Des sociétés militaires privées compromettent la sécurité des pays arabes (analyse)
-De « Blackwater » à « Wagner » en passant par « Black Shield », les guerres arabes seront- elles privatisées ? - Des compagnies israéliennes et d'autres proches de l'Iran ont la mainmise sur la sécurité de plusieurs pays arabes

Istanbul
AA / Istanbul
Des sociétés militaires privées transfrontalières exploitent les crises sécuritaires qui secouent nombre de pays arabes pour s'engager dans le « marché de la mort », en contrepartie de milliards de dollars qui leur sont versées ainsi qu’aux mercenaires qu’elles engagent dans plusieurs régions de la planète, afin de mettre à profit leur expertise militaire dans des guerres et des combats, sans éthique ni principe.
Depuis l'Irak jusqu’en Libye et en passant par la Syrie et le Yémen, plusieurs compagnies militaires privées, en particulier, américaine, russe et émiratie, œuvrent pour le compte d'Etats et d'armées qui visent à réduire le volume de leurs dépenses matérielles et les pertes humaines, ainsi qu’à éviter toute gêne diplomatique ou une reddition de comptes au plan juridique, notamment, lorsque des crimes de guerre sont commis. Ces pays s'emploient à se dérober à ce genre de responsabilités en les faisant assumer à des sociétés privées.
Plusieurs compagnies militaires privées évoluent dans le Monde arabe, avec leurs ramifications et extension dans nombre de pays et sous des appellations différentes.
Des sociétés sécuritaires locales et internationales, dont le nombre est estimé à plusieurs centaines, et dont l'activité diffère des compagnies militaires, en termes de tâches et de missions qui leur sont dévolues, pullulent aussi dans cette région du monde.
Alors que les compagnies militaires accomplissent des missions de combat et d'embrigadement de mercenaires pour appuyer les armées et les milices armées sur le terrain, les sociétés de sécurité focalisent leur action sur la protection des personnalités et des installations, la formation, l'instruction, le conseil sécuritaire, la guerre cybernétique et les activités de renseignement. Il n'en demeure pas moins que par moments les missions des sociétés militaires avec celles des compagnies de sécurité s’enchevêtrent, voire se complètent.
Le ministère français des Affaires étrangères évalue le montant des revenus des compagnies sécuritaires privées à quelque 400 milliards de dollars, selon une étude élaborée par le chercheur jordaniens Walid Abdelhay, dans laquelle il a indiqué que le total des bénéfices de ces sociétés dans le Monde arabe s'élève à 45 milliards de dollars, entre 2011 et 2014.
Parmi les plus célèbres compagnies militaires qui engagent des mercenaires pour se battre dans les foyers de tensions dans le Monde arabe figurent 3 sociétés privées. Il s'agit de l'américaine « Blackwater », de la russe « Wagner » et de l'émiratie « Black Shield ».
- « Blackwater » l'américaine
Il s'agit d'une compagnie américaine à la réputation sulfureuse, qui a été impliquée dans des meurtres contre des civils irakiens, et dont quatre de ses membres ont été condamnés à la prison à perpétuité et à des peines de 30 ans de réclusion pour avoir tué 14 civils irakiens, dont deux enfants, dans la capitale Bagdad en 2007. Ce massacre avait suscité une colère internationale, en particulier, en raison de l'utilisation de mercenaires dans les guerres.
Cependant, le président américain Donald Trump avait accordé, le 22 décembre dernier, son pardon aux quatre éléments de « Blackwater », ce qui a provoqué la consternation et la colère en Irak.
Le nom de « Blackwater » a été connu lors de l'occupation par les Etats-Unis de l'Irak, en 2003, à la faveur de l'obtention par la compagnie de contrats de sécurité dans le pays.
La société a été créée en 1997, conformément à la législation américaine, par Erik Prince, ancien officier des Marines.
Elle compte dans ses rangs des mercenaires parmi les retraités et les éléments des forces spéciales issues de différentes régions du monde, en contrepartie d'émoluments conséquents. Elle offre ses services sécuritaires et militaires aux gouvernements et aux individus après l'approbation de l'Administration américaine.
