Espaces culturels du vieux Tunis: Dar Lasram, une cité dans la ville

Tunisia
AA/Tunis/Slah Grichi
Classé depuis 1979 par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’Humanité, le vieux Tunis (la Médina qui signifie ville ou cité) regorge de constructions, de demeures dont des palais, d’édifices religieux et funéraires qui ont été préservés, conservant ainsi leurs spécificités architecturales et reflètent par là-même les différentes époques de l’histoire de la Tunisie depuis le XIIIè siècle.
Le cœur de la capitale
C’est pendant le règne des Hafsides (1236 – 1574) que la Médina, où se multipliaient commerces et habitations, a prospéré pour devenir le cœur battant de la ville de Tunis, capitale d’Ifriqia (un territoire qui comprenait au Moyen Age la Tunisie et de larges pans de l’Algérie et de la Libye).
Entourée de deux ceintures de murailles, elle n’était séparée -côté ouest- de ce que fut le port que de quelques deux cents mètres.
Avec l’invasion des Espagnols du temps de Charles Quinte et l’intervention du Sultan Soliman le Magnifique, des batailles d’un demi-siècle (1520 – 1574) allaient s’engager et qui allaient « survivre » à ces deux souverains, Tunis et sa Médina allaient connaître une dégradation quasi-totale, aussi bien sociale qu'urbaine.
L'écrasement de l'armée du roi Philippe II par celle du Sultan Sélim II annoncera une renaissance de la Médina qui sera visible quelques années plus tard, grâce à la stabilité et à la rigueur apportées par le Dey Othman qui a régné de 1593 à 1610 et à son successeur (1610 - 1637).
L'avènement des Beys, particulièrement Hammouda Pacha, conjugué à l'arrivée des Morisques chassés d'Espagne, seront marqués par une remarquable floraison urbaine illustrée par la restauration des anciens édifices et la construction de nouveaux (palais, mosquées, sanctuaires...) qui n'ont pas cessé de se multiplier jusqu'au XIXè siècle, permettant à la Médina de retrouver son lustre, d'accroître son rayonnement et d'attirer de plus en plus de dignitaires et de familles aisées, dont les Lasram justement;
Descendante d'une tribu yéménite installée à Kairouan avant de migrer vers Tunis, la famille Lasram est une vraie dynastie presque héréditaire de ministres de la plume (premiers secrétaires de la Chancellerie beylicale) et d'intendants militaires investis de la dignité de khodja (responsables des régiments de la cavalerie). L'un d'eux, Hammouda, haut responsable à la Cour du Bey et riche propriétaire terrien, rachetait au tout début du XIXè siècle, à la rue du Tribunal, à proximité de la prestigieuse rue du Pacha et pas loin de la référentielle mosquée Zitouna, une fabrique de tabac et quelques maisons s'y appuyant, pour les raser et édifier une résidence d'environ 2220 mètres carrés.
Une résidence à l'allure de palais
Un vrai palais auquel on accède par une porte sobre au contraste étonnant avec la somptuosité de l'intérieur. Passé le vestibule (driba), on se retrouve dans une série d'antichambres, donnant par deux escaliers sur le magnifique patio principal dallé de marbre blanc de Carrare et aux murs couverts de faïence polychrome et de plate sculptée.
Tout autour, il y a les appartements séparés des membres de la famille, avec en face la salle d'apparat (faisant office de grand salon de réception) en forme de croix, agrandie par trois alcôves et quatre "maqsoura" (petites pièces aux portes basses).
Des marches en face mènent vers une sorte de séjour de style purement ottoman, rappelant celui du grand salon du palais beylical. Des étagères en forme de fenêtres dont l'une camouflant un passage secret qui débouche, à travers la maison de service (Dar el harka, cuisine et réserves de victuailles) sur la rue Sidi Brahim de l'autre côté du quartier, et qu'on utilisait en période de troubles. Cette pièce fait office d'espace intermédiaire entre la résidence principale et les appartements des invités (dar edhiaf) situés à l'étage supérieurs;
En dehors du palais lui même agrémenté par trois morceaux de jardins, il y avait la maison des serviteurs, à droite de la porte d'entrée, les écuries et et les entrepôts, au tournant à gauche. "C'est là qu'on entreposait les produits des terres du propriétaire destinés aux marchés dont, selon les dires, on soustrayait quotidiennement et entre autres, deux sacs de blé pour les nécessités domestiques", nous déclare Zoubeïr Mouhli, historien de l'Association de sauvegarde de la Médina. Il ajoute que Dar Lasram constituait à elle seule une petite société qui avait son propre bain maure dont l'entrée publique est située à l'angle des entrepôts au tout début de la rue Naôura et qui était exclusivement réservé les matinées aux gens du palais;
Dar Lasram, avec ses trois niveaux, ses dépendances, son style architectural où le turc, l'italien et l'andalou se marient à la perfection, frôle la perfection. Son écrin fait de marbre blanc, de faïence polychrome dont on ne fait plus, son plâtre ciselé, ses faux plafonds en bois peints garnis de rinceaux et de motifs floraux, l'élève au rang de chef d'oeuvre, qu'une branche des Lasram a gardé jusqu'à 1964, bien que l'immensité de l'espace (2000 mètres carrés bâtis) le rendait impossible à entretenir dans son ensemble.
Culture et festival de la Médina
A cette date et avec la levée des "habous" (biens inaliénables), c'est la municipalité de Tunis qui allait l'acquérir cette magnifique Dar pour faire de la résidence principale le siège de l'Association de sauvegarde de la Médina qui a veillé et veille toujours à la préservation du cachet du vieux Tunis, à la restauration de tous ses édifices et à ce qu'il continue de figurer au patrimoine mondial de l'Humanité. Le patio principal sert depuis te tout début des années 1980 aux spectacles ramadanesques du festival de la Médina, créé et soutenu jusqu'à aujourd'hui pour promouvoir le coeur de Tunis et pour entretenir son renouveau.
Les écuries et les entrepôts, merveilleusement restaurés, accueillent depuis près de 40 ans, le club Tahar Haddad qui, mieux que de n'avoir pas pris de rides, rajeunit chaque année davantage, grâce à sa salle de conférences et surtout à sa salle de lecture et de révision pour étudiants qui se renouvellent de génération en génération et qui peuvent, de temps à autres, se délecter des récitals et des concerts que les artistes prennent un plaisir nostalgique à y donner.