France : Mélenchon dénonce « les fantasmes islamophobes qui dominent le débat public »
– Auditionné par la commission parlementaire sur les liens supposés entre partis politiques et « islamisme », le fondateur de LFI accuse une stigmatisation systémique des musulmans et défend une laïcité universaliste.
Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
« Les fantasmes islamophobes dominent aujourd’hui le débat public. » Jean-Luc Mélenchon a mis ces mots au cœur de son intervention samedi 6 décembre, lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner d’éventuels liens entre des partis politiques et des réseaux dits « islamistes ». Cette commission, lancée par Les Républicains, a été contestée dès sa création par les groupes de gauche pour son orientation jugée partisane et l’absence de représentants de l’opposition dans sa direction.
Le fondateur de La France insoumise (LFI) a ouvert son propos en évoquant l’héritage historique de la laïcité en France, mais c’est en abordant la situation des musulmans qu’il a donné le ton : selon lui, ces fantasmes islamophobes structurent aujourd’hui une partie importante du débat public français. Mélenchon a estimé que les citoyens de confession musulmane subissaient un traitement d’exception. Pour le démontrer, il a comparé leur situation à celle d’autres communautés : « Les catholiques ne font pas l’objet, fort heureusement en France, de persécutions, de discriminations comme c’est le cas pour les musulmans aujourd’hui. »
Il a présenté ces discriminations comme le résultat d’une construction politique : « C’est ça qu’ils espèrent, qu’on s’entretue entre nous, qu’on commence à se disputer entre Français parce que celui-ci n’est pas de la bonne religion ou celui-là. »
Par ce « ils », Mélenchon désigne des responsables politiques de droite et d'extrême droite, mais aussi certains groupes médiatiques, selon lui, à l’origine d’un climat de division et de suspicion généralisée envers les musulmans. Il décrit une stratégie visant à faire des musulmans un problème public, sur la base d’amalgames, d’accusations sans fondement, ou de récits de « menace islamiste » construits à des fins politiciennes.
Sur le mot même d’« islamophobie », Jean-Luc Mélenchon a reconnu une évolution dans sa position personnelle : « Au départ, j’étais hostile à l’utilisation du mot islamophobie parce qu’on me disait : “Alors tu nous interdis de critiquer l’islam” ». Il a ainsi assumé employer ce terme pour qualifier une phobie centrée spécifiquement sur les musulmans, en dehors de toute critique légitime d’une religion ou d’une idéologie.
- Port du voile
Jean-Luc Mélenchon a également exprimé son refus de toute injonction concernant le port du voile, en liant cette question à la liberté individuelle et à la laïcité : « On n’a pas à dire à une femme comment elle doit s’habiller. Ni en lui disant “t’en mets trop”, ni en lui disant “t’en mets pas assez”. »
Par cette phrase, il affirme que la République ne peut ni imposer ni interdire un vêtement religieux, dès lors qu’il relève du choix personnel. Il oppose cette position à ce qu’il perçoit comme des dérives islamophobes, où des femmes musulmanes seraient stigmatisées en raison de leurs pratiques vestimentaires, sous prétexte de laïcité.
- Persécutions religieuses passées
Dans une volonté de mise en perspective, Mélenchon a évoqué plusieurs épisodes de l’histoire de France où d’autres minorités ont été ciblées : « C’est aussi vieux que la guerre de Religion entre catholiques et protestants. C’est l’invention par le supposé "Saint-Louis", en réalité Louis IX, de la rouelle, des incendies de Torah et de l’expulsion des Juifs » à 11 reprises à travers l'histoire française.
La référence de Mélenchon au Moyen Âge et aux guerres de religion visait à inscrire l’islamophobie actuelle dans une longue perspective française de persécutions à caractère religieux, que la République aurait pour mission d’empêcher de réapparaître.
- Loi de 1905 et CCIF
Mélenchon a aussi réaffirmé son attachement à une conception stricte mais inclusive de la laïcité, fidèle à la loi de 1905 : « La loi de 1905 et la laïcité, redisons-le pour ceux qui nous écoutent à cet instant, ce n’est pas un athéisme d’État. »
Il a ajouté : « C’est pour ça qu’existe la loi laïque de 1905 et qui nous revient à tous, quelle que soit notre partie, de la faire vivre dans son intelligence spécifique. » Mélenchon a insisté sur l’idée que la laïcité ne signifie ni rejet de la religion ni neutralité vide de sens, mais un cadre garantissant à la fois la liberté de croire ou de ne pas croire, et la non-ingérence de l’État dans les convictions religieuses.
Enfin, il est revenu sur la dissolution du Conseil contre l’islamophobie en France (CCIF), prononcée en 2020 : « C’est précisément ce qui avait conduit en 2020 à la dissolution du CCIF par le ministre de l’Intérieur, qui était alors Gérald Darmanin. »
Mélenchon a relié cette décision à ce qu’il décrit comme une stratégie globale de criminalisation de l’antiracisme musulman. Il a rappelé que selon les auditions menées jusque-là, aucun service de renseignement ou chercheur n’avait confirmé l’existence de liens entre LFI et des « islamistes » : « Aucun ne dit qu’il y a un lien entre nous et les islamistes. »
- Islamophobie croissante
Les propos du fondateur de LFI résonnent dans un contexte marqué par une recrudescence chiffrée des actes antimusulmans en France. Selon le ministère de l’Intérieur, ces actes ont augmenté de 75 % sur les cinq premiers mois de l’année 2025 par rapport à la même période en 2024.
Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) et d’autres organisations dénoncent, de leur côté, une sous-déclaration chronique de ces violences et discriminations, bien au-delà des seuls actes recensés par la police. Plusieurs études confirment en parallèle qu’une majorité de musulmans vivant en France se disent confrontés à des formes récurrentes de stigmatisation. C’est dans ce climat que Jean-Luc Mélenchon a alerté sur « les fantasmes islamophobes » nourrissant le débat public, qu’il accuse d’alimenter la division plutôt que de défendre les principes de la République.
