Le 3 mai 1987, disparaissait Dalida...La scintillante en mal d'être
-Trente-deux ans de triomphes ininterrompus où elle a surclassé des indétrônables comme Piaf et Brel...Des disques d'or et de diamant créés pour elle... Dalida la star fut comblée, pas la femme... Elle a décidé de la retrouver, ailleurs.

Tunisia
A.A Tunis/ Slah Grichi(*)
Il y a exactement trente-cinq ans, Iolanda Cristina Gigliotti, fatiguée d'avoir trop longtemps été Dalida la scintillante super star qui, entre deux triomphes sous les interminables ovations et les vivifiants feux des rampes, a vainement cherché à combler la femme en elle, avide autant de passion que de sérénité, écrivait une dernière phrase, simple et désespérée : "la vie m'est insupportable...Excusez-moi", avant d'avaler des barbituriques, en assez grande quantité pour s'endormir à jamais...
- Dalila naît d'un rêve de cinéma
Née le 17 janvier 1933, dans une famille italienne vivant au quartier populaire cairote Choubra, Iolanda Cristina tenait son penchant pour la musique de son père, premier violon à l'Opéra du Caire. Mais depuis son adolescence, elle ne rêvait que de cinéma et se prédestinait, en cachette, à embrasser la carrière de comédienne, dans l'espoir, secret, de connaître la gloire dans laquelle baignait son idole Rita Hayworth et ce, malgré des yeux récalcitrants au strabisme prononcé et des lunettes au verre épais. Des opérations corrigeront cet handicap et son regard gagnera en profondeur et en...mystère. La belle adolescente brunette, aux formes pulpeuses et précoces de jeune femme, veut désormais se montrer et prendre sa revanche sur ses yeux et sur ceux qui s'en moquaient.
Un premier concours de beauté en 1951 qu'elle cache à sa famille, est suivi de castings et de petits rôles dans des films égyptiens, où elle est révélée sous le pseudonyme de Dalila. Un prénom universel. En 1954, sa consécration Miss Egypte l'encourage à s'envoler, la même année, pour Paris, la capitale des lumières et de l'espoir de voir les rêves de la petite Iolanda Cristina de se voir sur les affiches de films, se réaliser. Elle multiplie les contacts, se soumet à des castings, à la recherche immédiate de la grande occasion. Ses moyens limités la contraignent à une modeste habitation où elle a pour voisin un certain...Alain Delon. Son press-book et son parcours dans le cinéma égyptien ne pesant pas lourd, elle s'avise de s'inscrire à un cours de chant. Iolanda-Dalila était loin, en cette fin 1954 - début 1955, d'imaginer que ce faisant, elle s'ouvrait la voie de l'universalité.
En effet, pour survivre, elle a commencé par se produire, en reprenant des tubes connus, dans un petit cabaret des Champs Élysées puis à la villa d'Este où on la présentait, pompeusement, comme "la révélation de la chanson française". Bruno Coquatrix, animateur-producteur de l'émission de variétés "Les numéros Un de demain", la remarque et il est immédiatement subjugué par sa présence, le magnétisme qu'elle dégage, sa voix aux étendues immenses, son timbre trempé dans des sonorités méditerranéennes et une alchimie quasi-papable qu'elle établit, dans un naturel déroutant, avec son auditoire. Voyant en elle une future numéro Un, il l'invite à son programme.
Eddie Barclay, le producteur mondial en devenir et Lucien Morisse, directeur de la programmation à Europe 1, qui y ont assisté, tombent sous sous le charme mystérieux, à la limite de l'exotique, de cette voix si belle et tellement particulière. L'un et l'autre la prennent immédiatement sous leurs ailes. Désormais, le cinéma sera légué aux "heures creuses" -si jamais il s'en présente- et Dalila sera cantatrice, sous le nom de Dalida. Un nom proche du sien qu'elle choisira et qui lui permettra de ne pas rompre le lien ombilical avec son Egypte natale.
- Une Ascension fulgurante
Immédiatement, le public français, à travers radio et télévision, découvrait et s'émerveillait de cette nymphe rare, pailletée, qui apportait des sensations et des relents nouveaux, venant de l'autre côté de la Méditerranée, mystérieux mais point rebutant. Barclay concocte à la nouvelle Dalida, "Madona", son premier 45 tours qui peine à décoller. Lucien Morisse, à la rescousse, lui monte en une nuit et dans la foulée, une adaptation française du tube italien de l'époque, "Bambino". Un succès hexagonal décuplé, qui propulse la Cairote dans la cour des grands. Cela faisait un peu moins d'un an qu'elle était à Paris...
Sollicitée de partout, elle multipliait interviews et performances. Son passage dès 1956, en première américaine du concert de Charles Aznavour, la consacre star parmi les stars. Sa renommée et l'engouement du public ne cessant de franchir, à une vitesse foudroyante, des limites jamais atteintes auparavant, on créera le 17 septembre, pour la distinguer, le premier Disque d'or qui deviendra l'une des distinctions les plus courues. L'année d'après, elle obtient l'Oscar de Radio Monte-Carlo qu'elle s'accaparera sept saisons de suite. Qui a fait mieux?
Entre-temps et avant même d'épouser, en 1961, son mentor et "protecteur" Lucien Morisse, elle multiplie succès, récitals et tournées pour, ensuite, crever le Hit Parade où elle détrône, avec une aisance à peine croyable, les mythiques Edith Piaf et Jacques Brel. Morisson et Dalida garderont de très bons rapports, après leur séparation matrimoniale.
Les années se succèdent au rythme vertigineux de ses tubes dans de multiples genres musicaux, qu'elle chante dans différentes langues. Du twist au raï et de la pop au disco (eh, oui!), tout lui sied, tout lui réussit et pas seulement en France. L'Europe, l'extrême Asie, l'Orient et l'Amérique accueillent en déesse cette cantatrice de talent, à la fois glamour et performante. Aussi le triomphe qu'elle a connu, en 1978 à New York, restera-t-il dans les annales. Des réussites qui ne s'arrêtent pas et qui lui permettent de louer à son propre compte l'Olympia puis l'immense Palais des sports de Paris du 5 au 20 janvier 1980, où elle chante à guichets fermés. Il n'y avait pas de limites possibles à cette "bête de la scène" pour qui on estimait peu équivalente, toute distinction connue. C'est pourquoi on inventait à son intention, en 1981, le Disque de Diamant pour célébrer ses 55 Disques d'Or.
Adulée, Dalida est une cantatrice à part, au-delà de ces consécrations. Elle représente plus de 150 millions de disques vendus et 2000 chansons en dix langues, dont les inoubliables "Gigi l'Amazone", "Paroles paroles" en duo avec son ami Alain Delon, "Bambino", "Darla dirladada", "La danse de Zorba" de l'inégalable Mikis Théorodakis, "Les Gitans", la reprise de "Selma ya salama" de son compatriote égyptien Sayyed Darwich ou encore "Hilwa ya baladi" (qu'il est beau mon pays"... Pendant trente-deux ans, Dalida a scintillé, alors que Iolanda Cristina cherchait la quiétude d'un amour fort et serein
- Dalida en quête de la femme
D'apparence tumultueuse, la vie sentimentale de Dalida cache un mal-être certain. En dehors de la courte parenthèse matrimoniale avec Morisson, la cantatrice a connu plusieurs idylles qui, souvent ont tourné mal. Soit parce que ses partenaires ne voulaient (ne pouvaient, peut-être) se consacrer à elle, soit ils étaient dans la tourmente ou encore ne lui apportaient pas la passion sereine qu'elle recherchait et dès lors, elle s'en lassait. Elle a ainsi vécu dans les différentes phases de sa vie, avec Alain Delon, jeune premier pas encore confirmé, François Mitterrand, homme politique montant, Zen Arnaud Desjardins le philosophe, Jean Sobieski le peintre, qu'elle a tous couvés...Mais son grand amour fut sans aucun doute le jeune auteur-compositeur italien Luigi Tenco qu'elle a connu en 1966 et avec qui elle comptait (re)faire sa vie. Fragile, il ne supportera pas que ni sa chanson ni sa compagne ne soient consacrées à San Remo (janvier 1967). Il se tirera une balle dans la tête. Deux mois plus tard, elle tente de le rejoindre, également dans une chambre d'hôtel. Elle est sauvée, grâce à l'arrivée opportune d'une femme de chambre...
Dalida est meurtrie, mais essaie de se ressaisir et de trouver refuge dans sa carrière qui brille de plus en plus, alors qu'elle se consumait de l'intérieur. Le suicide de Lucien Morisson en 1970, de la même manière que Tenco lui porte un grand coup, d'autant que cela a coïncidé avec la mort de sa mère. Au bout d'une période dépressive et comme tragédienne, elle sera amenée à dire : "je porte malheur à ceux que j'aime".
Malgré tout, elle s'attache à la vie et à sa carrière, se relevant de nouveau et faisant la connaissance du beau ténébreux Richard Chanfray qui se dit, tour à tour, antiquaire, alchimiste, descendant d'une famille d'aristocrates... En fait, ce fut un mythomane qui a vécu aux crochets de Dalida dans son hôtel particulier de Montmartre. Elle en était consciente, mais pendant les huit ans qu'il a passés avec elle (1972 - 1980), elle supportera son côté violent et tentera de le lancer dans une carrière de chanteur, en enregistrant des duos avec lui. Elle dira qu'elle aimait bien son aspect follâtre, un peu fantasque...mais point de passion. Trois ans après leur séparation, il se suicidera, lui aussi, en absorbant un cocktail de médicaments.
C'en était trop pour la sensible Dalida qui trouve, l'an 1985, en l'amitié "poussée" avec le médecin François Naudy, un réconfort qu'il est réticent à faire évoluer en engagement... en vie à deux. Le succès qu'elle engrange en tenant l'affiche du "6ème jour" le film de Youssef Chahine, ne lui suffira pas à continuer de se battre pour combler Iolanda Cristina que Dalida a peut-être étouffée par des triomphes et des projecteurs poussés à l'extrême, qui ont beaucoup duré et qui ne pouvaient lâcher que par l'irréparable. Elle a fini par le faire...
*Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.
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