.

La France n’est pas (encore) en crise de solvabilité. Mais la panne politique actuelle, si elle se prolonge, pourrait se transformer en crise de crédibilité budgétaire. Or la confiance, une fois perdue, se regagne rarement sans heurts. Entre relance politique et réponse économique, le pays joue désormais contre la montre.


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