A cause des scandales qui l’ont pourchassé, notamment, lors de l'occupation de l'Irak, « Blackwater » a été rebaptisée « Xe Service », en 2009, avant de devenir « Academi » en 2011, après avoir fusionné avec d'autres compagnies concurrentes. Cette société est désormais sous l'emprise de la holding « Constellis » qui évolue dans 20 pays et qui emploie plus de 16.000 personnes selon les données fournies par cette entreprise.
Sous sa nouvelle appellation, « Blackwater » s'active, actuellement, au Yémen. Selon plusieurs médias, dont « The New York Times », le fondateur de la société, Erik Prince, a signé une série de contrats avec l'Arabie Saoudite et les Emirats pour combattre aux côtés des forces de la Coalition arabe.
En 2015, le nombre des éléments engagés par l'entreprise s'élevait à 1500 mercenaires en provenance de la Colombie, du Mexique, de l'Afrique du Sud, du Panama, du Salvador et du Chili. Un nombre important parmi eux ont péri dans des combats, en particulier, dans la ville yéménite de Ta’iz.
- « Wagner » la Russe
Le groupe russe « Wagner » fait partie des plus célèbres sociétés militaires exerçant dans la région arabe après le déclin de la compagnie américaine « Blackwater ».
L'activité de Wagner a débuté dans le monde arabe en Syrie, depuis 2014, alors que le groupe supervisait deux sociétés sécuritaires appelées les « Snipers de Daech » et « Sanad (Appui) » pour les services de sécurité.
« Wagner » procédait à la formation des éléments des deux sociétés afin de protéger les investissements russes, en particulier, les mines de phosphate et les champs de pétrole et de gaz dans la province de Deir ez-Zor (Est).
Parmi les preuves de l'implication de « Wagner » et des « Snipers de Daech » dans les combats figure l'élimination de 250 de leurs éléments, ainsi que des combattants de l'armée du Régime et des forces supplétives, dans un raid aérien américain en date du 8 février 2018.
Une vingtaine d'éléments de la société « Snipers de Daech » ont été tués lorsqu'ils tentaient de progresser pour prendre le contrôle des champs pétroliers à l'est de l'Euphrate, alors que ces champs étaient sous l'emprise de l'organisation terroriste de Daech.
Wagner s'appuie sur les mercenaires de « Sanad » et des « Snipers de Daech » dans ses combats, que ce soit à l'intérieur de la Syrie ou lors du transfert de centaines d’entre eux vers la Libye pour combattre aux côtés du général putschiste Khalifa Haftar.
Cependant, Wagner ne s'appuie pas uniquement sur des mercenaires loyaux au régime de Bachar al-Assad, mais compte dans ses rangs une longue liste de nationalités, russe, serbe, ukrainienne, moldave, arménienne, voire même kazakhe.
Compte tenu du calme qui prévaut sur le front syrien au cours des dernières années, Wagner a focalisé son attention sur la Libye, en particulier dans les provinces de Syrte et d’al-Jofra (centre) et ses activités se sont étendues jusqu'au sud-ouest, région considérée historiquement par la France comme étant une zone placée sous son influence.
L'annonce, en 2020, de la construction d'une base maritime russe à Port-Soudan sur les rives de la Mer rouge, est de nature à attirer un plus grand nombre de mercenaire de Wagner vers l'Afrique de l'est.
« Wagner » a entamé ses activités au Soudan, depuis 2018, sous la couverture de la compagnie « M Invest » pour l’exploration aurifère. Mais, les Etats-Unis ont inscrit Wagner sur la liste des sanctions, en date du 15 juillet 2020, l'accusant de tenter de saper le processus démocratique au Soudan.
Washington a infligé des sanctions à l'endroit de Yevgeny Prigozhin, président du groupe « Wagner », plus connu sous le sobriquet du « cuisinier de Poutine », de même que les Etats-Unis ont inscrit cette société sur la liste des sanctions.
- « Black Shield » l’émiratie
Cette société sécuritaire n'était pas connue avant que n’éclate le scandale des jeunes soudanais transférés aux Emirats pour travailler dans des sociétés de gardiennage privées, avant qu'ils ne soient formés et entraînés pour combattre en Libye en tant que mercenaires aux côtés des milices du général putschiste Khalifa Haftar, ainsi qu'au Yémen.
En dépit du démenti formel apporté par « Black Shield » au sujet des accusations dévoilées par le journal britannique « The Guardian », en date du 25 décembre 2019, il n'en demeure pas moins que cette affaire avait suscité la colère des soudanais, dont des centaines sont sortis protester devant l'ambassade émiratie à Khartoum, au mois de juillet dernier.
