AA / Paris / Ümit Dönmez

Le chef d'État français Emmanuel Macron a prononcé, vendredi soir à Singapour, le discours d’ouverture du Dialogue de Shangri-La, principale conférence de sécurité en Asie-Pacifique. Face à une audience composée de responsables militaires, diplomatiques et politiques venus du monde entier, le chef de l’État français a appelé à la cohérence stratégique des puissances internationales, en fustigeant « les doubles standards » et en plaidant pour une nouvelle « coalition d’indépendance » entre l’Europe et l’Asie.

- Une France « indo-pacifique » et « européenne »

Dès l’ouverture de son allocution, Macron a tenu à rappeler que la France est un acteur à part entière de la région : « Ce que l’on oublie souvent, c’est que la France est un acteur de l’Indo-Pacifique. […] Plus d’un million de citoyens français vivent dans cette région. Nous avons plus de 8 000 soldats déployés en permanence sur nos bases militaires. »

Il a affirmé vouloir renforcer le lien stratégique entre l’Europe et l’Asie, estimant que « l’Europe et l’Asie ont un intérêt commun à suivre cette ligne d’autonomie stratégique ».

- Contre les “doubles standards”

Le cœur du message du Président français a porté sur le rejet des approches à géométrie variable dans les affaires internationales : « Il nous faut être très attentifs quand il s’agit des doubles standards. » Il a mis en garde contre les discours qui relativisent la guerre en Ukraine en la considérant comme un conflit localisé : « Permettez-moi de vous dire que c’est une erreur absolue. »

Macron a insisté sur l’universalité des principes : « Il n’y a pas d’ordre international différent, par définition. Si cela s’applique à l’Europe, cela s’applique ailleurs. »

En écho à certaines critiques venues du Sud global, il a également dénoncé un déséquilibre de traitement concernant Gaza : « Si nous abandonnons Gaza, si nous laissons la main à Israël, même en condamnant les attaques terroristes, nous détruisons notre propre crédibilité dans le reste du monde. »

Pour rappel, devant la Cour internationale de Justice, Israël est accusé de commettre un « génocide » dans l'enclave palestinienne, alors que les États-Unis et plusieurs européens sont accusés par une partie de la communauté internationale de ne pas sanctionner Tel Aviv, tout en sanctionnant Moscou pour la guerre en Ukraine.

- Pour une stratégie autonome sans confrontation

Concernant la position de son pays, Macron a réaffirmé la volonté française de maintenir une posture d’équilibre : « Nous ne voulons pas avoir une attitude de confrontation avec la Chine. » Il a toutefois rejeté toute forme de soumission stratégique : « Nous ne voulons pas recevoir des instructions au quotidien, que l’on nous dise ce qui est autorisé ou pas, et que nos vies changent en fonction des décisions d’une seule personne », a-t-il déclaré, en faisant allusion au président des États-Unis, Donald Trump, sans pourtant le nommer.

Le chef d'État français a proposé de « construire une alliance positive, nouvelle, entre l’Europe et l’Asie » fondée sur des « normes communes » et une « coalition de pays qui ne seront pas enrôlés », rejetant explicitement le retour à une logique de blocs : « L’heure n’est plus au non-alignement. »

- “La Russie restera une menace existentielle pour nous”

En ce qui concerne le conflit en Ukraine, Macron a maintenu une ligne claire : « La Russie restera une menace existentielle pour nous. » Il a rappelé que l’Europe devait assumer davantage de responsabilités : « Nous augmentons de 3 à 5 % nos dépenses en matière de défense. Peut-être ou sans doute irons-nous plus loin et plus vite. »

Il a prévenu qu’un affaiblissement du soutien à Kiev affecterait gravement la crédibilité de l’Occident : « Si les États-Unis et les Européens ne sont pas en mesure à court terme de résoudre la situation en Ukraine, […] notre crédibilité serait très faible. »

- Une critique explicite du rôle de l’OTAN en Asie

Le Président français a répété son opposition à une extension du rôle de l’Alliance atlantique en Asie : « Je n’étais pas favorable à ce que l’OTAN joue un rôle en Asie parce que pour moi le ‘N’ dans l’OTAN signifie Atlantique Nord. »

Il a cependant reconnu que les réalités géostratégiques s’interconnectent : « De fait, la Corée du Nord est aux côtés de la Russie sur le sol européen », a-t-il déclaré, en référence à la guerre en Ukraine.

- Le défi nucléaire et la “stratégie d’ambiguïté”

Interpellé sur la possibilité d’étendre la dissuasion nucléaire française à ses alliés européens, Macron a défendu le principe de l’incertitude : « La crédibilité de la dissuasion nucléaire repose sur l’ambiguïté. […] Le jour où vous donnez toute la feuille de route à votre ennemi, vous réduisez l’efficacité de votre capacité de dissuasion. »

À propos de la Corée du Nord, il a exprimé sa préférence pour une action multilatérale concertée : « Je préférerais qu’ensemble, collectivement, nous arrivions à mieux contenir les capacités nord-coréennes que de vous permettre d’accéder à de telles armes. »

- Construire une “coalition d’indépendance”

Le président a conclu par un appel à l’action : « Travaillons ensemble pour construire une alliance positive, nouvelle, entre l’Europe et l’Asie. […] Une coalition de pays qui ne seront pas enrôlés, qui s’opposent au double standard. […] Une coalition de pays déterminés à ne pas céder aux caprices ou à la cupidité des autres. »

Selon lui, cette voie médiane représente « une troisième voie » face à la rivalité entre les États-Unis et la Chine, et doit être fondée sur le respect mutuel, les normes internationales, la souveraineté et la coopération technologique et économique.