À Gaza, la liberté de la presse enterrée sous les bombes
– « Il n’y a rien à célébrer », déclare un journaliste de Gaza en cette Journée mondiale de la liberté de la presse : « Le génocide continue. Le silence des institutions internationales est assourdissant »

Gazze
AA / Gaza /Jomaa Younis, Mohamed Majed, Ikram Kouachi
Alors que le monde commémore la Journée mondiale de la liberté de la presse ce 3 mai, les journalistes palestiniens de Gaza vivent l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire du journalisme. Dans cette enclave assiégée, les caméras sont devenues des cibles et les mots peuvent coûter la vie, alors que la guerre génocidaire menée par Israël se poursuit.
Depuis le 7 octobre 2023, au moins 212 journalistes palestiniens ont été tués, la majorité en couvrant le conflit sur le terrain ou dans leurs foyers visés par les frappes israéliennes, selon les chiffres officiels et locaux.
Le Centre palestinien des droits de l’homme confirme qu’il s’agit du bilan le plus lourd pour la profession dans un seul conflit depuis 1992.
« Ce n’est plus un métier en danger, c’est une profession qu’on brûle vive à l’antenne », confie un journaliste local.
– Un cri pour la justice
Sami Shahadeh, journaliste amputé d’une jambe après une frappe israélienne, aujourd’hui interdit de sortie pour soins, décrit un paysage médiatique transformé en champ de bataille :
« Porter une caméra, aujourd’hui, c’est porter la peur. Il y a une campagne délibérée de déformation et de ciblage des journalistes palestiniens. Ce n’est pas un hasard, c’est un système », dénonce-t-il auprès d’Anadolu.
Comme beaucoup de ses collègues, Shahadeh estime que les institutions internationales les ont abandonnés.
« Nous avons le droit de montrer la vérité. Il est temps que les tribunaux internationaux appliquent les lois censées nous protéger. »
Ramzi Mahmoud, autre journaliste collaborant avec Anadolu, a survécu aux bombardements, mais a perdu 19 membres de sa famille, dont sa femme, sa fille, sa mère et ses sœurs.
« En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, il n’y a rien à célébrer. Le génocide continue. Le silence des institutions internationales est assourdissant. »
– Des cibles, pas des dommages collatéraux
Mutia Mosbah, journaliste à Gaza, estime que le ciblage des professionnels des médias fait partie d’une stratégie plus large : « Ce n’est pas un accident. C’est une volonté calculée de faire taire la voix palestinienne. »
Malgré tout, dit-il, « nous poursuivrons notre mission. »
À Gaza, lors d’un rassemblement de journalistes, le jeune reporter Mohammed Jarbouh brandit un micro et lance un appel : « Nous avons perdu des confrères dans chaque province, mais nous sommes là pour porter leur voix. Stoppez la guerre. Laissez-nous raconter l’histoire. »
– Gaza : l’endroit le plus meurtrier au monde pour les journalistes
Ajith Sunghay, chef du Bureau des droits de l’homme de l’ONU dans les territoires palestiniens occupés, estime que Gaza est devenue l’une des zones les plus dangereuses au monde pour les journalistes. Il affirme que l’ONU pense qu’Israël tue délibérément des journalistes pour empêcher toute couverture indépendante.
Selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, 409 professionnels des médias ont été blessés, 48 arrêtés et 212 journalistes tués.
28 familles de journalistes ont été entièrement décimées et 44 maisons de professionnels de l’information détruites.
Les pertes du secteur médiatique à Gaza sont estimées à 400 millions de dollars, avec la destruction de nombreuses agences, studios, équipements et centres de formation.
« Ce n’est pas une coïncidence, mais une campagne organisée pour faire taire ceux qui documentent le génocide », accuse Ismail al-Thawabta, directeur du bureau des médias.
Le Centre palestinien des droits de l’homme et plusieurs ONG estiment que ces attaques constituent des crimes de guerre au regard du Statut de Rome.
– Appel à la protection
Les journalistes de Gaza appellent la communauté internationale à assurer leur protection : garanties légales, outils de communication sécurisés, équipements de sécurité… et surtout le droit de vivre et d’informer.
Le Statut de Rome, également appelé Statut de la Cour pénale internationale, est le traité international fondateur ayant établi la Cour pénale internationale (CPI). Ce texte juridique définit le cadre, les compétences et le fonctionnement de la Cour, chargée de juger les crimes les plus graves touchant la communauté internationale, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide.
Alors que 2,4 millions de Palestiniens vivent sous les bombes, affamés et assoiffés, les journalistes de Gaza continuent à tenir le coup, portant leur caméra et plume à la main. « Il est temps que le monde entende notre cri », souligne Mahmoud. Et d'ajouter : « Protégez les témoins, car sans eux, il n’y aura plus d’histoire à raconter. »
*Traduit de l'anglais par Sanaa Amir