Islamophobie : Ersilia Soudais dénonce les propos qualifiant les consommateurs halal de “soldats d’un djihad économique”
- Ces affirmations sont « à la fois islamophobes et complotistes » déclare la députée
Istanbul
AA / Istanbul / Seyma Erkul Dayanc
La députée La France insoumise (LFI) Ersilia Soudais a dénoncé les propos de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, qui décrit dans son ouvrage « Le Djihad par le marché » le commerce halal comme un outil d’influence idéologique et qualifie les consommateurs musulmans de « soldats d’un djihad économique ». Selon la députée, ces affirmations sont « à la fois islamophobes et complotistes » et il n’y a « pas plus à dire » sur le sujet, a-t-elle déclaré à Anadolu.
Interrogée sur l’idée selon laquelle « l’État français contribuerait à son insu à l’islamisation », la députée LFI Ersilia Soudais a jugé cette hypothèse « complètement aux antipodes de ce qu’on peut observer dans la société française », soulignant que l’État français « ne cesse d’avoir des politiques islamophobes ». Elle a cité plusieurs exemples pour étayer son propos, parmi lesquels le slogan « Vive le sport, à bas le voile » de Retailleau, la chasse à l’abaya menée par Gabriel Attal, et l’interdiction du port du voile à l’École nationale de la magistrature décidée sous l’autorité de Gérald Darmanin, ainsi que diverses déclarations de membres du gouvernement.
La question de la ségrégation institutionnelle visant les musulmans en France avait également été relevée par le politologue François Burgat, qui avait dressé un constat sévère sur l’évolution du climat politique français, évoquant notamment une « cascade de mesures » affectant associations, structures éducatives et maisons d’édition musulmanes, et soulignant les obstacles administratifs et institutionnels qui limitaient l’accès des musulmans à certaines institutions et procédures.
- Menace identitaire et perception sociale
Concernant la perception du marché halal par rapport à d’autres régimes alimentaires, tels que le casher, le bio ou les produits équitables, Soudais a souligné que « la focalisation sur le halal relève de l’islamophobie ». Elle a précisé qu’il ne fallait « pas tomber dans le piège d’opposer halal et casher », rappelant que cette opposition « fait partie d’une stratégie qui utilise la communauté juive contre la communauté musulmane ».
Plus largement, la députée a souligné que l’islamophobie en France a à la fois « une dimension politique » et « une dimension médiatique », qui conduisent à légitimer des violences contre les musulmans. Elle a précisé que les femmes portant le voile, « particulièrement visibles, sont donc plus facilement ciblables », et que cette focalisation vise indirectement aussi les hommes musulmans, en raison d’une « vision rétrograde de l'homme musulman ».
Des analyses antérieures ont abordé la peur du halal comme phénomène social. La scénariste Baya Kasmi déclarait que « la peur du halal, c’est la peur de l’islamisation… Tout cela n’est que pur fantasme et pourtant la peur est réelle, la maladie psychique est réelle ». Elle ajoutait que cette peur rappelle des réactions liées à d’autres formes de discrimination : « Il suffit d’entendre la façon dont on parle aujourd’hui du racisme… le raciste souffre d’islamophobie ».
La chercheuse australienne Shakira Hussein, spécialiste de l’islamophobie et de la représentation des musulmans, a noté que « les campagnes anti-halal reproduisent les mêmes schémas que les campagnes antérieures contre les produits casher, soulignant que le problème n’est pas économique mais identitaire ».
- Prescriptions religieuses et consommation
Selon plusieurs chercheurs et historiens, les prescriptions religieuses musulmanes liées à l’alimentation, notamment l’interdiction du porc et de l’alcool et l’abattage rituel, ne visent pas à imposer un modèle économique ou politique universel.
Comme le note l’historien Maxime Rodinson dans ses travaux sur l’islam et les sociétés musulmanes, ces pratiques relèvent avant tout d’un cadre religieux et culturel.
- Marché halal et économie mondiale
Dans son ouvrage, Florence Bergeaud-Blackler décrit le marché halal comme « le levier économique d’un assaut civilisationnel silencieux » et présente les consommateurs musulmans comme des « soldats d’un djihad économique ». Elle évoque également la « cascade de normes halal imposées par certains acteurs », le rôle des mouvements islamistes dans la diffusion de ces pratiques, ainsi que l’influence de la standardisation internationale des produits halal sur les marchés non musulmans.
Selon un rapport du cabinet DinarStandard, le marché mondial de l’alimentation halal est en forte croissance, et sa valeur devrait passer d’environ 987 milliards d’euros en 2018 à 1 740 milliards en 2027, reflétant la demande des consommateurs et l’ouverture des marchés alimentaires globaux. Parmi les principaux exportateurs de produits halal figurent le Brésil, l’Inde, les États-Unis et la Russie, qui ne sont pas des pays à majorité musulmane, ce qui montre que ce commerce suit des logiques économiques classiques.
- Laïcité et perspective citoyenne
Interrogée sur la manière de replacer le marché halal dans une perspective économique et citoyenne plus apaisée, Soudais a insisté sur la nécessité de repartir de la véritable définition de la laïcité : « la laïcité étant le droit de croire ou de ne pas croire et le droit de pratiquer sa religion en toute liberté. Si on en revient à cette définition première, je ne vois pas en quoi il y aurait un problème avec le marché halal ».
Contactée par Anadolu, Florence Bergeaud-Blackler n’a pas répondu à nos sollicitations.
