Madagascar: "l'Ile au Trésor" n'a pas encore livré ses derniers secrets
Une récente découverte rappelle que l'ancienne pratique de la piraterie à Madagascar est aujourd'hui source de richesse touristique, historique et humaine.

AA/ Anatananarivo/ Alain Ilionaina
Un pan de l'histoire de Madagascar remis au goût du jour avec la découverte d'un trésor au bord d'une épave, au fond de l'océan Indien, à l'Est du pays, rappelant l'époque où la Grande île servait de repaire aux pirates au 17e siècle.
Un lingot d'argent de 50 kilos symbolise l'extraordinaire trouvaille. Comme un symbole, ce "trésor", récupéré dans une épave de bateau, aux larges de l'île Sainte Marie, par l'équipe d’archéologues américains Barry Clifford et John de Bry, a été remis aux autorités malgaches, le 4 mai.
Les autorités malgaches ainsi que l'équipe mixte d'archéologues et de documentaristes pensent avoir affaire au célèbre pirate américain William Kidd.
La Présidence de la République avance une "découverte historiquement exceptionnelle (..) qui serait, selon les archéologues, les vestiges de l'Adventure Galley, le navire du fameux pirate William Kidd", selon sa note sur un état des lieux du dossier, dont Anadolu a eu copie.
L'historien Hubert Deschamps, dans l'ouvrage "Les pirates à Madagascar", écrit en 1949, fait part de la présence du Capitaine Kidd sur le côte orientale de l'île après une "expédition de police" pour le compte de la couronne britannique. "La légende du capitaine Kidd est d'autant plus importante que l'on raconte que son trésor est toujours caché quelque part (...). L’épave au trésor de l’îlot Madame serait-elle celle de l’ « Adventure Galley » ? ", s'interroge la note de la Présidence de la République.
Les autorités accordent de l'importance à l'événement. Le chef de l'Etat s'est déplacé jeudi dernier à Sainte Marie, accompagné de Robert Yamate et de Timothy Stmart , respectivement ambassadeur des Etats-Unis et ambassadeur de la Grande Bretagne. Il espère fructifier la découverte. "Cela consistera en un « hot-spot » de plus en faveur de l’attrait touristique de l’île Ste Marie que mettra, dorénavant, sous les feux des projecteurs internationaux, cette découverte historique", indique le communiqué officiel.
Derrière l'angle économique de la découverte se retrouve en surface l'aspect historique et humain de la trouvaille. Le Capitaine Kidd n'est pas le seul pirate ayant croisé les côtes malgaches. James Avery, David Williams ou encore Tom Tew font partie de ceux qui avaient choisi la Grande île. "Tout concourait à faire de Madagascar, de 1685 à 1725 le repaire idéal des pirates", soutient Hubert Deschamps. Olivier Misson et le moine dominicain Angelo Caraccioli ont crée la fameuse République utopiste Libertalia dans le Nord de Madagascar.
Jeannot Rasoloarison, directeur du département d'histoire à l'Université d'Antananarivo, évoque même à Anadolu, la "participation des pirates européens au peuplement de Madagascar". "On parle souvent de nos origines indonésienne et africaine, mais on oublie les pirates européens. Beaucoup de matelots sont restés sur la côte orientale de l'île", rappelle l'historien.
L'histoire des "Zanamalata", ou "enfants mulâtres", les descendants des pirates, dans la partie orientale de l'île, témoigne, entre autres, du mélange de l'histoire de Madagascar à celle des pirates. Ratsimilaho, supposé être le fils de Thomas White, est devenu un célèbre roi du tribu Betsimisaraka.
"Grâce aux habitudes de commerce et de guerre des pirates, cette région de la côte était ainsi devenue la plus fréquentée de Madagascar", raconte Hubert Deschamps. "Ses habitants disposaient d'une richesse et d'un armement qui faisaient envie aux peuples plus déshérités d'alentour (...) la présence des pirates et la traite des esclaves avaient développé les guerres", ajoute-t-il.
Pourtant, Madagascar risque, selon certains experts, de ne pas pouvoir exploiter les richesses historiques des pirates.
" Des gens ont fait les inventaires et savent où se trouvent les épaves autour de Madagascar. Il y en a beaucoup ici", certifie un archéologue malgache qui a requis l'anonymat, à Anadolu. "Ils font des annonces sur Internet. Ils disent qu’ils ont des canons, qu’ils peuvent livrer tout cela sans problème. Ils disent même qu’il n’y aura aucun problème avec les autorités malgaches. Cela devient une affaire très lucrative alors que parfois, nous ne nous retrouvons qu’avec un écu", regrette-t-il.
Le même archéologue tire la sonnette d'alarme sur le phénomène qui couve dans l'un des pays les plus pauvres au monde. " Des profiteurs, voire des escrocs internationaux, parlent d’un partage égalitaire après traitement. Puis, ils font en sorte que les frais de traitement soient très élevés. Du coup, Madagascar n’obtient presque rien", décrit-il avec amertume.
Pour le cas du lingot d'argent et des épaves à Sainte Marie, Hery Rajaonarimampianina se veut rassurant. "Personne ne peut exporter [les trésors sub-aquatiques]", promet le chef de l'Etat dans son discours lors de la réception du lingot d'argent attribué au Capitaine Kidd. Selon le code maritime malgache, le délai fixé aux propriétaires des épaves ou des cargaisons de récupérer leurs biens est de trente ans. Ce qui fait des débris des navires à l'époque des pirates encore enfouis au fond de l'océan intègre automatiquement le patrimoine sub-aquatique de Madagascar.