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29 Aout 1987: Naji Al-Ali est mort... Vive Handhala

- Décrit par la Fédération mondiale des éditeurs de journaux comme "l'un des plus grands caricaturistes du monde depuis la fin du XVIIIe siècle", il laisse derrière lui une œuvre qui demeure l'expression la plus authentique de la cause palestinienne

Mourad Belhaj  | 29.08.2021 - Mıse À Jour : 31.08.2021
29 Aout 1987: Naji Al-Ali est mort... Vive Handhala

Tunisia

AA / Tunis

Le 22 juillet 1987, dans une rue de la capitale britannique, Londres, le caricaturiste palestinien Naji Al-Ali se dirigeait tranquillement vers son lieu de travail dans les bureaux du journal koweïtien Al-Qabas. C'est alors qu'il a été pris pour cible par le tir d'un inconnu qui l'a plongé dans un coma qui a duré 38 jours. Il est décédé le 29 août de la même année à l’âge de 50 ans.

La Plume de Naji Al-Ali a cessé de vivre, mais son œuvre riche de plus de 40 000 caricatures, reste l'expression la plus fidèle et la plus authentique de la cause de la Palestine et de son peuple.

De son nom complet, Naji Salim Hussein Al-Ali, il est né en 1937 dans le village de Al-Shajara, situé sur une colline au sud-ouest de la ville de Tibériade en Galilée.

C'est en 1948 qu'il est contraint de quitter sa Palestine natale pour immigrer avec sa famille au Liban, où il s'installe dans le camp d'Ain al-Hilweh, avant de se rendre à Tripoli et d'obtenir un certificat de mécanique automobile. Il fréquentera plus tard l’Académie libanaise d’art, où il étudiera le dessin.

En visite au camp d'Ain al-Hilweh, l'écrivain et journaliste palestinien Ghassan Kanafani a été séduit par un dessin de Naji al-Ali et l'a publié dans le journal "Al-Hadaf", organe du Front populaire de libération de la Palestine.

Kanafani a ensuite publié d'autres dessins de son nouveau protégé dans le magazine "Al-Horriya" en 1961 et c'est au Koweït que le talent artistique de Naji al-Ali a pris son essor, ce qui lui a permis d'acquérir une grande notoriété et de développer sa créativité. Il sera alors embauché en tant qu'éditeur, caricaturiste, dessinateur et producteur dans plusieurs journaux et magazines koweïtiens, notamment : "Al-Tali'a" et "Al-Qabas", en plus du journal libanais "As-Safir".

Personne ne sait exactement qui a tué Naji al-Ali, ni qui a commandité son assassinat. Le professeur Mustafa Kabha, historien palestinien, explique que les détails, les causes et les motifs de l'assassinat sont encore flous, même si des pistes ont évoqué des mercenaires agissant pour le compte de parties lésées par la plume sarcastique du caricaturiste.

Dans la présentation du "Livre de Handhala", le caricaturiste français Siné explique que Naji al-Ali a été tué "à cause des convictions qu’il exprimait à merveille à travers ses dessins et son petit personnage nommé Handhala".

Il n'existe aucune preuve concrète ni aucun témoin crédible pouvant établir la responsabilité de quiconque dans ce crime, attribué au Mossad israélien comme à certaines personnalités palestiniennes, d’aucuns vont jusqu’à envisager qu’un régime arabe lésé par les piques du dessinateur serait le commanditaire de cet assassinat qui demeure à ce jour un mystère.

Le seul témoin toujours en vie, car voulu immortel par son créateur n’est autre que son "fils", né de sa plume… "Handhala".

Le mot Handhala signifie la plante au goût très amer et qui peut être toxique. C'est le nom qu’a choisi Naji Al-Ali pour ce personnage créé pour être le témoin de la situation prévalant dans les pays arabes dans la deuxième moitié du XXeme siècle.

Dans l'une de ses rares interviews (accordée en 1985 à l’écrivaine égyptienne Radwa Ashour), Naji al-Ali déclare : "Le personnage de Handhala s'est imposé comme une figure emblématique qui empêchait mon esprit de sombrer chaque fois que je me sentais un peu las ou paresseux. Chaque fois que je me laisse aller à m'endormir ou à négliger mon devoir, je sens que cet enfant est comme cette goutte d'eau qui tomberait sur mon front et qui me réveillerait, me motiverait à être vigilant, et me garderait de tout égarement et de toute dérive".

