Journal de l'Islamophobie

Projet de loi sur le séparatisme : le Directeur exécutif du CCIF dénonce une islamophobie d'État (Entretien)

- Jawad Bachare, du Collectif Contre l’Islamophobie en France, estime que "les déclarations faites par le Gouvernement français participent à désinhiber la parole xénophobe et à multiplier les actes islamophobes".

1 23  | 29.09.2020 - Mıse À Jour : 29.09.2020
Projet de loi sur le séparatisme : le Directeur exécutif du CCIF dénonce une islamophobie d'État (Entretien)

Ankara

AA - Paris - Ümit Dönmez

Le Directeur exécutif du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) a fait état, lundi, d'une désinhibition accrue de la parole islamophobe au sein des élus de la République Française, le représentant de l'organisation non gouvernementale (ONG) dénonçant notamment une "islamophobie d'État".

Alors que l'exécutif français s'apprête à présenter le « projet de loi contre le séparatisme » le 2 octobre prochain, et qu'il laisse planer le doute sur son contenu réel, Jawad Bachare, du CCIF, interrogé par l'Agence Anadolu (AA), a appelé les dirigeants français à une prise de conscience face à la multiplication des propos et actes islamophobes provenant de politiciens ainsi que des médias du pays, notamment dans le débat public, lourdement ancré sur les pratiques religieuses des Français de confession musulmane.

- Violation des libertés religieuses qui sont criminalisées

Le Directeur exécutif du CCIF dénonce "l'état d'esprit islamophobe, assimilationniste et liberticide" régnant dans le débat constitué autour du « projet de loi contre le séparatisme » annoncé de longue date, puis reporté, par le président Emmanuel Macron, avant de placer le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en charge du dossier en collaboration avec la Ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa.

"Ce que nous comprenons des déclarations de Madame Schiappa et de Monsieur Darmanin, est que les Français de confession musulmane sont visés à travers ce projet de loi prétendument axé sur l'islam radical", estime Jawad Bachare qui fait état d'une "ingérence de l'État dans le culte", notamment autour du port du foulard, et soulignant que ces violations "contreviennent à la loi de séparation État et église, qui est une loi fondamentale de notre République".

Bachare estime que dans le débat public français, "qu'il s'agisse de politiciens ou de médias, on criminalise les pratiques religieuses par les déclarations", le directeur exécutif du CCIF exprimant son regret que cela se fasse "en dépit voire en contravention directe des lois".

- Le dévoiement de la laïcité à l'Assemblée nationale

Selon Bachare, "l'islamophobie renvoie au concept assimilationniste, à l'idée de penser comme le dominant, ça renvoie au colonialisme en Algérie et dans d'autres pays", déplore-t-il, constatant un "dévoiement de la laïcité à des fins notamment dites identitaires".

Citant l'événement survenu à l'Assemblée nationale le 17 septembre dernier, lorsque la députée La République en Marche (LREM) Anne-Christine Lang avait quitté une séance de travail à l’Assemblée nationale française pour protester contre la présence d’une syndicaliste, Myriam Pougetoux, qui portait un foulard, Bachare rappelle la position du CCIF qui avait condamné la décision de la politicienne, contraire à la loi, et qualifiée de discriminatrice à l'égard des femmes portant le foulard dans le respect du droit français.

"Vous avez très bien fait de quitter cette audition. Car au-delà du buzz que vous recherchez dans une période propice à la polémique, vous n’avez strictement rien à faire dans un lieu qui respecte (encore) certaines libertés fondamentales", avait notamment déclaré l'ONG sur le site Internet « Twitter »., l'ONG qualifiant dans un autre tweet l'acte de la députée comme "discriminatoire".

Le juriste et militant, Nicolas Cadène qui est également Rapporteur général de l'Observatoire pour la laïcité, une commission consultative chargée de conseiller et d’assister le gouvernement français sur le respect et la promotion de la laïcité, avait publié le rappel suivant sur le réseau social :

"En réponse aux nombreuses sollicitations : Une auditionnée, si elle n’exerce aucune mission de service public, peut porter un signe religieux. La laïcité suppose la neutralité de ceux qui exercent le service public, et garantit la liberté des autres sans trouble à l’ordre public", avait souligné le juriste, après l'émotion suscitée sur les réseaux sociaux par l'intolérance de Lang.

- Le débat récurrent sur les femmes voilées

Bachare rappelle également le débat récurrent sur « les mamans voilées » accompagnatrices lors des sorties scolaires ou d'activités extra-curriculaires, ainsi que l'épisode de la terrible humiliation qu’avait eue à subir une mère de famille en octobre 2019, lorsque cette dernière avait été publiquement pointée du doigt par le conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, Julien Odoul, qui lui reprochait le port du foulard dans le bâtiment du Conseil régional, ainsi que «l'affaire du burkini ».

