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« J’ai détruit votre vie »: L’élève à l’origine de la dénonciation de Samuel Paty présente ses excuses face à la justice

- Z. Chnina, aujourd’hui âgée de 17 ans, avait affirmé avoir été exclue du cours de Samuel Paty, alors qu’elle n’y était pas

Feiza Ben Mohamed  | 26.11.2024 - Mıse À Jour : 26.11.2024
« J’ai détruit votre vie »: L’élève à l’origine de la dénonciation de Samuel Paty présente ses excuses face à la justice

France

AA/Paris/Feïza Ben Mohamed

Z. Chnina est le premier maillon de la chaîne infernale qui a conduit à la mort de Samuel Paty. Agée de 13 ans au moment des faits, elle avait accusé son professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, de l’avoir exclue du cours durant lequel il a présenté des caricatures du prophète Mohammed.

Elle s’est présentée à la barre ce mardi matin, pour un témoignage particulièrement attendu, devant une salle comble. Vêtue d’une jupe, les cheveux attachés en demi-queue, Z. Chnina a répondu pendant quatre heures, aux questions, parfois très pointilleuses, qui lui ont été posées.

Dressant le portrait d’un père affecté par sa possible « discrimination » par Samuel Paty, elle a tenu à présenter ses excuses, précisant n’avoir pas pu « bien le faire » lors du procès intervenu en décembre 2023 et au terme duquel elle a été condamnée à 18 mois de prison avec sursis par le Tribunal pour enfants.

« J’aimerais, parce que je n’ai pas pu bien le faire il y a un an, mais j’aimerais m’excuser auprès de la famille de Samuel Paty. Aujourd’hui j’ai détruit votre vie. Je me plains de ne pas avoir vu mon père mais vous ça fait plus de 4 ans que vous ne l’avez pas vu », a-t-elle déclaré en larmes.

Et de poursuivre: « Mes excuses, je sais qu’elles sont dures à entendre mais je tenais vraiment à m’excuser sincèrement. Je suis désolée d’avoir détruit votre vie. Je tenais à m’excuser envers les professeurs pour mon comportement. Je m’excuse auprès de ceux qui sont dans le box parce que sans mon mensonge, vous ne seriez pas ici. Je m’excuse auprès de ma famille. Aujourd’hui on se retrouve tous ici à cause de mon mensonge. Je m’excuse auprès de mon père, s’il a fait une vidéo c’est à cause de mon mensonge. Je suis désolée ».

Dans un élan de sincérité et consciente que son mensonge a conduit, bien qu’elle ne l’ait jamais envisagé, à la décapitation de son enseignant, la jeune fille a assumé avoir menti, concédant n’avoir « pas eu le courage de dire la vérité » à ses parents.

Z. Chnina, qui se décrit elle-même comme une élève « insolente et perturbatrice », a expliqué dans le détail, que Samuel Paty, avec qui elle n’avait jamais eu de problème particulier, l’avait exclue d’un cours en raison de son attitude. C’est durant le cours suivant, auquel elle n’a pas assisté, qu’il a présenté des caricatures du prophète Mohammed à ses élèves de 4ème.

« Le lendemain, deux filles sont venues me voir en me disant qu’il avait montré des caricatures. J’ai pas réfléchi et j’ai été voir la vie scolaire et je leur ai dit que j’étais bien à ce cours et qu’on avait vécu une discrimination. Ensuite le jour suivant ma mère m’a appelée en me demandant furieuse pourquoi j’avais été exclue, du coup pour ne pas décevoir mes parents j’ai dit que j’avais été exclue pour les caricatures, alors que ce n’était pas vrai », a-t-elle relaté.

Par la suite, elle indique que son père Brahim Chnina, qui est incarcéré depuis 4 ans et poursuivi pour des faits d’association de malfaiteurs terroriste, l’a accompagnée au commissariat pour déposer plainte pour des faits de discrimination, contre Samuel Paty.

Z. Chnina reconnaît « être restée enfermée dans le mensonge sans pouvoir en sortir », alors que son père tentait d’alerter l’opinion publique via une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et réclamait une sanction administrative contre l’enseignant dont il considérait qu’il avait « discriminé les élèves musulmans » en leur proposant de quitter sa salle pour ne pas voir les caricatures.

« Je n’étais pas bien, parce que j’étais la seule à savoir mon mensonge et je n’arrivais plus à l’assumer. Je n’arrivais pas à dire que c’était un mensonge. Même chez la psychologue, je n’y arrivais plus. Je voulais dire à mon père que j’avais menti, j’aurais dû lui dire que j’avais profité de sa naïveté et de sa gentillesse », a-t-elle détaillé à la barre.

