Cameroun : la lutte contre la déforestation passe par la cuisine
« le Cameroun classé au 15ème rang mondial des pays les plus affectés par la déforestation, avec environ 400 000 hectares déboisés entre 1990 et 2005", selon le ministère de la Protection de la nature.
AA/ Yaoundé/ Anne Mireille Nzouankeu
Alors que les plus puissants du monde se disputent un accès effréné aux sources énergétiques de la planète, des femmes camerounaises n’ont pas trouvé mieux que l’adoption d’un nouveau style de vie, pour préserver un bien commun à tous les humains:le bois, une solution qui tente d' inverser la tendance à déforestation dont souffre le pays avec 400 000 hectares déboisés.
Une chambre noire, envahie par des nuages de fumées. Dedans, ça chauffe, ça suffoque et ça donne à voir un voyage au bout de la civilisation. Le champ visuel se contracte comme un soleil progressant dans sa chute, dès que l'on franchit le seuil. Trois silhouettes voilées de smog, à peine visibles, occupent des tabourets et semblent être complètement absorbées par un show qui sort de l’ordinaire. C'était le 25 mars dans le quartier populaire Melen de Yaoundé.
Gesticulant, Marthe Gom, une fonctionnaire retraitée, la soixantaine bien entamée, cuisine à la traditionnelle, sous les regards vigilants de deux amies. Elle se sert d’un foyer culinaire, fait de trois pierres et de bois. Une marmite posée dessus bouillonne et ronfle. Et les yeux piquent et larmoient, tellement les fumées dégagées par ce foyer culinaire sont denses et abondantes.
Marthe Gom est à pied d’œuvre pour une démonstration en guise de comparaison entre foyer culinaire traditionnelle et foyer culinaire dit amélioré.
Pour elle, le premier est synonyme de calvaire, alors que le second lui épargne fatigue et casse-têtes au quotidien. « Pendant 40 ans, j'ai fait la cuisine sur un foyer traditionnel, dans un espace enfumé comme celui-ci. J’en ai beaucoup souffert. J'en ai même été malade car la fumée a endommagé ma santé, et m’a occasionné un mal ophtalmologique et des douleurs à la poitrine », regrette-t-elle.
Economie d’énergies
La condition de Marthe a, toutefois, changé depuis deux ans, lorsque des agents d’une ONG sont passés chez- elle, lui proposant de tester un foyer amélioré. Tentant le coup, elle en a été et en est encore complètement satisfaite. « Ce foyer amélioré a la forme d'un petit seau en aluminium ouvert d’en haut comportant une petite fente d’en bas. Sa forme est cylindrique et il est enduit d'une couche de terre cuite ».
Marthe Gom est aujourd’hui adepte du foyer amélioré et œuvre même à le vulgariser auprès de ses connaissances. << J'ai constaté une grande différence entre les deux outils. Le foyer amélioré produit moins de fumée, je dirais même qu’il n’y a presque pas de fumées. En plus, il consomme moins de bois par rapport au foyer traditionnel. J'utilise environ un tiers en moins de cette matière précieuse si chère à l’Afrique et dépense beaucoup moins d'argent », note-t-elle.
« Avec le foyer traditionnel, il y a un grand gâchis de chaleur, provoqué par les ouvertures qu'il y a entre les pierres. Tandis que celui amélioré permet d’économiser plus d’énergies », explique Régis Priso, un expert en énergie renouvelables exerçant pour le compte d’une ONG locale spécialisée en questions environnementales.
« Les foyers améliorés permettent d’économiser entre 30 et 70% du bois utilisé pour l’alimentation des foyers traditionnels. Ceci étant, avec ces derniers l'énergie qui part de la combustion est concentrée sur la cuisson des repas ».
« Le Cameroun risque une déforestation encore plus aigüe…si… »
« Au Cameroun, la consommation d'énergie domestique pour la cuisson est constituée de 82,3 % de bois de feu, 30,6 % de charbon de bois et 27 % de gaz », selon une enquête réalisée par le ministère de la Protection de la nature en 2012.
La cherté du gaz domestique oblige souvent les ménages à se servir du charbon ou encore du bois en substitut, d’après la même enquête. De ce point de vue, le rapport y afférent, précise qu’une bouteille de gaz domestique de cinq kilogrammes coûte 6 000 francs Cfa (12,61 usd). Une famille de quatre personnes qui n'utilise que du gaz domestique doit acheter environ deux bouteilles de gaz par mois soit un budget de 12 OOO francs Cfa (25,2 usd). Mais, Si la même famille décide de cuisiner au bois, elle ne dépenserait qu'environ un quart de ce budget soit 3 000 francs Cfa (6,3 usd) par mois, selon la même enquête
A cause de cette forte utilisation du bois, « le Cameroun a été classé au 15ème rang mondial des pays les plus affectés par la déforestation, avec environ 400 000 hectares déboisés entre 1990 et 2005, sur 23,9 millions d'hectares de forêt disponible », détaille le rapport du ministère de la Protection de la nature, en se référant à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
« La plupart de ce bois est utilisé pour subvenir aux besoins du pays en énergie », ajoute le même document.
Les experts environnementaux confirment, pour leur part, que la forte utilisation du bois entraine une déforestation qui est à l'origine des changements climatiques de plus en plus visibles au Cameroun. Ces bouleversements ont des répercussions sur l'être humain et son environnement.
« Pour preuve, l’agriculture camerounaise est essentiellement saisonnière et dépend étroitement des pluies. Toutefois, il se trouve que le cycle des saisons est souvent bouleversé et que les pluies attendues manquent souvent le rendez-vous, à cause du changements climatique. Ce qui se répercute mal sur le secteur agricole », atteste M. Priso Regis, expert en énergies renouvelables.
Avec une population de 20 millions d'habitants et qui va grandissant, « la consommation de bois augmentera si l’on tarde à trouver les bonnes solutions. Trouver des sources énergétiques moins polluantes et plus accessibles aux couches sociales les plus défavorisées est une condition sine qua non pour le sauvetage de l’environnement », préconise le rapport du ministère.
« Il n'y a pas encore de statistiques officielles sur le nombre de ménages qui utilisent les foyers améliorés au Cameroun. Mais, les prémices d’une vraie prise de conscience de la nécessité de préserver l’environnement sont déjà là", observe M. Priso.
« Bon nombre de femmes camerounaises utilisent aujourd’hui les foyers culinaires améliorés. Cela rassure et relève de leur adhésion à une cause nationale, à savoir, la protection de la nature et la lutte contre la déforestation », a-t-il conclu.
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