Sénégal: la circoncision, ce mal qui forge les hommes
Une tradition prônée par la Sunna (2ème source de la jurisprudence islamique).

AA/ Dakar/ Alioune Badara
Un cri strident s’échappe de la bouche du petit Abdoulaye fermement immobilisé sur la table d’opération par deux adolescents. « Son organe est sous anesthésie locale. C’est plutôt sous le coup de la frayeur que d’une quelconque douleur qu’il crie», relativise l’infirmier s’attelant avec minutie aux derniers réglages de l’opération.
Prépuce étiré au maximum pour être dégagé complètement du gland, puis bloqué par une pince à disséquer sans griffes, le ciseau a vite fait le reste. « Chut, chut ! C’est fini », lance l’homme en blouse au môme inconsolable. Quelques ligatures pour arrêter les points de saignement et le tour venait d’être joué.
Cette opération, Alboury Ndiour l’a fait plus d’un millier de fois. « Depuis 1968 j’effectue des circoncisions », explique à Anadolu l’infirmier à la retraite travaillant à son domicile. « Un travail pas de tout repos à cause du suivi qu’il nécessite », avoue cependant Ndiour.
Revenant sur les évolutions qu’a connues la circoncision depuis qu’il a commencé à le faire, le septuagénaire d’évoquer « principalement l’anesthésie du membre qui dans le temps ne se faisait pas ».
Agé de 6 ans, Abdoulaye, emmitouflé désormais dans la traditionnelle tunique blanche, venait de subir l’incontournable épreuve de la circoncision. Plus qu’une tradition musulmane prônée par la Sunna (2ème source de la jurisprudence islamique), la circoncision demeure en effet un phénomène socio culturel au Sénégal. Un passage obligé pour tout homme : musulman comme chrétien.
Reconnaissables à leurs longues robes bouffantes, un bonnet et une mince ceinture assortis, les njuulis (circoncis, en wolof) pullulent dans les rues de Rufisque en ce dernier mois de grandes vacances scolaires considéré comme ‘’la saison des njuulis’’.
« Aucune connotation mystique ou religieuse pour le choix de cette période de l’année», précise toutefois Mamadou Samb imputant la causalité au fait que « les enfants sont plus libres pendant cette période de l’année».
Nonobstant le fait que la circoncision reste toujours figée dans la période des grandes vacances, des changements importants l’ont fortement travestie de nos jours.
« On peut voir de nos jours un circoncis singleton. Aussi la plupart ne portent pas de lingué (petit bâton que doit avoir en main le circoncis, ndlr) et sortent des fois dans la rue sans le bonnet. Pire, certains dorment dans la chambre de leur mère», se plaint Grec Ndoye, ressassant dans la lancée ce qui faisait le charme de la circoncision : « Les initiés étaient plutôt des adolescents. Ils vivaient ensemble dans une même chambre sous la tutelle du salbé (un aîné faisant office de guide) chargé de veiller sur eux à l’écart du cocon familial. »
Très en verve dans sa réminiscence, l’ingénieur en bâtiment de rappeler encore que « la circoncision se faisait en groupe et les initiés étaient en nombre impair : neuf, onze, treize … ». Un décompte impair qui, selon le sexagénaire, servait de « protection mystique contre les esprits malfaisants ».
« Le néggou goor (case des hommes, autre allusion pour parler de la circoncision) a vraiment cessé d’être ce qu’il été », maugrée-t-elle. C’est à travers elle en effet que le refrain galvaniseur « n’as-tu pas été circoncis ? », détenait tout son sens. « Une rengaine familièrement rappelée à tout homme faisant preuve de mollesse ou de manque de courage devant n’importe quelle situation de la vie courante », renseigne Mbayame Seck de la lignée des griots, les détenteurs de la tradition orale.
C’est justement ce passé riche en enseignements que tente de faire revivre Ass Guèye qui organise depuis trois années une circoncision collective. « Cette année j’ai fait circoncire 9 alors que pour les deux précédentes années j’en avais 5 », lance le menuisier ébéniste qui dit avoir déboursé « 112.000 francs cfa (environ 200 usd) » rien que pour les frais d’infirmerie.
Des enfants dont « l’âge est compris entre 4 et 3 ans et tous domiciliés, le temps de leur initiation » chez lui. Pour l’infirmier Alboury Ndiour, « la tendance de nos jours est de faire circoncire les enfants entre 6 et 3 ans. » L’avantage étant que « la cicatrisation devient plus rapide », fait-il remarquer.
Certains parents font cependant circoncire leurs enfants dès la naissance. Un rabais de l’âge qui n’agrée pas chez Alexandre Lette. « Pourquoi le fait-on pendant que les enfants sont encore bébés ? » interroge l’activiste culturel pour qui cette nouvelle façon « dénature le concept de la circoncision ».
Nostalgique de ce passé englouti dans une extravagante banalité, Ass Guèye, espérant avoir « un plus grand nombre d’initiés pour les éditions à venir », compte aussi ramener au gout du jour le kassak (fête des circoncis autour du feu marquant leur guérison). Cette autre facette de la culture léboue, mémorable dans la vie des circoncis et balayée aujourd’hui par la modernité.
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