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Au Népal, des guides sourds tracent de nouveaux itinéraires dans l’Himalaya

- Les visiteurs, originaires d’Indonésie, des Philippines et de Thaïlande, étaient venus pour une conférence de la communauté des sourds et malentendants et voulaient découvrir la culture et les montagnes du Népal

Ekip  | 06.12.2025 - Mıse À Jour : 06.12.2025
Au Népal, des guides sourds tracent de nouveaux itinéraires dans l’Himalaya

Katmandu

AA / Népal / Bhadra Sharma

Il y a deux ans, lorsque Rajita Deula a reçu une demande inattendue d’un groupe de touristes sourds souhaitant qu’elle les guide dans Katmandou, elle a hésité.

Elle n’avait jamais travaillé comme guide, n’avait aucune formation, et savait seulement qu’elle pouvait communiquer avec eux – ce qu’aucun autre guide disponible ne pouvait faire.

Les visiteurs, originaires d’Indonésie, des Philippines et de Thaïlande, étaient venus pour une conférence de la communauté des sourds et malentendants et voulaient découvrir la culture et les montagnes du Népal.

Mais les guides professionnels peinaient à communiquer avec eux : ils ne comprenaient pas leurs questions et ne savaient pas utiliser la langue des signes pour répondre.

Deula, elle-même sourde et népalaise, a accepté malgré ses doutes et l’absence de formation.

« J’ai fait de mon mieux, mais je savais que mes connaissances étaient limitées », a-t-elle confié à Anadolu par l’intermédiaire d’un interprète en langue des signes. « Malgré tout, cela a fait naître un nouveau rêve en moi. »

Cette rencontre fortuite l’a menée sur une nouvelle voie. Elle a ensuite guidé plusieurs délégations à la demande de la Fédération nationale des sourds du Népal. Lorsqu’elle a vu une publication sur Facebook invitant les personnes sourdes à postuler pour une formation officielle de guide de trekking, elle a immédiatement candidaté.

- Une formation inédite

Pour la première fois dans l’histoire du trekking au Népal, l’Académie népalaise du tourisme et de la gestion hôtelière (NATHM), en collaboration avec l’Office du tourisme du Népal, a lancé un cours officiel de guide de trekking spécialement conçu pour des apprenants sourds.

Vingt-cinq participants sourds – quatre femmes et vingt et un hommes – ont reçu une formation allant de la sécurité en montagne et de la logistique à l’histoire, la culture, la géographie et la faune du Népal.

Les formateurs comprenaient des alpinistes, des experts en secours et des professionnels de la santé. Les séances pratiques portaient sur les premiers secours, la gestion du matériel, la planification des itinéraires, l’assurance et la prise en charge des clients.

Le trekking encadré par des guides sourds implique des méthodes de communication spécifiques : signaux visuels, gestes adaptés à la distance, codes préétablis pour les situations d’urgence et observation attentive du terrain.

Les changements météorologiques soudains, les chutes de pierres, les avalanches ou encore la présence d’animaux sauvages produisent généralement des signaux sonores, mais les trekkeurs sourds doivent lire l’environnement autrement. Beaucoup expliquent s’appuyer sur les vibrations, les ombres ou les réactions de leurs compagnons, ce qui rend le travail d’équipe essentiel.

« Je suis désormais totalement confiante pour guider dans n’importe quelle zone de trekking, de Muktinath au camp de base de l’Annapurna », a déclaré Riha Maharjan, 29 ans, en langue des signes. « Je peux expliquer la culture, la géographie et la faune de manière compréhensible. »

Le mari et le beau-frère de Riha sont également sourds. Tous deux sont tombés amoureux du trekking après que son mari a commencé à emmener la famille chaque année dans les hautes montagnes.

