Bloqués entre le Maroc et l’Algérie, des réfugiés syriens croupissent dans une prison à ciel ouvert

Rabat
AA / Rabat / Mohammed Taleb
Retenus dans la zone tampon entre le Maroc et l’Algérie depuis le 18 avril dernier, deux groupes de réfugiés de 55 Syriens, devenus 56 après la naissance d’une petite fille, croupissent dans une prison à ciel ouvert dans des conditions déplorables, voire funestes.
Pendant ce temps, les autorités algériennes et marocaines se querellent pour jeter la responsabilité sur le dos de l’autre et ainsi déterminer qui doit les accueillir sur son territoire.
Parallèlement à ce tiraillement aveugle, «deux groupes (un groupe de 15 et un autre de 41), dont 20 femmes et 22 enfants, sont pris au piège quelque part au niveau de Figuig (à l'extrême-est du Maroc) entre la frontière entre le Maroc et l’Algérie», a confié à Anadolu, le représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)) à Rabat, Jean-Paul Cavaliéri.
«Nous savons que ces gens-là ont transité via l’Algérie et n’ont pu rentrer au Maroc du fait qu’ils n’avaient pas de documents pour rentrer au Maroc», a-t-il précisé.
Pire encore, alors qu’une femme a accouché sans aucune assistance médicale, il semble que deux autres femmes sont enceintes, dont une « qui est au huitième mois (avec le groupe des 41) », a affirmé, dans une déclaration à Anadolu, le docteur sans frontière, Zouhair Lahna, qui s’est déplacé à Figuig sans pour autant pouvoir rejoindre les réfugiés.
Accusations et contre-accusations entre Rabat et Alger
Le samedi 22 avril dernier, le ministère marocain des Affaires étrangères marocain a convoqué l’ambassadeur de l’Algérie à Rabat. La réaction d’Alger ne s’est pas fait attendre. Le dimanche 23, l’ambassadeur du Maroc à Alger a à son tour été convoqué.
En avançant des « témoignages et des photos attestant irréfutablement que ces personnes ont traversé le territoire algérien avant de tenter d’accéder au Maroc », ce dernier a appelé l’Algérie à « assumer sa responsabilité politique et morale à l’égard de cette situation ».
« Le drame humanitaire que vivent ces populations syriennes ne devrait pas constituer un élément de pression ou de chantage dans le cadre de l’agenda bilatéral », a ajouté le MAE marocain dans son communiqué en qualifiant d’ « immoral et contraire à l’éthique de manipuler la détresse morale et physique de ces personnes, pour semer le trouble au niveau des frontières maroco-algériennes ».
Du côté algérien, on réfute les accusations marocaines qui ne sont, selon le MAE algérien, que des « allégations mensongères » et on reproche au Maroc « le caractère totalement infondé de ces accusations ».
Pour Alger, le royaume cherche « par de telles accusations » à « nuire à l'Algérie et lui imputer des pratiques étrangères à son éthique et ses traditions d’hospitalité bien établies », sans toutefois donner sa propre version des événements.
Le HCR se déploie sans grand succès
Face à cette situation pour le moins déplorable, le HCR s’est déployé au niveau des deux capitales pour solutionner la situation. « Nous sommes intervenus auprès des autorités marocaines et par ailleurs, le HCR d’Alger est intervenu auprès des autorités algériennes », a confié Cavaliéri à Anadolu.
«De la part du HCR au Maroc, nous avons demandé que ces gens-là puissent accéder au territoire et accéder à la procédure d’asile du côté marocain, pour l’Algérie, nous avons, de façon similaire, demandé leur réadmission sur le territoire algérien », a-t-il affirmé.
« Le Maroc qui soutient que ces réfugiés auraient été en quelque sorte encouragés à traverser illégalement sa frontière, voit ceci comme un geste inamical. De ce fait, il n’est pas disposé à laisser entrer de façon illégale ces demandeurs d’asile sur son territoire », a expliqué Cavaliéri.
