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Lutte sénégalaise: Poings de salut pour des milliers de jeunes

En échec scolaire, sans formation professionnelle, et face à la crise du chômage, des milliers de jeunes investissent la lutte sénégalaise et passent leur temps à s’entraîner en espérant gagner des millions.

15.09.2014 - Mıse À Jour : 15.09.2014
Lutte sénégalaise: Poings de salut pour des milliers de jeunes

AA/Dakar/Yazid BAMSE

Pour eux, c’est la voie royale vers la réussite. