Aux racines du massacre des musulmans Rohingyas: Le récit d'une réalisatrice franco-marocaine

Rabat
Casablanca/ Mohamed Taleb/ Anadolu
La réalisatrice française d’origine marocaine, Aouatef Kelloqi, a été une des premières à tirer la sonnette d’alarme face au génocide subi par les Musulmans Rohingyas au Myanmar.
L’alarmisme de Kelloqi, qui a livré une interview à l'agence Anadolu, n’a pas été motivé seulement par le renouvellement des tueries et des déportations de cette population musulmane, qui constitue une minorité au Myanmar, mais par son suivi minutieux du feuilleton des crimes contre l’Humanité commis par les milices bouddhistes et la junte militaire du Myanmar à l’encontre des Rohingyas.
En co-réalisant le documentaire : «Les Rohingyas sans patrie», Khelloqi a authentifié les horreurs et témoigné des atrocités que connaît l’Etat de l’Arakan au Myanmar depuis juin 2012.
La réalisatrice française d’origine marocaine, Aouatef Kelloqi, a été une des premières à tirer la sonnette d’alarme face au génocide subi par les musulmans Rohingyas.
Black-out médiatique
Choquée par le sort des Rohingyas à la suites des affrontements de juin 2012 entre les communautés musulmane (Rohingyas) et bouddhiste (Rakhins) de l'État d'Arakan au Myanmar, Aouatef Khelloqi, fait partie des rares étrangers (observateurs, journalistes, droit-de-l’hommistes…) ayant pu accéder à l’Etat de l’Arkan depuis 2012.
En 2012, cette photographe-documentaire était une des rares à s’intéresser au sujet des affrontements dans l’Etat d’Arakan, notamment, dans la ville de Sittwe, le long de la zone frontalière avec le Bangladesh.
Personne n’en parlait, il y avait un black-out médiatique. Le président de l’époque, Thein Sein, avait décrété l’état d’urgence, la région était complètement fermée et personne ne pouvait y accéder, que ce soit les ONG ou les observateurs internationaux, raconte Aouatef dans un entretien avec Anadolu.
Loin des caméras, les exactions contre les Rohingyas battaient leur plein. « Durant cette période, il y a eu un véritable massacre de cette population », confie la réalisatrice qui s’intéresse particulièrement aux minorités à travers le monde.
Aux racines du conflit
Revenant sur les ressorts profonds de cette traque des musulmans du Myanmar, notre source explique qu’ils font partie des 30% des minorités ethniques au Myanmar . Outre les Bamars de confession bouddhiste qui constituent 70% de la population, le Myanmar compte près de 130 minorités. Cependant, les Rohingyas ont la particularité d’être dépourvus de nationalité depuis qu’on leur a retiré la nationalité en 1982, précise-t-elle. « Les Rohingyas sont aujourd’hui un peuple apatride », regrette-t-elle.
Plus accablant encore, ils sont considérés par les bouddhistes Rakhins, avec qui ils partagent l’Etat de l’Arakan, comme une menace. Dit autrement, « des envahisseurs qui doivent quitter l’Etat ».
« A l’époque, les birmans de confession bouddhiste expliquaient que les Rohingyas étant donné qu’ils sont des musulmans, sont forcément des terroristes », a-t-elle soutenu.
Le choix terrible : la fuite ou la mort
Fustigeant le silence abject de la communauté internationale, notre source a tenu à préciser qu’il y a eu plus de 100.000 déplacés vers le Bangladesh en juin 2012.
«On a rencontré des Rohingyas, qui étaient complément désemparés parce qu’ils avaient l’impression qu’ils étaient livrés à leur sort. Il y avait des massacres, il y avait un peuple qui était complètement disséminé, des villages qui ont été mis en ruine et personne n’en parlait », a-t-elle étalé avec amertume.
Notant le rapport de HRW (Human Rights Watch) de 2013 qui avait fait la lumière sur le fait que la junte militaire participait à cette épuration ethnique, elle précise que la fermeture des frontières avec le Bangladesh a poussé les Rohingyas à essayer de joindre l’Asie du Sud-est, entre autres, vers le Thaïlande.
"De pire en pis, cette fois, ils se sont retrouvés en proie du trafic humain", a-t-elle encore dit.
« Ce qui était déstabilisant, c’est que l’ONU estime que c’est l’une des communautés les plus persécutées au monde. Elle l’écrit dans un de ses rapports et pourtant personne ne réagit », s’indigne-t-elle.
Silence complice
Au milieu d’un silence abject et du mutisme de la Communauté internationale, le peuple des musulmans Rohingyas constitue de nos jours la plus importante population apatride depuis qu’on leur a retiré la nationalité en 1982, estime notre source.
«Il n’y avait aucune aide internationale, la communauté internationale avait passé ce massacre sous silence pour de multiples raisons, notamment, parce que cette année (2012), le Myanmar démarrait un processus de démocratisation et d’ouverture économique», a-t-elle tenue à rappeler.
D’après elle, la communauté internationale voyait d’un bon œil l’élection de l’opposante au pouvoir Aung San Suu Kyi, comme député. Du coup, elle n’a pas réagi, voire elle a levé en 2013 les sanctions imposées au Myanmar dirigé par une junte militaire à l'époque.
«Il fallu 2013 pour quelques pays musulmans réagissent, notamment la Malaisie et la Turquie et tardivement l’Arabie Saoudite », a-t-elle rappelé.
Un peuple en voie de disparition
Quoique qu’elle est devenue actuellement chef du pouvoir civil au Myanmar, la Prix Nobel de la paix (1991) se trouve en plein déni face aux persécutions infligées aux Rohingyas.
« Si personne ne réagit, si la communauté internationale ne réagit pas, si les médias ne font pas du bruit, c’est un peuple qui est amené à disparaître », s’alarme la réalisatrice, car, de son point de vue, "on est au bout de cette épuration ethnique qui dure depuis 2012".
Pour que ça cesse, la communauté internationale doit réagir et mettre la pression sur Aung San Suu Kyi et aussi sur les militaires. Puis, les Rohingyas doivent accéder à la nationalité, ils doivent pouvoir vivre dans leur état, dans leur village ». « Si on poursuit cette tragédie, ce peuple est amené à disparaître », s’alarme la réalisatrice.
Notons que le film documentaire «Les Rohingyas sans patrie» a été réalisé en 2013 par Khelloqi avec Rafiaa Boubaker et David Moerman. L’équipe du tournage, qui a pu visiter quelques villages de l’Etat de l’Arakan en 2012, a été contrainte à tourner en caméra cachée au vu de l’interdiction imposée par les forces de l’armée du Myanmar.
Outre les conditions de vie intenables dans lesquelles vivent les Rohingyas dans leurs villages, le film contient également des témoignages de résidents dans les camps de réfugiés des pays riverains ayant été victimes des attaques des milices bouddhistes avec le soutien des militaires.
L'équipe du tournage a également interrogé des citoyens Rakhins afin de comprendre les raisons de leur acharnement contre les Rohingyas qu’ils prennent pour des musulmans «terroristes». Il a également exposé le point de vue du représentant des Rohingyas à Londres ainsi que l’analyse d’un chercheur français dans un centre de recherche à Paris.