Le "Soukerou koor", une tradition au goût amer pour les mariées sénégalaises
Offrir le " sucre du ramadan" est à l’origine un acte de bienfaisance mais, au fil du temps, cette tradition est devenue une façon de s’attirer les bonnes grâces des belles-mères.

AA / Dakar / Alioune Badara NDIAYE
Au Sénégal, chaque année durant le mois de ramadan, les femmes mariées observent un rituel qui consiste à offrir un présent à la belle-famille. Appelé le "Soukerou koor"(littéralement, sucre du ramadan) cette tradition est devenue une véritable source de calvaire pour beaucoup d’entre elles.
Fortement incrustée dans la culture sénégalaise, cette pratique n’est pourtant pas une obligation religieuse, a expliqué à Anadolu l’islamologue Ibrahima Niang, qui ajoute cependant que " l’acte de bienfaisance est encouragé par l’islam".
A l’origine, le "soukerou koor " était un présent (principalement du sucre, mais aussi du savon ou du riz) qui était offert en période de ramadan pour témoigner sa compassion aux moins nantis, mais peu à peu, le phénomène est devenu une affaire sociale très onéreuse.
Les destinataires ne sont plus les indigents, en priorité mais plutôt la belle famille. Une pratique jugée superficielle pour une majorité d’hommes alors qu’elle préoccupe la majorité des femmes, et plus particulièrement les femmes mariées qui n’hésitent pas à rivaliser de stratagèmes en tout genre pour s’acquitter "du cadeau de ramadan" afin d’obtenir les bonnes grâces des belles mères.
Tissus de valeur, bijoux en pierres précieuses et argent remplace un simple paquet de sucre malgré une conjoncture économique qui se détériore de jour en jour et qui rend la pratique plus ardue.
" Le soukerou koor a détruit le Sénégal. A chaque fois qu’arrive le mois de ramadan, les femmes mariées ne sont plus tranquilles ", commente Kalsoum Fall, femme au foyer.
En revanche, pour Daba Kébé, seconde épouse d’une famille polygame, c’est une réelle fierté que de pouvoir s’acquitter du "soukerou koor". La jeune femme s’est ainsi vanté d’avoir servi à sa belle-mère " une corbeille pleine de friandises : fromages, dattes, charcuterie... en plus d’une enveloppe de 50.000 francs (104 usd) et un bazin ganila (tissu très prisé au Sénégal) de six mètres."
Oumou Sarr, enseignante de 40 ans, avoue quant à elle faire un prêt bancaire à chaque ramadan pour le "soukerou koor" . "Je ne veux pas donner à ma belle-famille l’occasion de me tourner en dérision", justifie-t-elle.
" Mon soukerou koor de cette année ? Une préparation culinaire à base de 10 poulets, de la boisson, une enveloppe de 25.000 francs (52 usd) pour la belle-mère et un boubou traditionnel pour le beau-père", s’est-elle enorgueillie.
Pourtant, pour beaucoup de sénégalaise offrir un "soukerou koor" est devenu un véritable calvaire puisque celles qui ne s’acquittent pas de ces traditions sont souvent victimes de mépris et de quolibets.
"Le matérialisme qui caractérise la société sénégalaise a fortement travesti les représentations sociales", fait savoir Matar Boye, étudiant en troisième année de sociologie.
" Le soukerou koor qui n’était que bienfaisance désintéressée, dans un pur élan de solidarité, à l’endroit des démunis s’est mué aujourd’hui en un phénomène ostentatoire source de problèmes sociaux", décortique-t-il.
Ce qui conduit, selon son propos, à des dérives chez la femme, résolue à offrir coûte que coûte le "soukerou koor" à sa belle-famille.
" Une de mes amies a vu son ménage voler en éclat à cause de cela. Les autres épouses dans la maison conjugale étaient à l’aise financièrement, contrairement à elle et ces dernières offraient à la belle-famille un soukerou koor imposant à chaque ramadan ; ce que les sœurs de son mari se plaisaient à lui rappeler dans des propos détournés et pleins de méchanceté. Elle a fini par en avoir assez et à quitter le domicile conjugal ", révèle d’ailleurs Oumou Sarr.
Cependant, certaines femmes refusent de s’adonner à ce rituel. "Cela fait 11 ans que je suis mariée mais le soukerou koor je ne l’ai donné qu’une seule fois ", fait savoir Binta Fall, agent marketing, avant de poursuivre : " j’ai senti une certaine frustration chez les femmes de mes beaux-frères qui étaient là-bas. Elles voudraient faire la même chose alors qu’elles n’en ont pas les moyens. J’en ai tiré des leçons et j’ai arrêté la pratique".
" Il y’a des belles-familles qui sont compréhensives" reconnait pour sa part Kalsoum Fall, "Dieu n’a imposé à personne ce qu’il ne peut pas", philosophe-t-elle. "Ma belle-mère ne veut même pas que je lui donne le soukerou koor. Ce qui ne m’empêche pas de faire un geste symbolique", finit-elle par dire.
L’islamologue Malick Tine est clair sur la question "l’action faite de manière ostentatoire ne peut rencontrer l’agrément divin. »
Pourtant, la tradition du soukerou koor, continue de prospérer laissant un goût amer pour certaines.
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