Culture et Arts

La petite histoire du Festival de la Médina de Tunis : Les temps des lustres et des bougies

Hatem Kattou  | 18.05.2018 - Mıse À Jour : 18.05.2018
La petite histoire du Festival de la Médina de Tunis : Les temps des lustres et des bougies

Tunis

AA / Tunis / Slah Grichi 

Créée il y a 36 ans par Mokhtar Rassaâ, un journaliste à la télévision publique tunisienne (il gravira les échelons jusqu'à en devenir le Président directeur général), l'Association du festival de la Médina s'est assignée pour mission de revaloriser le vieux Tunis, clairement occulté par le régime bourguibien, en organisant de petits concerts et récitals ramadanesques dans les demeures restaurées par la mairie de Tunis, à travers l'Association de sauvegarde de la Médina (ASM), comme Dar Lasram, Dar Hassine, El Achouriya...

L'empreinte d'un homme de culture

L'initiative connut un tel succès que ce qui devait être une petite manifestation nationale, voire locale, ne drainant que 200 - 250 personnes, est devenu l'événement phare du mois de Ramadan couru par les sponsors -ce qui ne veut pas dire qu'ils consentaient des fortunes-, loué par les médias et recherché par le public dont le nombre ne cessait d'augmenter.

Il faut dire que le charismatique Rassaâ, en fin mélomane qui ne craignait pas de bousculer les habitudes ancrées, concoctait chaque année un programme pour puristes, pimenté et où invariablement, l'inédit et le côté découverte ne manquaient jamais, côtoyant l'intouchable authenticité.

Il a même été le premier à vulgariser les récitals instrumentaux, révélant dans les années 1980, des virtuoses à l'instar de l'actuel ministre de la Culture, Mohamed Zinelabidine, luthiste et compositeur de pièces novatrices, ou de l'Irakien Nacir Chamma qui vivait, à l'époque, à Tunis et que personne -ou presque- ne connaissait.

Il lui arrivait aussi de "commander" des spectacles, comme il l'a souvent fait avec l'orchestre et le choeur (réduits) de l'Opéra du Caire à qui il demandait, grâce à l'amitié qui le liait à la directrice artistique de cette institution, feue Ratiba El Hifni, un programme spécifique, comme revisiter les répertoires de cantatrices telles Issmahan ou Leïla Mourad, ou de grands compositeurs comme Riadh Sombati ou Mohamed El Kassobji.

Des merveilles de concerts qu'on lui consentait presque pour une bouchée de pain à cause, certes, de ses relations personnelles et de son savoir-recevoir, mais surtout pour la réputation du festival où il était désormais acquis que s'y produire était un honneur et une reconnaissance.

Aussi, tous les autres grands noms qui y ont défilé, comprenaient-ils les limites du budget de la manifestation et acceptaient-ils de réduire considérablement leurs cachets. Nous nous souvenons que le grand artiste syrien Sabah Fakhri qui n'aimait pourtant pas perdre au change, a donné plusieurs récitals pour près de 30% de ce qu'il percevait habituellement, mais avait exigé que cela ne fût pas révélé, afin que sa "côte" restât élevée.

Des grands sont passés par là

Celte popularité s'est accompagnée par un regain d'intérêt pour la Médina de Tunis qui enregistrait le retour de certains de ses "déserteurs" et où les investisseurs privés sont venus se greffer à l'effort de restauration mené par la mairie pour ouvrir des restaurants, des cafés et même un hôtel haut de gamme.

Le festival, au centre de cette dynamique, a vite fait de grandir faisant des émules dans quasiment toutes les villes de la République et même en Algérie et au Maroc, quand il acquit sa dimension internationale. Le festival ramadanesque dans les vieilles villes est devenu un concept et un label.

Et comme grandir présente toujours des désagréments, Rassaâ a été contraint dès la troisième session à légèrement faillir à l'un des engagements de son association, en mutant quelques spectacles dans des espaces extra muros de la Médina, comme le théâtre municipal dont la capacité d'accueil est nettement supérieure à n'importe quel palais du vieux Tunis.

Une effraction pour satisfaire le maximum d'habitués possibles et de ne pas être déficitaire, la municipalité de Tunis, dont le festival reluit l'image, ne concédant qu'une subvention annuelle fixe qui représentait environ le tiers du budget.

Mokhtar Rassaâ et son trésorier de toujours Hédi Mouhli (actuellement directeur de la Racidiya) nous révélaient à ce propos : "Shématiquement, un tiers la mairie, un tiers le(s) sponsor(s) et un tiers la billetterie". Et quand on pense qu'avec seulement 600 000 dinars (260 mille dollras) le festival arrivait à produire jusqu'à 40 spectacles (certaines sessions, on en comptait deux ou trois la même nuit dans des espaces différents) avec de grands noms comme le maître irakien Mounir Bashir, Adib Eddayekh, Laure Daccache, Marcel Khalifa, Hamam Khaïri, George Moustaki et autres Jane Birkin et l'exquise Casaria Evora...sans parler des stars et des révélations tunisiennes.

L'épilogue d'une étape

Mais tout a une fin et l'histoire de Mokhtar Rassaâ avec "son" festival a connu son épilogue vers la fin des années 2000 quand le maire de Tunis allait faire savoir à Zoubeïer Lasram, membre de la direction du festival, que le "Palais" voulait que le bonhomme cessât de diriger la manifestation et que s'il était maintenu puisqu'il s'agissait -et s'agit toujours- une association, donc d'une organisation non gouvernementale, il annulerait la subvention et interdirait l'accès aux espaces qui dépendent de la municipalité.

En d'autres termes, un arrêt de mort pour le festival. Seuls les proches du cercle de Rassaâ et de Lasram connaissent cette vérité. Quoi qu'il en soit, digne, celui qui a installé cet événement majeur comme pierre angulaire du paysage culturel tunisien, s'est retiré pour répéter à qui veut l'entendre qu'il s'est lassé et qu'il était temps pour lui de passer à autre chose.

Nous saurons quand même que cette "disgrâce" est due à son refus de céder à la pression d'un neveu de l'ex-Première dame, organisateur et producteur de spectacles, en programmant sous le label du festival des galas artistiquement bas de gamme mais à grande affluence, ce qui n'entrait pas dans sa conception du festival de la Médina.

Même après le départ de Ben Ali, il ne retrouvera ni la manifestation ni l'association, ce qui ne l'empêchera d'accepter en 2017 la proposition de l'actuel ministre de la Culture, celui-là même dont il a révélé le talent de luthiste-compositeur, de chapeauter le festival d'été de Carthage qu'il dirige pour la deuxième année consécutive.

Quant au festival de la Médina, il a survécu à son départ, mais ne suscite plus cet engouement général qui lui était propre. En fait, il n'a jamais retrouvé la même qualité ni des programmes ni du public, encore moins cette brillance et ce plus qui surprenait toujours.

Il est heureux de constater un léger mieux dans le menu de cette 36è session qui démarre demain et qui promet quelques moments forts avec notamment de la musique andalouse marocaine en ouverture, plusieurs concerts de mélodies tunisiennes et orientales, de la musique soufie dont la "Hadhra" de Fadhel Jaziri dans une nouvelle version, ainsi qu'un gala du maître de musique authentiquement tunisienne Zied Gharsa. Ces deux derniers spectacles seront accueillis par la récente et prestigieuse Cité de la Culture.


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