Le cinéma rwandais tournera-t-il la page du Génocide?
-Rencontré par Anadolu en marge de la 12 ème édition du festival du film du Rwanda, Eric Kabera, initiateur de la manifestation a noté qu'en dépit de l'importance des films sur le génocide, une diversification des thématiques cinématographiques est nécessaire.

Kigali
AA/Kigali/ Nyabyenda Jean Baptiste
Au lendemain du génocide rwandais, qui avait fait près de 800 mille morts en 1994, le Rwanda, petit pays jusqu'alors méconnu, a été propulsé aux devants de la scène régionale et internationale, grâce, notamment à la déferlante de productions audiovisuelles et cinématographiques consacrées au sujet.
Traité sous ses différents angles par une pléiade de réalisateurs de divers pays, le thème du génocide rwandais aurait atteint ses limites, selon des observateurs qui parlent même d'une "surmédiatisation" et d'une "surexploitation" du sujet .
Selon ces mêmes observateurs dont certains jeunes réalisateurs locaux, le cinéma rwandais doit, désormais, se défaire de cette "emprise du génocide" pour s'intéresser à des thématiques d'avenir qui permettront au pays d'aller de l'avant.
Rencontré par Anadolu en marge de la 12ème édition du Rwanda film festival, organisée du 23 au 30 juillet à Kigali, Eric Kabera, initiateur du festival et producteur de "100 days" (2001) premier long métrage sur le génocide, a déclaré que cette thématique a surtout été traitée par les réalisateurs étrangers.
A l'échelle nationale il dit être parmi les rares qui s'y sont intéressés, ajoutant que de telles productions sont nécessaires pour "comprendre son histoire, son passé mais aussi le présent et le futur".
Aussi bien "100 jours" qu'il a produit en 2001 qu' "Intore" qu'il a réalisé en 2014, tournent autour du conflit, du génocide et du processus de réconciliation nationale au Rwanda.
Toutefois et en dépit de l'importance de tels films, les thématiques cinématographique doivent être diversifiées, estime Kabera, citant le film qu'il a, lui même, produit en 2010, "Africa United", et qui offre, selon lui, une image différente du continent, à la fois "drôle" et "optimiste".
A partir de 2010, année de la réalisation d'Africa United, les choses ont commencé à bouger, note, de son côte, le quotidien français "Le Monde" dans un article publié la même année et intitulé "Les premiers pas hésitants du cinéma rwandais".
Dirigé par la réalisatrice de "We Are All Rwandans" (Nous sommes tous des Rwandais), Debs Gardner-Paterson, ce film narre l'histoire de trois enfants rwandais - un orphelin, un enfant-soldat et une petite prostituée- qui prennent la route direction Soweto, (Afrique du Sud) où se tenait la finale de la Coupe du monde de football.
"Ce sera la première fois depuis longtemps qu'on mettra en scène le Rwanda d'aujourd'hui", notait encore le quotidien français.
D'ailleurs le thème de l'édition 2016 du festival, soit "la versatilité", témoigne de cette volonté de changement, indique encore Kabera. "Le Rwanda est un pays qui bouge, qui progresse et qui change constamment".
C'est dans cette même perspective de diversification que des courts-métrages réalisés par des jeunes étudiants ont été projetés lors de la cérémonie d'ouverture.
"En vingt ans, le Rwanda est passé d’une relative invisibilité à une véritable surreprésentation médiatique, Depuis 1994, la mémoire du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda se partage en effet sous de multiples formes intellectuelles et artistiques", rapporte la revue "Causes toujours" ( publication trimestrielle du GSARA -Groupe Socialiste d'Action et de Réflexion sur l'Audiovisuel-Belgique, décembre 2014).
Cet engouement international pour le "génocide rwandais" a donné naissance à plus d’une centaine de documentaires sur le sujet, selon la même source.
Toutefois si elle reconnait "la surreprésentation médiatique" du génocide, la revue évoque la nécessité toujours aussi poignante de "témoigner".
"Malgré le temps passé, loin d’effacer le cortège de cauchemars et de souffrances des rescapés, le besoin de témoigner reste toujours très important. Le survivant s’en fait un devoir. Comme les écrivains, les cinéastes confrontés au génocide perpétré contre les Tutsi de 1994 s’interrogent sur la possibilité et la juste manière de rendre compte de l’autre et de ses souffrances", rapporte encore la revue belge, estimant que "les progrès spectaculaires du Rwanda illustrent le chemin parcouru depuis 1994...Cette reconstruction ne doit cependant pas masquer celle, plus lente et plus douloureuse, d’un tissu social fragile et encore profondément marqué par la guerre et le génocide".
Pour le journal "Le Monde", l'engouement des réalisateurs étrangers pour le génocide rwandais s'est réellement déclenché en 2004, soit depuis que Raoul Peck y a réalisé "Sometimes in April" au Rwanda (Quelques jours en avril).
La surproduction de fictions et de documentaires autour du génocide a été grandement encouragé par Kigali, selon "Le Monde" qui rapporte que "le régime du président Paul Kagamé, issu du Front patriotique rwandais, qui a pris le pouvoir après avoir défait les génocidaires, encourage les équipes étrangères, tout en produisant lui-même une partie des images qui nourrissent la commémoration officielle de cette catastrophe".
La 12ème édition du Rwanda film festival se tient du 23 au 30 juillet à Kigali avec des projections programmées dans les régions intérieures du pays comme lors des autres éditons. Cependant, selon le directeur du festival, Eric Kabera, la présente édition se démarque des précédentes d'abord au niveau du nombre de films programmés et ensuite au niveau de l'espace dédié à la manifestation à savoir le Centre des congrès de Kigali qui vient juste d'abriter le 27ème sommet de l'Union Africaine (UA).
Pour ce qui est des films programmés, Il a indiqué que la direction du festival a reçu plus de 600 films sur lesquels elle a sélectionné 65. Au programme de la présente édition «Rwandart», film de l’arménienne Sarine Arslanian, sur la jeunesse rwandaise et sa relation avec l'art, "Intouchables" réalisé par Olivier Nakache en 2012, et "Chocolat" de Roshdy Zem, qui sera projeté lors de la soirée de clôture.