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Sénégal: La langue du sermon du vendredi divise les imams

Moins de 5% de la population comprennent la langue arabe au Sénégal et 95% parlent le Wolof.

01.01.2015 - Mıse À Jour : 01.01.2015
Sénégal: La langue du sermon du vendredi divise les imams

AA/Dakar/Alioune Bdara

Discours en deux temps prononcé par l’imam avant la grande prière du vendredi, la khutba juma’a (sermon du vendredi) est une obligation au même titre que les deux rak'ah (unités de prières). Mais, au Sénégal les imams ne sont point d’accord sur la langue dans laquelle le sermon doit être prononcé.

«Même si l’assistance est exclusivement composée de sourds, l’imam est tenu de faire la Khutba», avise Alassane Mbengue un imam sénégalais adepte du soufisme pour montrer l’importance que revêt ce discours avant la prière du vendredi.

Aucune divergence de ce point de vue unanimement partagé par les doctes. A l’ouverture du sermon, «l’imam glorifie Dieu et prie pour le prophète. Il doit aussi convoquer des versets du coran et des hadiths pour authentifier son discours destinés aux croyants », fait remarquer l’imam Alamine Seck.

Le seul point sur lequel ne s’accordent pas les musulmans sénégalais c’est la langue de transmission. Au Sénégal, une tendance vieille d’une vingtaine d’années veut en fait que le sermon, au préalable fait en langue arabe, soit traduit en wolof (langue locale parlée par la quasi-totalité des sénégalais). «C’est un discours destiné à un auditoire et, par conséquent, il perd de son impact si la langue de transmission n’est pas comprise par les destinataires», explique à Anadolu Assane Diouf, un imam salafiste d’une mosquée à Rufisque (à 25 km au Sud-est de Dakar), adepte de cette tendance.  

Se voulant plus clair, l’imam dont la langue maternelle est le sérère (3ème langue locale au Sénégal) convoque le verset quatre de la sourate 14 (Ibrahim) pour étayer sa position. « Et, nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple afin de les éclairer», récite en arabe Diouf avant d’en donner l’essence.

Pour Alassane Mbengue, ce verset ne peut servir de faire-valoir pour légitimer la traduction de la  khutba. « Mohamed (Psl) n’est pas le messager des arabes mais celui de l’humanité toute entière et donc l’arabe est la langue de tous les musulmans ».

Cependant, ceux qui comprennent l’arabe ne sont pas légion dans le pays. Ce qui pose un réel problème de compréhension du sermon s’il n’est pas traduit.« Combien de fois des personnes, et ce, sans rien comprendre des paroles, ont pleuré en écoutant une belle voix réciter le saint coran?», interroge Mbengue qui conclut que «la khutba n’est pas un discours pour les oreilles, mais plutôt, destiné au cœur. »

Au Sénégal, l’islam est pratiqué principalement sur la base des enseignements du rite malikite. Et, sur la question de la  khutba juma’a « l’imam Malick préconise qu’on le fasse en langue arabe », informe l’imam Yaba Ndoye.C’est ainsi que dans les grands foyers religieux du pays, à l’instar de Touba(centre), Ndiassane(nord-ouest) ou Tivaouane(ouest), cette pratique fait loi depuis l’arrivée de l’islam auquel les fondateurs de ces maisons religieuses ont grandement contribué à son expansion.

En dépit de cet aveu, Yaba Ndoye, musulman soufie, s’adonne cependant à la traduction de ses sermons. «En l’absence de versets ou hadiths tranchant de manière claire et nette sur un sujet déterminé, c’est la rationalité qui prévaut et chacun y va de l’approche qui lui semble la plus normale», explique le septuagénaire qui préside à la prière du vendredi, depuis 1998.

Convaincu de la bonne portée de son action, l’imam Ndoye rappelle le dernier sermon du prophète  Mohamed lors duquel il avait appelé à ce «que le message soit transmis à ceux qui sont absents ».  

«Le rite malikite est l’école de référence au Sénégal et son enseignement est clair à propos de la  khutba », informe pour sa part Mamadou Tall, un musulman soufi. Malencontreusement pour lui, la khutba est traduite en wolof à la mosquée de son quartier implanté au cœur de Dakar. « Pas question de prier derrière un imam qui traduit la khutba », fait savoir Tall. Ainsi, pour sacrifier à la prière du vendredi il fait deux kilomètres pour « trouver refuge » dans une mosquée où le discours préalable n’est pas traduit.Conservateur jusqu’à l’ongle, Tall va plus loin. Pour lui, la khutba fait partie intégrante de la grande prière du vendredi qui ne peut se faire, comme toutes les autres prières, que dans la langue arabe. Ainsi, assume-t-il : « La traduction de la  khutba dans une autre langue gâche la prière du vendredi. »

Un point de vue incompréhensible chez Moussa Fall. « Le fait que la khutba soit faite exclusivement en arabe ou bien traduite en wolof ne peut me faire déserter telle mosquée ou telle autre», soutient le quadragénaire qui estime en outre que « la traduction est une bonne chose dans un pays où seulement moins de 5% de la population comprennent la langue arabe. »

La quasi-totalité des personnes rencontrées sont sur la même longueur d’onde que Moussa Fall. Cependant, le constat est que la majorité des imams s’en tiennent au conservatisme nonobstant une percée remarquable de quelques imams, décidés à rendre accessible à tous le sermon du vendredi en le traduisant.

 
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