Carnaval de Rio: Beija-Flor gagne au pays des «monstres»
-Beija-Flor emporte le défilé des écoles de samba de Rio avec une critique sociale forte mais c’est la dauphine, Paraiso do Tuiuti, qui crée la surprise

Rio de Janeiro
AA/Rio de Janeiro/Kakie Roubaud
En évoquant la corruption endémique et l’esclavage des temps modernes, Beija Flor, la traditionnelle école de Samba, et Tuiuti la nouvelle venue, ont mis le doigt sur la plaie et séduit les jurés du défilé 2018 des écoles de samba.
Elles arrachent la première et la deuxième place du Carnaval de Rio avec une critique sociale haute en couleur.
Avec un thème-opéra long mais transparent «Le Monstre est celui qui ne sait pas aimer- Les fils que la Patrie a abandonné» Beija Flor l’école bleue et blanche des quartiers nord de Rio a mis à l’honneur Frankenstein, le héros maléfique et pervers d’un livre qui fête cette année ses 200 ans.
Frankenstein pour Beija-Flor, ça ne fait aucun doute: c’est le Brésil incarné, un pays «monstrueux» défiguré par la corruption, l’inégalité et l’intolérance, raciale, sociale, religieuse et de genre. Même le sport y passe avec des sportifs de haut niveau, noirs ou femmes humiliés… .
Emportés par le légendaire chanteur Neguinho da Beija-Flor, les 3500 participants ont offert au public en délire, un opéra-cathartique, chantant à plein poumons tout en imitant sur l’ Avenida, les politiques et les chefs d’entreprises qui abandonnent leurs créatures, le petit peuple, à leur sort.
«Tous nos problèmes sont carnavalisés»! s’étranglait Milton Hatoun, le commentateur officiel de la chaîne TV Globo qui possède l’exclusivité mondiale des droits de transmission de ce méga-défilé spectacle. Sous la voix des journalistes, on entendait la foule crier depuis les gradins: «Dehors Temer, dehors Crivella» respectivement Président du Brésil et maire de Rio!
La dernière des treize écoles du Groupe Spécial de Rio qui défilaient sur le Sambodrôme dans la chaude nuit de lundi, se retrouve donc à la première place. C’est sa 14eme victoire depuis 1948 qu’elle existe. Le chiffre 8 lui porte chance: elle avait déjà gagné le Carnaval en 1978 et en 2008.
Des mois de répétitions, de nouveaux venus dans les directions d’écoles, des coupes budgétaires et le soir du défilé, beaucoup de vent qui menaçait les étendards de s’enrouler, ce qui est interdit. La compétition s’est jouée à quelques dixième de points.
Jusqu’au dernier moment, sur la place de l’Apothéose où se dispersent les écoles et où sont donnés les résultats en direct, école par école, juré par juré, critère par critère – thème, chars, samba, harmonie, porte-étendard etc.- personne ne savait qui serait l‘élue.
Mais Paraiso do Tuiuti, surtout a créé la surprise. Cette «jeune» école des faubourgs, dont l’emblème est un paon est entrée récemment dans le select groupe spécial. L’an dernier, elle avait failli être disqualifiée après un défilé dramatique où des chars s’étaient écroulés.
De l'histoire mondiale de l'esclavage à la récente réforme du code du travail "Je ne suis esclave de personne" chantaient les 3200 figurants comme un seul homme! Des champs de café, des mines d'or, des favelas "prison sociale", des manipulateurs de manifestation et même un char avec un vampire habillé en Président de la République !
Ironie du sort? Au pays où la samba transcende la révolte, on remarquera que sévit aussi le Jogo do Bicho, un gigantesque jeu de hasard qui mine le Brésil. Or le «bicheiro» Anisio, l’un des patrons de cette mafia illégale, vient tout juste de reprendre les commandes de Beija-Flor !