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Istanbul Photo Awards 2025 : les lauréats soulignent la photographie comme outil de vérité en période de répression

- « Une photographie perdure comme un document pour l’avenir, surtout en ces temps marqués par des crimes de guerre en Ukraine et en Palestine », déclare la photographe primée Marylise Vigneau

Asiye Latife Yılmaz  | 13.10.2025 - Mıse À Jour : 16.10.2025
Istanbul Photo Awards 2025 : les lauréats soulignent la photographie comme outil de vérité en période de répression

Istanbul

AA / Istanbul / Asiye Latife Yilmaz


De la mémoire marquée par la guerre en Géorgie aux portraits courageux de femmes afghanes sous le régime taliban, les lauréats des Istanbul Photo Awards 2025 ont mis en avant le pouvoir de la photographie comme un devoir moral et un document de vérité en période de répression et de déplacements.

Organisés par Anadolu pour la 11e année consécutive, les Istanbul Photo Awards ont récompensé 29 photographes dans 10 catégories. Les sélectionnés ont été choisis parmi environ 22 000 candidatures venues du monde entier, témoignant du prestige croissant du concours, qui a attiré depuis sa création plus de 20 000 photographes.


- Échos de l’exil

Marylise Vigneau, deuxième prix dans la catégorie Portrait Unique, a capturé une image symbolisant « la souffrance des personnes déplacées par les guerres impérialistes et les jeux de pouvoir ».

Son portrait raconte l’histoire de Dzabuli Bendeliani, qui a fui la région d’Abkhazie en Géorgie lors de la guerre géorgiano-abkhaze en 1992. « Des histoires diverses et imbriquées forment un portrait fragmenté et subjectif d’un espace géographique et mental », a expliqué Vigneau à Anadolu.

« Pendant leur fuite, sa fille a laissé tomber une poupée que Dzabuli a rapidement récupérée. Cette poupée reste le seul souvenir qu’elle possède de sa vie d’avant », a-t-elle ajouté.

Elle a photographié Bendeliani dans les couloirs de Tskaltubo, une ville thermale de l’époque soviétique désormais peuplée de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, où son sujet vit depuis 30 ans.

« J’ai choisi cette image car elle porte la tristesse du temps déformé par la guerre. Elle parle d’une enfance jamais pleinement vécue, d’une vieillesse plongée dans le silence, d’une vie défaite avant de pouvoir se déployer. La rencontre a touché quelque chose de profond », a déclaré Vigneau.

Travaillant seule, elle a repéré les lieux à l’avance et s’est rendue en Géorgie pour ajouter un nouveau chapitre à son projet de long terme «C’était pour toujours… jusqu’à ce que ce ne soit plus (It Was Forever Until It Was No More) », explorant l’identité post-soviétique en Asie centrale et dans le Caucase.

Concernant sa technique, elle a expliqué avoir utilisé « simplement un objectif 28 mm et la lumière naturelle ».


- «  Les photographes préservent la mémoire  »

Vigneau a souligné que « chaque instant capturé par nos appareils a du sens. Les photographes documentaires protègent et préservent la mémoire, extrayant des vérités cachées et les révélant ».

« Une photographie perdure comme un document pour l’avenir, surtout en ces temps marqués par des crimes de guerre en Ukraine et en Palestine », a-t-elle ajouté.

Elle a mis en garde contre les risques croissants posés par l’intelligence artificielle en journalisme visuel : « Une image générée par l’IA est l’antithèse du photojournalisme, qui consiste à se rendre sur le terrain, confronter la réalité brute avec équilibre et humilité, et viser l’objectivité ».

« L’IA possède la censure mais pas l’éthique. Elle manque des qualités essentielles du photojournalisme : empathie, confiance et compréhension », a-t-elle précisé.

Vigneau a appris son prix alors que les manifestations contre les élections parlementaires truquées et la violence du régime « Rêve géorgien » approchaient leur centième jour. Elle s’est dite heureuse « de contribuer à attirer l’attention sur la longue lutte de la Géorgie pour son indépendance vis-à-vis de la Russie ».

Son projet réfléchit également sur les utopies politiques, leur corruption, l’identité et la mémoire, ainsi que sur l’indépendance et la résilience des personnes.


