Canada/Iran : l’avion qui remplit le vide… diplomatique
- Le crash de l’avion de ligne ukrainien en Iran, avec 57 ressortissants canadiens à bord, vient, sous la « contrainte », réanimer des relations diplomatiques entre Ottawa et Téhéran, au point mort depuis 2012.

Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
Mercredi 8 janvier 2020, un avion de ligne ukrainien, à bord duquel se trouvaient 176 passagers, a été abattu, par erreur, par l’Iran, à proximité de Téhéran.
Quelque 57 Canadiens se trouvaient à bord de l’appareil et Ottawa a dû réagir, médiatiquement et politiquement, dès l’après-midi du jour même de la « tragédie », par le biais de son ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, mais surtout par le truchement de son Premier ministre, Justin Trudeau, qui a animé trois points de presse en l’espace de quatre jours, outre les communiqués et les déclarations publiés par ses services.
Cependant, en cas de crise et de tension, les liens et les contacts directs, par les canaux diplomatiques, essentiellement, contribuent énormément à faire avancer les choses et à gagner du temps, très précieux en ces circonstances.
Et c’est là où le bât blesse. Le Canada et l’Iran ont rompu leurs relations diplomatiques, depuis le 7 septembre 2012, sous la houlette du Premier ministre conservateur Stephen Harper, un soutien inconditionnel des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël.
Profitant d’une visite en Russie pour participer à un Sommet de l’APEC, le ministre canadien des Affaires étrangères de l’époque, John Baird, avait annoncé, à la surprise générale, la fermeture de l’ambassade de son pays à Téhéran, tout en accordant cinq jours aux diplomates iraniens, considérés comme persona non grata, pour quitter le territoire canadien.
Officiellement, cette décision a été expliquée par « l’aide militaire croissante accordée par l’Iran au régime syrien, le refus de respecter les résolutions des Nations Unies concernant le programme nucléaire, la violation des droits de l’homme, le mépris de façon flagrante de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ».
Last but not least, le ministre a justifié cette décision, unilatérale, faut-il le souligner, par le fait que l’Iran « menace régulièrement Israël ».
Il convient de rappeler que la seule réaction officielle, en dehors des deux pays concernés, à cette mesure a été celle du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a tenu à « féliciter » le Premier ministre canadien Stephen Harper d’avoir pris cette décision « courageuse » qualifiée de décision « morale et d’exemple » pour la communauté internationale.
Dans la foulée, le gouvernement canadien avait ajouté l’Iran à la liste des « Etats qui soutiennent le terrorisme », avec comme fondement légal, une « Loi sur la Justice pour les victimes d’actes de terrorisme ».
L’alignement multiforme, politique et diplomatique essentiellement, des Conservateurs canadiens, lors des mandats de Stephen Harper, sur les positions américaines et israéliennes a été tant critiqué par l’opposition, notamment, les Libéraux.
D’ailleurs, l’une des promesses, en matière de diplomatie et de relations internationales, du Pari libéral lors de la campagne des élections fédérales de 2015, a été celle de rétablir les relations avec l’Iran.
Plus facile à dire qu’à faire. Rien n’a été fait jusqu’à date, en dépit de la levée des sanctions économiques infligées à l’Iran et de quelques timides tentatives de renforcer la coopération commerciale entre les deux pays ainsi que des visites en Iran, à partir de 2017, de responsables canadiens de deuxième voire de troisième rang.
L’entrave majeure au rétablissement des relations s’avère être la loi, mentionnée plus haut, qui considère l’Iran comme pays soutien du terrorisme. Un texte qui représente une sorte de boulet empêchant la normalisation des relations entre les deux capitales.
Une promesse qui n’a donc pas été honorée, chose quasiment habituelle en politique, mais c’est surtout en « échec », qui, s’il pouvait passer inaperçu en temps « normal », ne l’est pas en temps de crise.
Les Canadiens, selon plusieurs observateurs locaux, n’ont pas réussi, faute de perspicacité, mais aussi d’alignement quasi-total sur les positions de Washington, à faire ce que les Européens ont fait, à savoir, garder le contact avec l’Iran.
Un contact qui peut s’avérer utile, autant au plan économique qu’en temps de crise, comme c’est le cas depuis moins d’une semaine, d’autant plus que les 57 victimes canadiennes ont provoqué l’émoi et la colère au sein d’une opinion publique sensible.