C’est finalement le vendredi 16 octobre au soir, en regardant BFMTV qu’elle finira par apprendre que Samuel Paty a été décapité, alors que quelques heures plus tôt, elle recevait un appel de l’un de ses camarades, qui lui demandait de raconter en détail cette affaire de discrimination présumée (elle ne le savait pas, mais celui-ci était alors accompagné du futur assaillant Abdoullakh Anzorov au moment de l’appel).

Z. Chnina se souvient s’être effondrée dans les bras de sa sœur, puis dans ceux de sa mère, et avoir appelé son père qui avait « une voix tremblante au téléphone ».

« J’ai été dormir chez ma sœur et le lendemain j’ai appris à la télévision que mon père a été placé en garde à vue », explique la jeune fille qui n’a, à ce moment-là, toujours pas avoué qu’elle n’était pas présente au cours durant lequel Samuel Paty a présenté les dites caricatures.

Questionnée sur la personnalité de son père, qui l’observe attentivement depuis le box des accusés, la jeune fille décrit un père aimant, qui n’a jamais été violent, et dont la pratique religieuse est « normale ». Elle assure lire dans la démarche de Brahim Chnina « la seule volonté de dénoncer une discrimination ».

Cette description reste par ailleurs conforme à celle faite par les précédents témoins, notamment Dhaou Meskin, imam, qui a indiqué à la Cour qu’il voyait en Brahim Chnina, « un père qui voulait défendre sa fille ».

C’est donc dans une ambiance particulièrement pesante que se tient cette quatrième semaine de procès devant la Cour d’Assises spécialement composée.

Pour rappel, c’est un procès qui se veut historique, qui s’est ouvert le 4 novembre à Paris, et qui doit durer jusqu’au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.

Et pour cause, quatre ans après les faits, la justice doit déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d’origine tchétchène, âgé de 18 ans.

Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l’ordre, reprochait à l’enseignant d’avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed.

L’attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait depuis office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d’un procès intervenu fin 2023.

Au cours des sept semaines prévues pour ce procès présidé par un juge assisté de quatre assesseurs, le rôle des huit accusés âgés de 22 à 65 ans, dont cinq comparaissent détenus, est examiné en détail pour déterminer les responsabilités de chacun, conformément à un arrêt de mise en accusation daté du 13 septembre 2023.

Parmi les accusés, figurent deux des proches d’Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, qui répondent de faits qualifiés de complicité d’assassinat terroriste et encourent une peine de prison à perpétuité. Tous deux âgés respectivement de 23 et 22 ans, sont soupçonnés d’avoir accompagné le tueur de Samuel Paty, en l’accompagnant dans l’achat d’armes. Naim Boudaoud l’a par ailleurs déposé sur les lieux de l’attentat.

Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, âgés de 52 et 65 ans, et tous deux également détenus depuis les faits, ont à répondre à des accusations d’association de malfaiteurs terroriste.

Dans le détail, Abdoullakh Anzorov, qui n’était aucunement lié à l’établissement ni à Samuel Paty, a vraisemblablement eu connaissance des faits suite à la polémique engendrée par la diffusion d’une vidéo, devenue virale et diffusée par Brahim Chnina, le parent d’une élève, dénonçant la démarche du professeur d’histoire-géographie.

Ce dernier, alerté par sa fille (dont l’enquête démontrera par la suite qu’elle n’était en fait pas présente au cours), est alors soutenu par le militant associatif Abdelhakim Sefroui, qui publiera, le 11 octobre, une autre vidéo qualifiant Samuel Paty de « voyou ».

Leurs vidéos génèrent de très nombreux commentaires, et le nom de l’enseignant ainsi que celui de son établissement sont finalement divulgués, permettant à Abdoullakh Anzorov de l’identifier, le localiser, avant de se rendre sur les lieux pour le décapiter.

Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev, et Louqmane Ingar, tous trois âges de 22 ans et membres de divers groupes Snapchat auxquels participait Abdoullakh Anzorov, sont accusés de lui avoir apporté un soutien idéologique.

Le premier a notamment relayé le message de revendication de l’attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité, le second est accusé d’avoir conforté son procès d’assassinat et d’avoir publié des messages de satisfaction après l’annonce de la décapitation de Samuel Paty. Le troisième, également âgé de 22 ans, comparait libre mais sous contrôle judiciaire pour avoir participé aux groupes Snapchat et évoquait un éventuel départ vers des zones de guerre pour y rejoindre une organisation terroriste.

Priscilla Mangel, la seule femme à comparaître devant la Cour d’Assises spéciale, est pour sa part âgée de 36 ans. Il lui est reproché d’avoir longuement et régulièrement échangé avec le terroriste en le confortant dans son projet.

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