"En France, avez-vous le droit d'être musulman et de pratiquer votre religion dans le respect de la loi ? Nous en sommes arrivés là, à nous poser cette question", déplore Jawad Bachare, qui déclare ne pas comprendre le sens de cette fixation sur le foulard :

"Vous allez retirer un document au fisc, on vous demande d'enlever le voile, c'est illégal et incompréhensible", fustige le militant français, rappelant que cette "ingérence des fonctionnaires de l'État dans le culte individuel contrevient à la loi de séparation État et Église, qui est une loi fondamentale de notre République".

- La diffusion des valeurs de l'extrême droite dans le reste de l'échiquier politique

Le directeur exécutif du CCIF déplore la banalisation et l'impunité relative de la parole islamophobe au sein de dirigeants politiques comme dans les médias français.

"L'extrême droite gagne du terrain (tout en perdant des voix)", explique Bachare qui évoque "un esprit anti-musulman qui se généralise, qui se répand dans la mosaïque politique du pays", et le militant d'ajouter :

"Nous constatons un glissement des valeurs de l'extrême droite vers le reste du spectre politique", déplore-t-il rappelant les agressions verbales "contre des femmes portant un foulard" mais également "cette haine déversée contre les Musulmans sur les plateaux télés depuis de nombreuses années".

Bachare note également que plusieurs présidents ou premier ministres français ont tenu un langage semblable à celui de l'extrême-droite, et que ceux-ci ont également pris pour cibles les Français de confession musulmane dans leurs déclarations, souvent dans l'impunité

- Les déclarations anti-musulmanes n'aident pas nécessairement les politiciens à gagner les élections

Le militant cite les noms de l'ancien Président français et ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, de l'ancien Président François Hollande ainsi que l'ancien Premier ministre Manuel Valls. Bachare rappelle notamment la "loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics", mais également le débat public ayant pris place sur le sujet :

"Les Français de confession musulmane ont été ciblés de façon répétitive et insistante, dans le débat autour la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostensibles. Les politiciens et les médias ne parlaient que des musulmans et de l'islam ; et de la même façon pour le débat sur la loi de 2010 à propos de la dissimulation du visage", déplore le militant qui lutte contre la xénophobie et qui condamne "la généralisation de la rhétorique anti-musulmane" dans le paysage politique français.

Jawad Bachare note cependant que tous les dirigeants de l'exécutif français ayant tenu un discours anti-musulman avaient perdu les élections suivantes, citant Sarkozy et Valls pour exemples.

- La libération de la parole anti-musulmane mène directement à l'augmentation des actes islamophobes

Jawad Bachare souligne selon les observations faites par le CCIF au fil des années, qu'il y a un lien de causalité directe entre la libération de la parole anti-musulmane au sein des politiciens ainsi qu'à travers les médias, et l'augmentation constatée en France au cours des années passés des actes islamophobes.

"C'est très simple, dès qu'une telle déclaration arrive, le CCIF constate une hausse des actes islamophobes, ça ne pose aucun doute sur le lien de cause à effet", explique le directeur exécutif de l'ONG française, soulignant par ailleurs la minutie de leur méthodologie et évoquant notamment les vérifications des faits, réalisées par le service juridique du CCIF.

Bachare appelle les politiciens ainsi que les médias français à adopter une attitude plus responsable et plus respectueuse de l'ensemble des citoyens français, sans discrimination quelconque.

- Le CCIF dénonce une islamophobie d'État

Selon le directeur exécutif du CCIF, "les musulmans de France sont stigmatisés par des fonctionnaires, et malheureusement cela réconforte l'idée d'islamophobie d'État".

Bachare rappelle que 59 % des actes recensés comme islamophobes par le CCIF, émane du service public, et souligne son inquiétude :

"C'est inquiétant dans le sens où on est censé appliquer les textes qui différencient l'usager et le fonctionnaire", explique le militant.

Il rappelle que les fonctionnaires ont l'obligation d'appliquer et de respecter la neutralité religieuse de l'État, mais que les usagers, les citoyens non-fonctionnaires sont libres porter le foulard dans les bâtiments publics", ajoutant qu'il est "injuste et illégal de demander à une femme d'enlever son voile pour retirer un document dans une institution publique".

Soulignant de que l'administration de l'État français est "le premier discriminant", le directeur exécutif de l'ONG constate également la diffusion dans le secteur privé de cet état d'esprit qu'il juge "contraire à la liberté religieuse".

- Montée en flèche des actes islamophobes

Jawad Bachare souligne que "les actes islamophobes en France ont augmenté de 77 % en 2 ans", selon le dernier rapport annuel du CCIF, l’organisation ayant reçu 446 signalements en 2017, et 789 en 2019.

On apprend également dans le rapport annuel 2019 que « 70% des actes islamophobes ciblent des femmes », et que « 59% des actes islamophobes sont des discriminations ».

Le directeur exécutif du CCIF appelle les élus politiques ainsi que les travailleurs des médias à adopter "une attitude plus inclusive et respectueuse des droits et libertés religieuses sans discriminer ou montrer les gens du doigt pour leur religion".

Bachare conclut en soulignant que "les Français musulmans ne cherchent pas à modifier les lois de la République".

Le militant déplore "cette oppression qui se fait en dépit du droit" ainsi que "la restriction en cours, des libertés individuelles en France depuis quelques années".





Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.