Face à ce vide et en temps de crise, le Canada s’est vu contraint d’agir vite, d’intervenir, voire de réagir.
Et comme la nature a horreur du vide, l’on a assisté à des tentatives de renouer le contact, chose qui n’est point facile, en l’absence d’ambassadeurs, de chargés d‘affaires, voire de canaux diplomatiques bilatéraux tout court et des leviers y afférents.
Malgré cela, les deux ministres des Affaires étrangères, le canadien François Philippe Champagne, et iranien, Mohammad Jawad Zarif, ont eu un entretien téléphonique, mercredi, d’une vingtaine de minutes.
Cependant, ce premier contact direct n’a pas eu l’impact escompté, côté canadien, du moins immédiatement, dès lors que l’Iran n’a accordé que deux visas, le surlendemain [vendredi] à deux experts seulement qui n’ont pas d’ailleurs pu participer effectivement à l’enquête, comme le réclamait Ottawa.
Dans les jours qui suivent, des diplomates du ministère canadien des Affaires étrangères ont pu entretenir des liens avec leurs homologues iraniens sans résultat concret.
Le Canada gérait cette crise, notamment, par le biais de ses alliés et de ses amis, européens notamment, occidentaux mais également l’Ukraine, dont c’est un avion de sa compagnie aérienne « Ukraine Airlines International » (UAI) qui assurait la desserte entre Téhéran et Kiev.
Notons, au passage, qu’il n’existe pas de vols directs entre Téhéran et les grandes villes des 10 provinces canadiennes.
Le Premier ministre canadien, qui a multiplié les apparitions médiatiques, trois en quatre jours, a dit s’être entretenu au sujet de l’accident aérien, avec ses homologues britannique, australien et japonais, et avec les présidents ukrainien, français et américains, mais pas de président iranien.
Ce n’est que samedi, soit plus de 72 heures après l’incident, et lorsque l’Iran a dû admettre sa responsabilité et reconnu avoir abattu l’avion par erreur, que le rapport des forces s’est relativement inversé et que Justin Trudeau a pu parler au président iranien Hassan Rohani.
L’aveu de Téhéran et les concessions présentées ont fait que les contacts directs et au plus haut niveau, ont pu reprendre le dessus.
Histoire de dire que la diplomatie, qui s’est vue effacée durant plus de 8 ans, a repris « pleinement » ses droits, avec son lot de déboires et de balbutiements, à cause d’un crash d’avion, réellement abattu, dans des circonstances de tension extrême, dans la région du Moyen-Orient.
C’est durant cet entretien téléphonique entre Rohani et Trudeau que ce dernier a réclamé une « reddition des comptes ainsi qu’une enquête exhaustive », mais surtout a pu obtenir un troisième visa et une acceptation iranienne de la présence sur le terrain d’experts canadiens en sécurité aérienne et de spécialistes en ADN pour participer à l’enquête.
De même, la question des services consulaires et du rapatriement des dépouilles a été évoquée.
L’on constate, donc, aisément que les contacts et liens directs facilitent les choses et représentent un catalyseur pour franchir plusieurs écueils et étapes.
C’est dans ce contexte que des voix se sont élevées au Canada pour critiquer cette « erreur assez importante » (rupture des relations), synonyme de manque de « visibilité et du sens de l’anticipation ».
Une ancienne diplomate canadienne a souligné, dans des déclarations faites à des médias locaux, que l’on « réalise aujourd’hui à quel point il y a un prix à payer pour cette erreur assez importante ».
De son côté, Michel De Salaberry, ex-ambassadeur du Canada en Iran (1996 -1999) a été encore plus direct en déclarant à Radio Canada que « nous sommes absolument dépourvus de moyens d’action. Nous nous sommes nous-mêmes privés de moyens d’action ».
Dans la bouche d’un diplomate, et qui plus est, d’un spécialiste des relations entre les deux pays, ces mots assez durs portent une signification particulière pour illustrer l’ampleur de la « cécité » politique qui a généré ce vide, qui perdure depuis plus de 8 ans.
Un vide, enfin, rempli dans des circonstances tragiques par un avion abattu mais surtout 176 victimes innocentes dont 57 canadiennes.