Au Burundi, la masse des déshéritées souffre en l'absence de loi sur la succession
Les musulmans burundais constituant l'exception.

AA/ Bujumbura/ Renovat Ndabashinze
"Je suis condamnée à travailler dans les champs des autres pour survivre alors que nos parents nous ont laissé, mes soeurs et moi, une grande étendue de terre", se plaint Béatrice Nahiman, la quarantaine, de la colline Nyakibari, au centre du Burundi.
Le cas de Béatrice n'est point inédit. Comme elles, elles sont des milliers à être condamnées à vivre de peu alors que leurs ascendants n'auraient pas dû les destiner à un aussi pénible sort. Les plus malheureuses, parmi ces déshéritées, sont celles qui n’ont pas fréquenter l’école, qui se retrouvent ainsi, sans diplôme, ni salaire mensuel, ni héritage.
Catherine Nyabenda, une divorcée de la commune Nyabiraba, province dite Bujumbura rural, partage son toit avec sa maman. Ses frères ont invoqué "la tradition burundaise" pour la priver de l'héritage de leur père, décédé quelques années auparavant.
« La terre doit être héritée par les enfants mâles seulement », dit un des frères de Catherine à Anadolu.
Selon cette tradition, variable en fonction des zones, la femme ne peut qu'avoir droit en matière d'héritage, qu'à l'usufruit d'une petite portion de terre, tout au plus. Mais, même cette configuration reste minoritaire dans un environnement marqué d'absence de loi, en la matière, ce qui renforce le recours à une tradition, jugée "inacceptable" par la société civile burundaise.
« Le Burundi n'est pas un îlot, il doit se conformer aux textes internationaux déjà ratifiés » soutient Gertrude Kazoviyo, secrétaire général de la Ligue Burundaise des droits de l’homme à Anadolu, qui évoque entre autres, la Déclaration Universelle des droits de l’homme et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme.
Pour Janvier Bigirimana, la ratification par l'Etat burundais de ces textes les fait intégrer, ipso jure, l'ordre juridique national. Cette situation "insoutenable", selon lui, n'est pas pour aider au désengorgement des tribunaux où plus de 80% des conflits pendants sont fonciers.
«Ne pas mettre en place une loi sur la succession est synonyme du refus de reconnaître que la femme est le pilier du développement » conclut-il, dans une déclaration à Anadolu.
L'avis est partagé par Catherine Tegera, vice-présidente du Conseil National des notables, qui confie à Anadolu que "La référence à la coutume est injuste à l’endroit de la fille. Cela maintient la femme burundaise dans une situation de dépendance."
Depuis 2004, un projet de loi sur la succession a été préparé, mais jamais voté. La coutume reste, pour l'instant, la seule référence pour trancher des conflits fonciers entre frères et sœurs. Joint au téléphone par Anadolu, Philippe Nzobonariba, secrétaire et porte-parole de Bujumbura demande plus de "patience" en assurant que le projet de loi "n’est pas tombé dans les oubliettes", sans plus de détails.
Toutefois, si la problématique de l'héritage concerne souvent la terre, et se rencontre, à ce titre, surtout dans les milieux ruraux, il en est différemment de certaines zones urbaines du Burundi.
Bien avant sa mort, le père d'Aline avait ainsi procédé au partage équitable de ses biens entre ses trois fils et fille, laquelle a vu une maison lui échoier, "en l'absence de la moindre contestation de mes frères", confie-t-elle à Anadolu.
Aline en a profité pour ouvrir un petit commerce d'habits pour dames. Aujourd'hui, cette mère de quatre enfants affirme n'avoir aucun souci financier être autonome, vis-àvis de son mari, fonctionnaire, ni pour l'aider à l'éducation des enfants.
Chez la communauté musulmane burundaise, il s'agit de l'exception burundaise.
« On se réfère à ce que demande l’Islam où il est bien précis que les fils et les filles ont tous droit à l’héritage, avec un avantage pour le fils», signale Kigabiro, un vieux musulman de la commune Buyenzi.
Aïcha, musulmane du quartier Bwiza, est propriétaire aujourd'hui d'une maison et d'une voiture, laissée par son père, qui avait aussi un fils. Aujourd’hui dans le veuvage, elle s’est convertie dans le métier de son père « J’importe les pagnes et d’autres habits pour femmes ». Tout son capital est venu de l’héritage, assure-t-elle.