« C’est comme ça que je me suis passionnée pour le trekking », raconte-t-elle. « J’ai des amis étrangers et je veux les emmener sur les itinéraires populaires – l’Annapurna et le Manaslu – après cette formation. »

Au-delà du trekking, elle poursuit un master en études commerciales, s’est classée dans le top 10 de Miss Deaf Universe en 2024 et prévoit d’ouvrir une entreprise liée au tourisme à Katmandou pour rester active pendant les saisons creuses.

- Briser les barrières les plus élevées

Certains stagiaires avaient déjà parcouru des itinéraires de trekking majeurs comme porteurs ou guides informels. Mais sans certification, certaines portes – notamment dans des zones comme la région de l’Everest – restaient fermées.

« J’avais atteint toutes les grandes destinations touristiques. Comme les porteurs venant d’autres districts ne sont pas autorisés à travailler dans la région de l’Everest, je n’y étais jamais allé », a déclaré Chop Prasad Poudel, nouveau guide de trekking certifié. « Maintenant, je peux y aller en tant que guide de trekking. »

Poudel, 32 ans, travaille dans un hôtel à Katmandou pendant la basse saison et porte des sacs pendant les mois de pointe. Il a expliqué que les guides sourds faisaient souvent face à des préjugés de la part de guides entendants qui doutaient de leurs compétences.

« Maintenant, c’est à notre tour de briller dans ce domaine, puisque nous sommes aussi des guides certifiés », a-t-il ajouté en langue des signes.

Les participants se disent motivés de pouvoir suivre un programme de formation rare, spécialement conçu pour les personnes sourdes.

Un autre stagiaire, Raj Bahadur Budha, 28 ans, a escaladé un mur de 15 mètres pendant la formation et a levé les poings en signe de victoire.

Équipé de matériel d’escalade et d’un harnais, il est rapidement descendu au sol. « J’ai le rêve de gravir le mont Everest », a déclaré Budha, qui avait déjà guidé des touristes sourds et étrangers avant sa formation, par l’intermédiaire d’un interprète.

« Après cette formation de trekking, je vise les grandes montagnes. Plusieurs étrangers ont atteint le sommet de montagnes majeures. Je peux le faire aussi. »

- Trekking visuel et inclusion élargie

Le Népal qui abrite huit des 14 plus hauts sommets du monde – attire chaque année plus d’un million de trekkeurs. Pourtant, son industrie touristique a rarement pris en compte les visiteurs sourds ou malentendants.

La NATHM et le Programme des Nations Unies pour le développement espèrent que ce nouveau modèle de formation changera la donne et pourra, à terme, être reproduit dans toute l’Asie du Sud. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, environ 430 millions de personnes dans le monde vivent avec une perte auditive invalidante, et le Népal voit là une opportunité encore inexploitée.

Ajaya Kumar Dhakal, directeur de la NATHM, a expliqué que son organisation travaille à mettre en relation les guides sourds avec les agences de trekking et les voyagistes.

« Si nos guides sourds parviennent à attirer ne serait-ce qu’une petite partie des touristes sourds au Népal, ce sera une contribution énorme pour notre tourisme », a-t-il déclaré. « Nous travaillons dur pour que cela devienne possible. »

L’initiative s’inscrit dans la stratégie du gouvernement visant à relancer le tourisme et à doubler le nombre de visiteurs après les revers causés par le COVID-19 et les récentes manifestations.

Le Népal compte plus de 300 000 personnes atteintes de déficience auditive. Les responsables du tourisme estiment que les former comme guides élargit non seulement les opportunités d’emploi, mais offre aussi aux clients sourds un niveau de confort et d’authenticité rarement rencontré sur les itinéraires de trekking internationaux.

Les formateurs ont souligné l’enthousiasme exceptionnel de cette première promotion.

« Ils étaient plus intéressés et actifs que les guides de trekking ordinaires », a déclaré Lhakpa Sherpa, instructeur à la NATHM. « Je suis sûr qu’ils vont rapidement se distinguer dans leur domaine. »

*Traduit de l'anglais par Sanaa Amir


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