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Des figures musulmanes fichées par les renseignements français pour leurs opinions politiques

- Notamment des figures associatives et des journalistes tels que la correspondante de l'Agence Anadolu, Feïza Ben Mohamed, ayant exprimé des opinions favorables au candidat de gauche, Jean-Luc Mélenchon, lors de la dernière élection présidentielle

Ümit Dönmez  | 31.08.2022 - Mıse À Jour : 31.08.2022
Des figures musulmanes fichées par les renseignements français pour leurs opinions politiques

France

AA / Paris / Ümit Dönmez

Plusieurs personnalités musulmanes françaises ont été fichées par les renseignements français pour leurs opinions politiques, supposées ou réelles.

C'est ce que révèle un article publié ce mardi 30 août par « Europe 1 », dans lequel la chaîne de radio rapporte qu'elle s'est procurée "une note confidentielle du renseignement territorial" français.

Europe 1 indique que ce document a été "diffusé à une poignée de hauts fonctionnaires, de membres du gouvernement et jusqu’à l’Élysée", et qu'il a été rédigé le 17 mai 2022, trois semaines après le second tour de l’élection présidentielle, qui avait scellé la victoire du président sortant Emmanuel Macron.

Selon cette note citée par le média, les renseignements territoriaux estiment que Jean-Luc Mélenchon, candidat de gauche à la dernière élection présidentielle française et éliminé au premier tour après être arrivé en troisième position derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen, aurait bénéficié du "vote musulman", du fait du soutien des "influenceurs et activistes islamistes" ayant "salué" et "relayé" ses "prises de position".

La note des renseignements territoriaux cite un grand nombre de figures associatives musulmanes françaises telles que l'avocat Rafik Chekkat, membre de l’association Agir contre l’islamophobie (ACI) et la journaliste indépendante Siham Assbague, tous deux décrits comme des "islamistes", notamment pour avoir pris position contre l'islamophobie ou encore le colonialisme.

Outre ces deux figures musulmanes, cette note des renseignements fait également référence Vincent Souleymane, Hani Ramadan et Farid Slim, tous décrits comme des "prédicateurs" ou "imams" "fréristes".

Feïza Ben Mohamed, journaliste à l'Agence Anadolu, fait également partie des personnes fichées par les renseignements territoriaux pour leurs opinions politiques réelles ou supposées.

- Double fichage de Feïza Ben Mohamed

Ainsi, Europe 1 révèle que les renseignements territoriaux français ont fiché Feïza Ben Mohamed en tant que journaliste "pro-Erdogan", en référence au président de la République de Türkiye, Recep Tayyip Erdogan, du seul fait que cette dernière travaille pour une agence d'information internationale dont le siège social est basé en Türkiye.

Europe 1 note qu'au-delà de ce fichage de Ben Mohamed pour son supposé positionnement "pro-Erdogan", celle-ci a également été fichée pour avoir "publié une série de tweets justifiant son choix de voter pour Jean-Luc-Mélenchon, qu’elle considère comme le seul candidat crédible n’ayant pas pour ambition de se servir des musulmans pour faire oublier les problèmes de notre pays".

Ainsi, une citoyenne française musulmane, exprimant, à titre individuel, son positionnement politique, est donc doublement fichée par les renseignements territoriaux de son pays pour ses opinions politiques exprimées (en dehors de son travail de journaliste) ou supposées.

- "Islamogauchisme"

Les renseignements territoriaux français ont ainsi fiché un grand nombre de personnalités musulmanes françaises pour avoir exprimé leur soutien à un candidat légitime à l'élection présidentielle française, en l'occurrence à Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France Insoumise (LFI), qui avait, plusieurs fois, pris position contre l'islamophobie en France.

À travers le fichage de ces personnalités musulmanes ayant soutenu un candidat de gauche, les renseignements territoriaux ont fait poindre la théorie de l'« islamogauchisme », chère à l'extrême droite de Marine Le Pen et d'Éric Zemmour, mais aussi à l'Exécutif.

À la fin de l'année 2020, cette notion, diffusée depuis 2002 par l'extrême droite, avait connu une forte exposition médiatique, alors que Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'Éducation nationale, et Dominique Vidal, l'ex-ministre déléguée à l'Enseignement supérieur, avaient utilisé le terme pour dénoncer la proximité et le laxisme supposés de certains hommes politiques français de gauche envers l'islam.

Ces membres du gouvernement français avaient également porté leur accusation contre des universitaires et chercheurs français, déclarant que "les universités sont gangrenées par des universitaires qui s’allient aux islamistes pour diviser la France".

Dans un communiqué publié en février 2021, notamment en réaction à une déclaration de Dominique Vidal, le Centre national de recherche scientifique (CNRS) avait souligné que "l’islamogauchisme, slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique".

En outre, le CNRS avait fustigé, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur la notion de « race », ou tout autre champ de la connaissance, à travers cette catégorisation d'"islamogauchiste".

- Ciblage et harcèlement ininterrompu

Il est à rappeler qu'en 2019, le groupuscule d'ultradroite « Français de souche », avait publié, sur son site Internet, une liste de plusieurs centaines de noms de personnalités accusées d’être "islamogauchistes". La journaliste de l’Agence Anadolu, Feïza Ben Mohamed faisant également partie des noms listés.

À la fin juillet, le CIPDR (Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation), un organe étatique français directement rattaché à Matignon, avait déjà pris pour cible, notamment sur les réseaux sociaux, plusieurs figures françaises de la lutte contre l’islamophobie, dont la journaliste Feïza Ben Mohamed.

Suite à ce ciblage étatique, Ben Mohamed avait subi une vague de harcèlement, d'agression verbale et d'insultes sur les réseaux sociaux, qui avait duré plusieurs semaines et avait affecté sa vie personnelle et professionnelle.

Outre Europe 1, d'autres médias français tels que « Valeurs Actuelles » et « Marianne » avaient déjà ciblé la correspondante de l'Agence Anadolu.

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