Monde, Journal de l'Islamophobie

Expert : La France fait fi des droits de la quatrième génération d'immigrés

- "Les descendants des colonisateurs ne veulent pas accepter que les descendants des colonisés puissent faire entendre leur voix et réclamer leurs droits", déclare François Burgat

Rabia Ali  | 23.09.2023 - Mıse À Jour : 25.09.2023
Expert : La France fait fi des droits de la quatrième génération d'immigrés

France

AA / Istanbul / Rabia Ali

La cause profonde de l'opposition à l'islam dans la société française provient de la réticence des “descendants des colonisateurs” à accepter que les “descendants de colonisés” fassent aujourd’hui entendre leur voix.

C'est ce que pense le politologue français François Burgat qui déclare : "Les “descendants des colonisateurs” n’acceptent pas que les “descendants des colonisés” fassent entendre leur voix pour revendiquer leurs droits".

Pour FB, la défense de la laïcité, généralement mise en avant pour justifier en France l'opposition à l'islam, est loin d’en être la cause première.

Pour étayer son propos, Burgat rappelle ainsi, qu'en France, le fait qu’une femme de ménage porte le hijab n’a jamais posé le moindre problème. C’est lorsque cette femme entend devenir avocate ou professeur que la société se met à vouloir “défendre la laïcité”.

Ainsi pour l’auteur, la défense de la laïcité est aujourd’hui instrumentalisée de manière très sélective contre les musulmans bien davantage qu’elle ne l’est contre les catholiques ou les juifs.

Confortablement installé dans un appartement du dernier étage de Taksim, à Istanbul, l'analyste français a fait part à Anadolu de son point de vue sur la montée de l'islamophobie et la situation des musulmans dans la société française.


** Contexte

L'analyste politique estime que le cadre général de cette séquence doit être rattaché au fait que l’Occident sort d'une phase où il était en situation d'hégémonie politique, militaire, économique et symbolique.

Ainsi la France présente dans ce contexte une double spécificité :

La première trouve son origine dans l’itinéraire de sa révolution de 1789, à savoir dans "le fait que les révolutionnaires français n'ont pas uniquement lutté contre la royauté, mais également contre l'Eglise, qui était l'alliée de la monarchie absolue".

Pour lui, les islamophobes ont ainsi le loisir d’affirmer aujourd’hui qu'ils ne sont pas spécifiquement hostiles à l'islam mais seulement opposés au fait qu'une religion quelle qu’elle soit se manifeste dans la sphère publique. Burgat estime que cela renforce de ce fait la position de tous ceux qui entendent s'opposer à l'islam.

Mais l'autre spécificité qu'il mentionne, et qu’il considère comme plus importante que la première, est le passé colonial de la France.

Pour le chercheur, il est important de rappeler que la rencontre entre la France et les musulmans s’est, pendant deux siècles, tenue exclusivement en terre musulmane, dans des sociétés sur lesquelles les Français avaient, de surcroit, établi leur hégémonie militaire.

Les choses ont complètement changé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Français, pour reconstruire leur économie, ont décidé d’importer par milliers des travailleurs d’Afrique du Nord et donc… des Musulmans. Les Français se sont retrouvés ainsi dans une situation où ceux qu'ils avaient colonisés sur leur propre territoire ont commencé à faire leur apparition dans leur propre société, explique-t-il.

Or, la première génération de ces travailleurs, particulièrement démunie, savait très mal parler le français. La seconde génération ne savait que peu l’écrire. La troisième ne maîtrisait pas les codes de la communication. Mais la quatrième génération, la dernière, celle dont ”la France bénéficie aujourd’hui”, sait communiquer et revendiquer. Avec force, ses membres réclament à la fois les droits inhérents à leur nationalité mais également “le droit de participer à l'écriture de l'histoire de leur rencontre avec la France".


** Discrimination

Burgat estime que les musulmans ne sont pas la seule cible au sein de la société française.

