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RCA: L'agonie des pêcheurs Yakoma au bord de l’Oubangui

"Nous avons initié un code de pêche qui n’a jamais été adopté, à l’exception de la FAO, les partenaires ne s’intéressent pas à ce secteur"

22.05.2014 - Mıse À Jour : 22.05.2014
RCA: L'agonie des pêcheurs Yakoma au bord de l’Oubangui

AA/ Bangui/ Sylvestre Krock/ MA

Au bord de l’Oubangui, des pêcheurs centrafricains  livrés à eux-mêmes résistent de justesse à la crise et lancent des cris d’alarme appelant à sauver le secteur avant qu’il ne soit trop tard, afin d’épargner  famine et perdition à plusiuers famille démunies.

Tous les matins, depuis le port de Ouango-Sao jusqu’à la villa Kolongo (résidence de l’ex-impératrice Catherine Bokassa) des pêcheurs à moitié nue animent le spectacle. Aux ports Amont, Aval, Ngaragba, Sofitel, pas loin de Bangui, ils débarquent souvent munis de modetses gibiers après de longues heures de labeur. "Autrefois, l'Oubangui était assez généreux, mais depuis la crise il est devenu très avare", lance le pêcheur Roger Bodé.

Ces pêcheurs majoritairement issus de l’ethnie Yakoma (à laquelle appartient l’ancien président André Kolingba), se soucient peu des dernières nouvelels du conflit intercommunautaire que vit la RCA, pour se concentrer sur leur « pain quotidien », selon l’expression d’un pêcheur qui a exigé l’anonymat.

Des vendeuses de poissons frais  et des restauratrices se donnent rendez-vous au quotidien avec ces pêcheurs à bord de pirogues en bois. Le gibier est rapidement écoulé après une mi-journée de pêche traditionnelle. Les clientes habituées des lieux, gourmandes, ne laissent rien à leurs fournisseurs. La joie des pêcheurs ayant commercialisé leurs produits se lit à travers un regard scrutant l’Oubangui (affluent majeur du fleuve Congo en Afrique centrale passant par Bangui), un geste émancipé ou encore des vers chantant les louanges du fleuve.

« J’ai commencé à pêcher dès la prime enfance. J’ai appris le métier, grâce à mon oncle paternel, Alain, qui m’avait initié à la pêche au filet (à l’épervier). Il m’avait offert de modestes outils et équipements, au commencement. Après avoir appris à voler de mes propres ailes, j’ai pu acquérir du matériel un peu plus évolué: des filets et une pirogue », se félicite Roger Bodé, pêcheur au site de Saint Sauveur, au bord de l’Oubangui.

Bodé avait compté, se rappelle-t-il, 15000 FCFA (31,48usd) pour l’achat d’une pirogue. Il utilise aujourd’hui « deux sortes de filets, celui de deux doigts et celui de cinq doigts ». Il pêche différentes variétés de poissons : « les M’boutou (poisson à la chair très fine), les Kpété (poisson d'eau douce très apprécié en grillade en Centrafrique, les Cougou (variété de poisson abondante en RCA et les Capitaines (poissons à nageoires rayonnée)».

Bodé se dit, par ailleurs, tout comme les siens, très gêné par le conflit déchirant son pays et affectant son rendement. Toutefois, "gagner de quoi nourrir sa progéniture, choses pas du tout aisée à l'ère des violences secouant le pays, demuere sa pririté absolue.  Avant le déclenchement de ce conflit, nous pêchions souvent la nuit, car en ce moment le fleuve est plus généreux. Or, ce n’est plus le cas aujourd'hui, le danger est à tout bout de champ. Malheureusement, on n’y peut rien », regrette-t-il.

Lendemains flous

Alain Doua, pêcheur rencontré sur le site de Rock-Club, abonde dans le même sens: « du temps du président Kolingba, tout le monde parlait des pêcheurs et de leur "fric abondant". Nous étions très convoités par les filles. Mais, depuis le régime du président Ange-Félix Patassé (1993-2003) jusqu’à présent, encore pire depuis le déclenchement du conflit actuel, la vie n’est plus en rose pour nous. Il y a des armes partout, on tue des gens partout, même sur le fleuve. On y enterre des cadavres, c'est le paroxysme de l'atrocité », égrène Doua.

 Il ne peut toujours pas oublier ce jour "fatal", où, au lieu de retirer des poissons de ses filets,  il a pêché « le cadavre d’un homme tué le matin ». Le pêcheur est encore profondément ému par cette scène désolante, où « le bleu céleste du fleuve s’est couvert d’un rouge effrayant ».

« Tous ces filets que vous voyez sur le sable appartiennent à des pêcheurs désormais chômeurs. Ils ont décidé d’abandonner la pêche, conséquence directe de l’insécurité. "Mais, nous continuons à le faire, en risquant notre vie, car nous n’avons pas de choix, nous devons nourrir nos familles», lance Doua, en poussant un long soupirs.

Il sait que même l’Association nationale de pêcheurs et aquaculteurs de Centrafrique chargée de l’organisation du secteur « ne peut pas faire grand-chose ». D’ailleurs, depuis le déclenchement de la crise, "sa corporation s’est disloquée". Ses membres qui n’ont pas totalement perdu leurs pirogues, filets et hameçons, "tentent toujours de résister face à l’insécurité grandissante".

Marie Yandola, commerçante de poissons au marché central de Bangui, est du même avis qu'Alain Doua. « Notre condition est devenue de plus en plus difficile. Il n’y a pas d’argent dans le pays, tel était le cas à l’ère du président Kolingba ou du président Patassé. Le présent est pire que le passé, avec l’arrivée des Séléka et des anti-Balaka, nos meilleurs clients ont fui le pays », affirme-t-elle en gesticulant.  Ayant à sa charge des enfants encore à l’école, Yandola est « peu confiante en l’avenir ».

Louis Paulin Ndoidé, directeur de la pêche et de l’aquaculture au ministère de l’Economie forestière est, de ce fait, très alarmiste. « Comme vous le constatez, la porte de mon bureau est cassée, tout a été pillé et saccagé. Pas d’ordinateurs, pas de véhicules, pas de hors-bords (moteur fixé à l’extérieur d’un bateau) pour la surveillance de l’eau, il n’y a rien du tout. », réclame-t-il.

 Il conserve pour autant une mémoire fraîche: « depuis 15 ans, nous avons initié un code de pêche qui n’a jamais été adopté. A l’exception de la FAO, les partenaires ne s’intéressent pas à ce secteur. J’espère que la donne changera avec l’intérêt que suscite aujourd’hui la sécurité alimentaire» a-t-il conclu.

 
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