Monde, Journal de l'Islamophobie

Loi "séparatisme": Le Sénat français élargit le champ des interdictions visant les musulmans

- Le Professeur Raphael Liogier, académicien au sein de l’Université Science-Po Aix-en-Provence, estime que ce projet de loi est "autoritaire" et qu’il éloigne la France des valeurs de la République, contrairement à ce qu’il prétend vouloir défendre

Yusuf Özcan  | 15.04.2021 - Mıse À Jour : 15.04.2021
Loi "séparatisme": Le Sénat français élargit le champ des interdictions visant les musulmans

Ile-de-France

AA / Paris

Lors de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, aussi connu sous le nom "projet de loi contre le séparatisme", le Sénat français a adopté un certain nombre d'amendements qui élargissent le champ des interdictions visant les musulmans, en particulier les femmes qui portent le voile islamique.

A l'issue des travaux, les Sénateurs ont adopté à 208 voix contre 109, le projet de loi en question, qui doit désormais être voté en 2ème lecture à l'Assemblée nationale.

Le Sénat est dominé par "Les Républicains", parti de droite, qui a profité de ce projet de loi pour apporter plusieurs autres restrictions et interdictions visant les musulmans, sous prétexte de lutter contre "l'islam politique" et le "séparatisme islamiste".

Les musulmanes portant le voile ont fait l'objet de nombreux débats. Ainsi, elles sont désormais exclues des sorties scolaires, des compétitions sportives, de la piscine, et les jeunes filles de moins de 18 ans ne pourront plus porter le voile dans l'espace public.

D’autres interdictions accompagnent ces premières mesures : l’interdiction d’arborer le drapeau d’un pays autre que ceux de l’Union européenne pendant les mariages, le refus d’accorder un titre de séjour aux étrangers qui s’opposeraient "aux valeurs de la République", ou encore l’interdiction de prier dans les couloirs des universités.

En toute fin des travaux au Sénat, deux autres amendements de dernière minute ont été adoptés.

Ils ont été voulus par le Président de la République Emmanuel Macron, suite à la polémique autour de la décision de principe de la Municipalité de Strasbourg d’accorder une aide financière à la construction de la Mosquée Eyyûb Sultan, portée par le Milli Görüs, et le projet d’ouverture d’une école privée à Albertville, un autre projet de la fédération Milli Görüs. Il faut rappeler que cette fédération de musulmans originaires de Turquie, est l’une de celles qui refusent de signer la Charte des Imams.

Le premier de ces amendements apporte l’obligation d’informer 3 mois à l’avance les préfets sur une future subvention municipale aux lieux de culte, alors que le second permet aux préfets de s’opposer à l’ouverture d’une école « pour des motifs tirés des relations internationales de la France ou de la défense de ses intérêts fondamentaux ».

- Un projet de loi "autoritaire"

Dans des déclarations à l’Agence Anadolu, le Professeur Raphael Liogier, académicien au sein de l’Université Science-Po Aix-en-Provence, estime que ce projet de loi est "autoritaire" et qu’il éloigne la France des valeurs de la République, contrairement à ce qu’il prétend vouloir défendre.

"Le texte est un projet de loi autoritaire qui prend pour cible la société. L’État est sorti du cadre de la démocratie. La démocratie ne signifie pas seulement avoir la majorité, elle nécessite aussi de ne pas écraser les minorités. Des décisions, des interdictions arbitraires sont imposées, et ceux qui ne les respecteraient pas seront punis. L’interdiction à la piscine d’un maillot islamique est arbitraire. L’interdiction des mères voilées en sortie scolaire, celle de porter le voile par des filles mineures dans l’espace public, sont scandaleuses. Ceci est contraire aux principes de la République, à la Constitution et aux libertés sociales", a-t-il dénoncé.

- Ces articles sont contraire à la jurisprudence de la CEDH

Le Professeur Liogier est également très critique vis-à-vis de l’interdiction de prier dans les couloirs des universités, estimant que cette interdiction ne doit pas exister, car contraire à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Il s’agit ni plus ni moins de projets de loi qui ne font qu’alimenter le populisme par des politiciens qui croient que l’identité française est en péril. "Les musulmans sont les victimes de cet état d’esprit".

Pour l’académicien, cette surenchère est alimentée par l’obsession d’obtenir plus de voix, car "taper sur les musulmans rapporte électoralement".

"Ce sont des démarches en vue des élections de 2022, ce n’est pas surprenant. Mais ce qui m’étonne, c’est que ceci fasse gagner des voix. Cela montre la vision de l’opinion publique française", a-t-il dit.

"Si vous voulez gagner des voix en France, vous devez défendre les discriminations envers les minorités, en particulier les musulmans. La situation de l’électorat français est inquiétante. L’opinion publique française est en faveur de ces lois", se désole l’universitaire.

"Si ces articles sont adoptés par l’Assemblée nationale, à mes yeux, la France n’est plus une démocratie comme la décrit le philosophe allemand Jürgen Habermas. Alors que nous demandons à tout le monde de porter un masque, interdire les maillots islamiques et le voile dans l’espace public serait absurde. Une personne qui porte un châle par ce qu’elle a froid ne sera pas inquiétée, mais une musulmane qui porte le voile pourra être punie par la loi. C’est incroyable. Je ne pensais pas que ce pays en arriverait là", a-t-il encore déclaré.

- Que prévoit le projet de loi ?

Le texte qui vient donc d’être adopté par le Sénat est composé de 51 articles.

Il prévoit notamment l’interdiction de la polygamie et du mariage forcé, la restriction de l’enseignement à distance, la réévaluation des écoles privées, et un contrôle plus strict des activités et finances des associations.

Il facilite la fermeture des associations religieuses qui feraient la promotion de la violence ou du sexisme.

Les associations qui bénéficieraient d’une aide supérieure à 10 mille euros venant d’un pays étranger, devront déclarer la source de cet argent, sous peine d’amendes.

Le texte rend obligatoires l’enseignement en classe pour les enfants de 3 à 16 ans, saut cas particuliers (maladie) pour lesquels l’État donnerait l’autorisation de suivre un enseignement à domicile.

Les associations religieuses auront l’interdiction d’organiser ou d’accueillir des réunions politiques et d’accrocher des affiches à caractère politique.

* Traduit du turc par Tuncay Çakmak





















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