D’après lui, « les autorités marocaines, signataires de l’accord de Genève sur les réfugiés, ont donné leur « Ok » pour l’entrée de neuf Syriens du groupe des 15 puisqu’ils ont des membres de leurs familles qui vivent de façon régulière au Maroc au titre de l’unité familiale (regroupement familial) ».
Appel à l’ouverture d’un couloir humanitaire
Selon le représentant au HCR à Rabat, ce qui barre la route à l’ouverture d’un couloir humanitaire est le fait que « les autorités marocaines disent que ces gens sont sur le territoire algérien et les autorités algériennes disent que ces gens-là sont sur le territoire marocain » !
En contact avec des associations sur place, le HCR confirme qu’une aide parvient à ces personnes à la fois du côté marocain et du côté algérien. « C’est positif, mais nous souhaiterions avoir une aide un peu régulière et souhaiterions que le sort de ces gens soit décidé en accord avec le principe de protection des réfugiés », a-t-il espéré M. Cavaliéri.
Le médecin humanitaire, Zouhair Lahna, qui s’est déplacé en compagnie d’un Syrien, qui travaille avec le HCR, et qui « ont été refoulé gentiment (le dimanche 30 avril) avant de pouvoir revenir sur Figuig en prenant des transports en commun », explique qu’il est difficile pour ces Syriens d’aller jusqu’à Tunis pour pouvoir rentrer légalement.
« Ils ne vont pas accepter », a-t-il confié à Anadolu en expliquant ces réfugiés « sont venus à partir du Liban en prenant l’avion pour le Soudan, un autre vers la Lybie avant de traverser le désert jusqu’aux frontières marocaines ».
Ce chirurgien obstétricien et ancien chef de clinique des Universités de Paris VII, confirme l’existence d’un « collectif sur place composé des associations de villes de Figuig et de Bouarfa qui essayent d’aider les deux groupes ont leur passant de la nourriture et des couvertures, nuitamment, au risque de recevoir des balles du côté marocain ou algérien ».
Les riverains à la rescousse
En l’absence d’un couloir humanitaire, ce sont les populations riveraines des deux côtés qui essayent tant soit peu de maintenir en vie ces malheureux réfugiés. « Ce sont des gens très courageux. Des Marocains, mais aussi des Algériens qui prennent le même risque », a assuré le médecin sans frontières en déplorant le fait que « l’aide ne parvient à ces gens que clandestinement ».
Ce membre de MSF, affirme non sans amertume qu’au sein du groupe des 15, qui sont tous des kurdes, qu’il y a eu naissance d’une petite fille. «La petite fille, qui a vu le jour sans aucune assistance médicale, présente une malformation préoccupante, une fente labio-palatine (ouverture de la lèvre supérieure et du palais) qui requiert une chirurgie en plusieurs temps, mais heureusement pas de suite».
Cette fille risque d’avoir des problèmes, car pour pouvoir téter et éviter les fausses routes (passage du lait dans les voies respiratoires) pour ne pas s’asphyxier par le lait, on doit ou mettre en place un palais artificiel ou utiliser des tétines longues pour alimenter la petite », a-t-il expliqué.
Tout en mettant l’accent sur les conditions d’hygiène pour la maman, Lahna a appelé « à agir faisant fi des calculs politiciens et des jeux de souveraineté ou de dignité d’un pays ou d'un autre».
Outre son appel au dépassement des contraintes juridiques pour une solution humanitaire, ce médecin a insisté sur la nécessité d’ouvrir un couloir humanitaire.
« On demande l’ouverture d’un couloir humanitaire en attendant une issue définitive de ce problème », s’est-il insurgé en fustigeant l’action des ONG et associations marocaines, qui ont publié des communiqués dont Anadolu détient des copies, qu’il qualifie de « tiède ».
« Que reste-t-il de notre dignité si celle des pauvres gens qui ont fui la guerre et demandent de l’aide à nos portes est bafouée ? », s’est-il interrogé.