De plus, le conseil juridique des victimes soudanaises, Omar el-Abid, avait déclaré, au début du mois de décembre écoulé, le lancement de préparatifs pour déposer des plaintes judiciaires régionales et internationales contre 10 individus émiratis, soudanais et libyens, pour « traite d'êtres humains ».
Selon un rapport rendu public par l'organisation internationale « Human Rights Watch », et mis en ligne sur son site électronique, la société émiratie a engagé plus de 270 jeunes soudanais pour travailler aux Emirats en tant que gardiens. Leurrés, ces jeunes se sont retrouvés, à leur insu, au terme d’une longue série de procédures, dans le « brasier de la guerre en Libye ».
Ces informations ont été dévoilées sur la base de rencontres directes avec ces jeunes soudanais.
Il ressort également du rapport que ces jeunes se sont trouvés, côte-à-côte avec les combattants libyens loyaux à Haftar, après qu'ils aient été convaincus que leur mission consisterait à protéger des installations pétrolières dans la zone du « Croissant pétrolier », mais ils ont été progressivement impliqués et engagés dans des actes de guerre.
- Israël et l'Iran investissent dans les sociétés de sécurité
A côté de « Blackwater », de « Wagner » et de « Black Shield », plusieurs autres sociétés militaires et sécuritaires privées évoluent dans les pays arabes, à l'instar de la compagnie G4S.
Créé au Danemark en 1901, la société G4S, dont le siège se trouve actuellement au Royaume-Uni, dispose de la plus grande armée privée au monde et compte dans ses rangs 533 mille employés de différentes nationalités.
Les activités de cette compagnie sont réparties entre 85 pays, dont 14 sections dans des pays arabes et 9 dans les pays du Golfe, en particulier, aux Emirats.
G4S s'est chargée de quelques missions dans la célèbre prison de Guantanamo et ses recettes annuelles s'élèvent à 8,8 milliards de dollars selon la radio française RMC.
Néanmoins, les multiples scandales et la crise de la Covid-19 ont enlisé l'entreprise dans une crise financière aiguë, et plusieurs concurrents internationaux s'activent pour la racheter.
Ce géant mondial emploie 8.000 personnes en Israël et se charge du gardiennage et de la protection de la prison de Ofer et de la gestion de checkpoints en Cisjordanie. Cependant, et compte tenu des pressions exercées par la campagne de boycott d'Israël (BDS), G4S a décidé de se retirer de ce pays.
Le chercheur israélien en matière de sécurité, Yossi Melman a révélé que dix compagnies sécuritaires israéliennes privées, dont la société AGT, établie en Suisse, évoluent dans des pays arabes. Il s'agit de l'Irak, du Koweït, du Bahreïn, du Qatar, des Emirats, du Sultanat d'Oman, de l'Arabie Saoudite, de la Jordanie, du Liban et du Yémen.
Avec la normalisation par certains pays de leurs relations avec Tel-Aviv, il est attendu que des sociétés sécuritaires s’installent massivement dans les pays du Golfe, et à leur tête les Emirats, pour offrir leurs services dans les domaines de la sécurité cybernétique et de gardiennage.
Selon plusieurs médias, les milices chiites qui évoluent en Irak et en Syrie sont considérées comme étant des sociétés sécuritaires privées relevant de l'Iran. Mais, il s'agit là de « mercenaires idéologiques » originaires du Pakistan, de l'Afghanistan et de l'Irak pour combattre, non pas seulement pour l'argent, mais également pour la communauté et la secte.
Ces milices proches de l’Iran ont créé des sociétés sécuritaires en Syrie. Il s’agit de « al-Arin (Tanière) pour les services de gardiennage », de « al-Dera’ (Bouclier) pour les gardes sécuritaires » et de « al-Fajr (Aube) pour les services de gardiennage et de protection ».
L’ampleur prise par le rôle des sociétés militaires et sécuritaires mondiales, au détriment des armées arabes classiques, est de nature à réduire comme peau de chagrin l’autonomie de décision de ces pays, tout en les laissant exposés et fragiles au plan sécuritaire face à d’éventuels menaces à venir.
*Traduit de l’Arabe par Hatem Kattou
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