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Paris : des librairies dénoncent une censure politique pour avoir mis en avant des livres sur la Palestine

– À l’heure où de grands groupes d’édition changent de mains, des librairies indépendantes voient leur liberté éditoriale menacée après la mise en vitrine de livres sur la Palestine.

Ümit Dönmez  | 11.12.2025 - Mıse À Jour : 11.12.2025
Paris : des librairies dénoncent une censure politique pour avoir mis en avant des livres sur la Palestine

Ile-de-France

AA / Paris / Ümit Dönmez

La mise en vitrine d’ouvrages sur la Palestine a déclenché une vague de pressions politiques contre plusieurs librairies indépendantes à Paris — en particulier la librairie féministe Violette and Co, puis, par effet de chaîne, 39 autres établissements dont la librairie Petite Égypte. Toutes ont été privées d’une subvention municipale totale de 500 000 euros votée en novembre par le Conseil de Paris. Pour les libraires concernés, il ne s’agit pas d’un simple retrait d’aide mais d’une censure politique : les choix éditoriaux — et un engagement en faveur de la Palestine — étant utilisés comme justification.

Interrogée par Anadolu, Violette and Co affirme que la décision municipale intervient après « une campagne de harcèlement déclenchée par une vitrine sur la Palestine » et qu’elle marque « une attaque politique et institutionnelle », aggravée par le « retrait de deux subventions publiques par la Ville de Paris et la Région Île-de-France ».

Au cœur de la polémique, l’exposition dans la vitrine de Violette and Co d’un livre de coloriage pour enfants intitulé From the River to the Sea. Le slogan associé — devenu un symbole de revendication palestinienne depuis les années 1960 — a été qualifié d’« antisémite » et accusé de constituer une apologie du terrorisme par certains élus de droite.

Interrogé par Anadolu, Alexis Argyroglo, cofondateur de Petite Égypte, confirme que ce contexte est la raison principale du blocage : « C’est effectivement parce que la librairie Violette and Co était dans le lot des librairies concernées », affirme-t-il. Il conteste l’interprétation du slogan : « Ce slogan est un slogan pro-palestinien qui date des années 60, bien avant l’invention du Hamas. […] On ne peut pas le réduire à un argument qui serait antisémite, ce qui est complètement fallacieux. »

Argyroglo insiste sur la complexité de la réalité géopolitique évoquée : « Entre le Jourdain et la mer, il n'y a qu'une seule armée, une seule monnaie, une seule autorité », reprenant des analyses historiques qui situent l’expression dans un contexte territorial plutôt que religieux ou confessionnel.

Pour lui, l’affaire dépasse la simple querelle sur un ouvrage. C’est, dit-il, « une tendance de fond » : depuis des décennies, certains mouvements politiques de droite cherchent à restreindre la liberté d’expression et le libre exercice de la vie démocratique. Il voit un continuum entre des formes de pression diverses — du vandalisme de vitrine au vote municipal — visant à limiter le pluralisme culturel.

Il établit un lien direct entre cette offensive contemporaine et la concentration du secteur éditorial en France : « Ça va du rachat d’un groupe de presse ou d’édition au vandalisme d’une vitrine… » Dans ce contexte, la reprise en main par Vincent Bolloré de l’un des plus grands groupes d’édition français apparaît comme un signal d’alarme.

Depuis 2023, le groupe Bolloré, connue pour sa proximité avec l'extrême droite française et israélienne, a élargi son influence sur l’édition à travers le rachat d’Hachette Livre, qui concentre une part importante de la production éditoriale française. Déjà très présent dans les médias télévisés, radiophoniques et numériques, le groupe contrôle désormais une part significative des circuits de publication et de distribution, renforçant les inquiétudes sur une homogénéisation idéologique.

À Petite Égypte, la subvention gelée devait notamment financer la mise en accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Pour le libraire, le refus de l’aide compromet non seulement l’équilibre économique de la structure, mais aussi sa mission sociale et culturelle. « Il s’agit de trouver les moyens d’une vraie politique publique volontariste pour assurer la pérennité de nos établissements », insiste Argyroglo.

Le prochain vote est attendu le 16 décembre. L’exécutif municipal, par la voix de l’adjoint au commerce Nicolas Bonnet-Oulaldj, a promis de représenter la délibération.

Au-delà d’un soutien financier gelé, ces librairies mettent en garde contre une dérive politique où les choix éditoriaux deviennent des motifs d’attaque. Dans un climat marqué par la polarisation autour du conflit israélo-palestinien, la liberté d’expression culturelle semble de plus en plus conditionnée à une ligne idéologique qui ne soit pas critique du gouvernement israélien d'extrême droite.


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