Qualifiant les racines de la tension avec les musulmans d’avant tout “postcoloniales”, il affirme qu’une réaction voisine de l'islamophobie s'étend à certains africains non-musulmans.

Si un musulman réclame ses droits, il sera généralement dénigré du fait de son “islamisme” supposé. Si un homme issu des sociétés subsahariennes, un Noir non musulman, fait de même, il sera toutefois traité de la même manière. Mais il ne sera pas décrié en tant qu'”islamiste”, mais, parce qu’il défend les droit d’une minorité, en tant que “racialiste".


** La gauche

Le chercheur explique, qu'à l'heure actuelle, une dimension essentielle de la situation française tient au fait que la majorité de la gauche se montre totalement incapable de soutenir les musulmans. Car, depuis toujours, le socle de ses convictions réside dans… son opposition à la religion.

Tout au long de l'histoire de la France, la religion a joué un rôle considéré comme négatif. La gauche ne peut donc pas se résoudre aujourd’hui à l'idée qu’une religion puisse - dans un contexte totalement différent - jouer un rôle moins nocif que celui joué par l'église. La gauche ne dispose d’aucun “logiciel” lui permettant de contrer l’islamophobie.

Ainsi, lorsque le parti de la France insoumise (LFI) a souhaité défendre les musulmanes sur le terrain de l'interdiction du port de l'abaya dans les écoles, il a cru devoir affirmer que “l'abaya n'a rien à voir avec la religion”. Or cela est “une analyse très discutable”. La vraie question à poser aurait dû être la suivante : “Quand la France va-t-elle enfin accepter que l'identité musulmane soit présente dans la sphère publique sans être criminalisée ?"


** Objectif

L'analyste français estime que l'objectif des hommes politiques français est clair et bien identifié : il n’est que celui de se faire élire et… réélire. Ils sont donc plus attachés à l’état de l’opinion publique, à laquelle ils sont prêts à se soumettre quelle qu’elle soit, qu’à des principes précis en matière religieuse. Hélas, après les élections présidentielles, il y a les législatives et après les législatives…les européennes etc…

Et de souligner que le débat politique en France, qui opposait autrefois la gauche et la droite, a bien changé. Depuis 2020, lorsque le président Macron a compris que pour être réélu, il devait mobiliser les voix de l'extrême droite, la compétition politique majeure s’opère entre l'extrême droite d'opposition et… l'extrême droite gouvernementale.


** Que doivent faire les musulmans français ?

Burgat pense qu’il n’existe pas de solution facile, tant le rapport de force est déséquilibré. Il pense toutefois que les musulmans dits laïques devraient prendre conscience qu'ils seront bientôt la prochaine cible des mesures qui visent aujourd’hui leurs compatriotes plus religieux. Il pense également que l’usage de l’arme électorale, souvent dédaignée, devrait être plus systématique.

Les musulmans devraient donc réagir et se faire entendre un peu plus.

Burgat nourrit toutefois de l'espoir pour la génération actuelle.

"Quand je contemple la quatrième génération, je constate qu'elle est forte, intelligente et très fortement motivée. Cela permet un formidable espoir".


**L'avenir

Certains Français considèrent que leurs concitoyens doivent n’exister que sur un modèle unique. Ils refusent l'idée qu'il puisse y avoir des traces d’appartenances culturelles différentes dans une même société. Pour Burgat, "Cela est très dangereux et très contre-productif”. Pour lui, la “défense de la laïcité” a conduit la France “dans une impasse qui, parfois, quand je veux être provocateur, et il faut parfois l’être, me fait dire que c'est une impasse “qui sent très mauvais”".

L'expert français prévoit que d'autres mesures vont sans doute s’employer à essayer de mettre la présence des musulmans au cœur des problèmes de la société française. Il rappelle ainsi que, pour la première fois dans l'histoire contemporaine de la France, un ex Premier ministre, Édouard Philippe, a déclaré qu'il faudrait probablement adopter de nouvelles lois pour contrer spécifiquement les exigences religieuses des citoyens français de confession musulmane”.

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