- Actes de résistance à travers l’objectif

Valentina Sinis, première prix dans la catégorie Story Daily Life, a été récompensée pour sa série « Si les femmes afghanes révélaient leurs histoires (Were Afghan Women to Unveil Their Tales) », documentant la vie cachée des femmes sous le régime taliban.

« Ce projet a été un parcours émotionnel et complexe », a expliqué Sinis à Anadolu.

« La préparation a commencé bien avant de mettre les pieds en Afghanistan, avec une planification minutieuse pour assurer la sécurité des femmes et la mienne ».

Chaque rencontre a été organisée avec discrétion pour protéger l’identité des femmes.

« La peur était palpable, mais beaucoup ont fait preuve d’un courage extraordinaire pour partager leurs histoires », a-t-elle ajouté.

Elle a rencontré plus de 50 femmes et filles, chacune racontant sa résilience face aux restrictions sévères et aux menaces sécuritaires persistantes.

« La détermination de ces femmes m’a inspirée à persévérer. Chaque photographie n’est pas simplement une image mais un acte de défi contre l’invisibilité imposée », a-t-elle expliqué.

Sinis a souligné son approche collaborative, laissant aux femmes le contrôle de la manière dont leurs histoires et images sont présentées, garantissant ainsi que leurs voix soient représentées avec dignité et respect.

Elle a cherché à capturer « les moments du quotidien reflétant leur résilience et leur espoir », en veillant à une planification, une sensibilité culturelle et un respect profond pour raconter leurs histoires de manière authentique et sûre.


- «  Chaque photo un cri silencieux qui défie l’oubli  »

La photographe italienne a décrit son projet comme « une démarche profondément personnelle » visant à amplifier les voix souvent ignorées.

« Pour les sujets, ces images permettent de briser le silence imposé et de partager leurs vérités avec le monde. Dans un contexte où l’expression personnelle est étouffée, chaque photographie devient un acte de résistance, un cri silencieux qui défie l’oubli et exige attention », a-t-elle affirmé.

Elle a insisté sur le rôle majeur de la photographie documentaire pour façonner les perceptions sociales et provoquer le changement.


- Images de destruction, de déplacement et de désespoir à Gaza comme témoignages viscéraux

« Dans le contexte du génocide en cours à Gaza, cette responsabilité est encore plus cruciale », a ajouté Sinis.

Elle a souligné la capacité unique de la photographie à saisir des moments bruts et non filtrés, transcendant les barrières culturelles et linguistiques : « À Gaza, les images de destruction, de déplacement et de désespoir sont des témoignages viscéraux des atrocités en cours. »

« Ces photographies suscitent l’empathie, remettent en cause les récits dominants et inspirent l’action », a-t-elle noté.

Pour elle, la photographie peut favoriser le changement social en documentant et partageant des histoires qui autrement resteraient ignorées, contribuant à la compréhension, à la lutte contre les injustices et à l’action collective pour un monde plus équitable.

« En photojournalisme, même si les outils technologiques permettent de capturer des images sophistiquées, c’est l’intelligence émotionnelle du photographe qui reste la technologie la plus puissante », a expliqué Sinis.

Cette capacité à percevoir et répondre aux émotions permet aux photojournalistes de se connecter véritablement avec leurs sujets et de capturer des moments qui résonnent et racontent des histoires captivantes.

Remporter les Istanbul Photo Awards a apporté à Sinis joie et reconnaissance : « Cette distinction honore non seulement les histoires des femmes afghanes mais amplifie également leurs voix sur une plateforme mondiale ».

« Elle renforce mon engagement à documenter leur résilience et leurs luttes, soulignant l’importance du récit visuel pour susciter l’empathie et provoquer le changement social », a-t-elle ajouté.

Elle a également salué le prestige et la reconnaissance internationale du concours, et la qualité de l’organisation par l’équipe Anadolu, contribuant à promouvoir le photojournalisme mondial.

Les Istanbul Photo Awards sont soutenus cette année par Turkcell (sponsor communication), l’Agence turque de coopération et coordination (TIKA, sponsor événement à l’étranger) et Turkish Airlines (sponsor aérien).

Plus d’informations sur les photographies primées et les membres du jury sont disponibles sur istanbulphotoawards.com.


* Traduit de l'anglais par Seyma Erkul Dayanc

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