Les Bay Fall du Sénégal font le Ramadan «comme bon leur semble»
Les Bay Fall se contentent de préparer de copieux repas pour les jeûneurs, estimant "à tort" qu'ils s'acquittent ainsi de leur devoir de jeûner le mois saint.

AA/ Touba(Sénégal)/ Alioune Bdadara Ndiay
Au Sénégal, il y a des musulmans qui se disent «affranchis de la prière et du jeûne»: les « Bay Fall ». Quoiqu' en contravention avec les préscriptions de la religion islamique qui fixe clairement les cas où un musulman est affranchi d'observer le jeûne durant le mois saint, leur manière à eux, de le faire semble « frôler l'hérésie» et suscite bien des critiques, dont celle du spécialiste en droit islamique, Abdalhla Diop. Ce dernier associe leur pratique à ce qu'on appelle "les mystères du soufisme".
Ces Bay Fall ne jeûnent pas en l’affichant avec fierté. D'ailleurs ils ont leur propre méthode pour s'acquitter du devoir de jeûner durant le mois Saint: «Dieu a dit que quiconque offre une datte à un jeûneur pour la rupture du jeûne acquiert les mêmes faveurs que lui. C’est cet enseignement qui soutend l’action du Bay Fall pendant le ramadan.», explique Djibril Dial, disciple du Cheikh Ndigueul Fall, un emblème du mouridisme (confrérie soufie), à Diourbel, ville située à environ 150 kilomètres à l’est de Dakar.
A Mbacké, capitale du baayfallisme, relevant de la région de Diourbel, les Bay Fall préparent de copieux mets pour les jeûneurs qu’ils acheminent par la suite aux domiciles des petits fils de Cheikh Ahmadou Bamba. Ils les distribuent aux populations de la ville de Touba (capitale de la confrérie musulmane des mourides et fief des Bay Fall), avec d’autres cités rattachées.
« 28 moutons et 100 poulets sont cuisinés chaque jour au domicile de mon guide », affirme Djibril. Mais, le foyer qui détient le record en matière de dépenses, au cours de Ramadan n’est autre que la demeure du "Calife" des Bay Fall, Cheikh Dieumbe Fall. « Chez mon guide, 200 béliers et 1000 poulets sont quotidiennement cuisinés, et des fruits et des boissons sont servis aux jeûneurs », rapporte Momar Kane, son disciple.
Si les Bay Fall préparent des repas pour les jeûneurs, il n’en demeure pas moins que mis à part le gouteur, personne ne peut renseigner sur la saveur des plats. «Ces repas sont exclusivement consacrés aux jeûneurs. Après la cuisson on se rabat sur un plat de riz cuisiné à la hâte», avise Sokhna Rokhaya, préposée à la cuisine chez Cheikh Ndiguel Fall.
Le financement de leurs œuvres de bienfaisance, les Bay Fall s’en soucient peu. Ils préparent cela « minutieusement » et « grandement », selon Djibril. D’ailleurs, « Le marabout Ndiguel Fall est présentement en Afrique du Sud pour la collecte de fonds issus principalement de ses champs exploités là-bas. Ensuite, chaque disciple s’acquitte de son kumté (cotisation obligatoire) qui varie selon le statut. Le mien est de 75.000 FCFA (155 USD) », informe Djibril Dial.
«Tous les Bay Fall doivent contribuer à cette campagne, chacun dans les limites de ses possibilités. Une datte, une tasse de café ou encore une miche de pain, le tout est accepté et c'est synonyme de bonne volonté pour nous », révèle un Bay Fall exigeant l’anonymat.
Les bénéficiaires, parfois des démunis, saluent à sa juste valeur cette œuvre de bienfaisance grandiose. « Avec le plat que je reçois, toute la famille mange à satiété, à l’heure de la rupture du jeûne et aussi à l’aube», assure la veuve Awa Ndour, mère de quatre enfants.
Mais, cette pratique et ces croyances, bien qu'elles aient certains bienfaits, sont loin de remplacer un précépte fondamental de la religion musulmane qu'est le jeûne de Ramadan. Abdalla Diop, spécialiste en droit islamique le confirme: " le vieillard qui n'a plus la force de jeûner et l'individu atteint d'une maladie qui l'en empêche de façon durable sont les deux personnes exonérées du jeûne. Ces derniers s'acquittent simplement du fidya" (aumône de compensation).
Au sujet de la même pratique, Diop est d'avis avec eux à propos de l'enseignement du prophète sur la grande récompense promise à quiconque offre un repas de rupture de jeûne à un jeûneur, conformément à "un hadith rapporté par Tirmidhi et Ahmed", rappelle-t-il. Il précise cependant que " ceci n'est qu'un cadeau et ne peut en rien remplacer le jeûne, une obligation pour tout musulman comme l'indique le Coran dans la sourate II, verset 183". Du point de vue de la charia "délaisser volontairement le jeûne ou un autre des cinq piliers de l'islam est un pur kufr (mécréance)", égrène-t-il, en soulignant que "le soufisme a ses mystères".
Le Bayfallisme est, du reste, un héritage du Cheikh Ibrahima Fall (1858-1930), fidèle compagnon et serviteur de Cheikh Ahmadou Bamba fondateur du mouridisme, il est perpétué par ses descendants. La dynamique est devenue telle que la voie a enregistré l’adhésion massive de personnes venues d’horizons et de couches sociales divers (des occidentaux mêmes). Aujourd’hui, les petits fils de Cheikh Ibrahima Fall encore appelé « Baboul mouridîn » (porte d’entrée du mouridisme) gèrent une communauté qui constitue un peu moins des 2/10 des mourides, eux mêmes représentant 31% de la population sénégalaise (4 millions environ).
Un Bay Fall est, par ailleurs, facilement reconnaissable par ses njaxass (boubous ) agrémentés de gros chapelets et colliers avec effigie de Cheikh Ibrahima Fall autour du cou et un njegn (dreadlocks : mèches de cheveux à l’africaine) pour la plupart. Les Bay Fall (Yaay Fall pour les femmes) demeurent «la clé de voûte du mouridisme» par leur «ferveur sans égale» dans la dévotion et le travail surhumain, tel qu'ils s'identifient.
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