Et d’ajouter : "Il s'agit pour moi d'une boussole, et cette boussole pointe toujours vers la Palestine. Pas seulement au sens géographique, mais au sens humain et symbolique, c'est-à-dire vers la cause juste, où qu'elle se trouve en Égypte, au Vietnam ou en Afrique du Sud."

Naji Al-Ali s’inspirait tant des souffrances et des préoccupations des peuples que de la situation politique prévalant dans la région du Moyen-Orient. Il y exprimait les critiques du public à l'égard des gouvernements et des dirigeants arabes et palestiniens, dessinant de nombreuses caricatures satiriques de dirigeants et de leaders arabes.

Naji Al-Ali affirmait que "Handhala" est né pendant la guerre de 1967, soulignant que son personnage "est le témoin de la défaite et de la faiblesse des régimes arabes."

Il ajoute à propos de son personnage fétiche : "Handhala est né à l'âge de dix ans et restera toujours âgé de dix ans. C'est à cet âge qu'il a quitté la Palestine et lorsque Handhala reviendra dans son pays, il aura encore dix ans et ce n’est qu’alors qu’il commencera à grandir. Les lois de la nature ne s'appliquent pas à lui car il est une exception, tout comme la perte de la patrie est une exception".

Quant à la raison pour laquelle les mains de Handhala sont jointes dans son dos, Naji Al-Ali explique : "J'ai décidé que ses mains seraient jointes derrière son dos après la guerre d'octobre 1973, parce que la région connaissait un profond phénomène d'assujettissement et de normalisation, et que le garçon, par sa posture, indiquait son refus de participer aux règlements que les Américains voulaient mettre en place dans la région. Il est rebelle et refuse la normalisation".

Bien qu'intellectuel et artiste, Naji al-Ali était convaincu que la violence ne peut être combattue que par la violence. Il n’a cessé d’inciter à la résistance à l'occupation revendiquant son appartenance à sa cause et au camp des plus démunis.

"Je suis personnellement tourné vers la classe à laquelle j'appartiens, tourné vers les pauvres. Mon âme n’est pas à vendre et je suis incapable de donner des gages d'obédience ou d'allégeance à qui que ce soit. Les pauvres sont ceux qui meurent et qui souffrent comme le vrai combattant qui ne cesse de se sacrifier", avait déclaré celui qui exprimait les aspirations de son peuple tout en cherchant à le faire évoluer.

Il dérangeait les pouvoirs politiques tant palestiniens et israéliens, que ceux en place dans les pays arabes. Naji al-Ali rejetait catégoriquement tout compromis avec l'occupation dans la région arabe, et ne cessait de répéter : "le plus puissant des responsables (palestiniens ou arabes) n'a pas le droit de signer un document de reddition et de concession à Israël ". Les accords de paix contre lesquels il avait mis en garde ont vu le jour à Oslo, six ans après son assassinat.

Naji Al-Ali, qui a contribué à façonner la conscience et la mémoire palestiniennes, véritable parangon des caricaturistes du monde arabe, décrit par la fédération mondiale des éditeurs de journaux comme étant "l'un des plus grands caricaturistes du monde depuis la fin du XVIIIe siècle" est enterré au cimetière musulman de Brookwood, à Londres.

Lorsqu’interrogé sur le moment où il permettra que l'on voit le visage de "Handhala", qui tourne le dos au public, parfois par dépit envers ceux qui le voient de dos, mais souvent aussi pour les prendre à témoin face à ce qu’il dénonce dans les dessins dont il est le personnage principal, Naji Al-Ali répondait : "Quand la dignité arabe ne sera pas menacée, et quand le citoyen arabe retrouvera sa liberté et sa dimension humaine."

Naji al-Ali est mort. Le "fils" né de sa plume demeure, lui, un personnage incontournable de la réalité du monde arabe et de la cause palestinienne. Handhala est toujours vivant, toujours les mains jointes derrière son dos... Il n'a toujours pas dévoilé son visage.

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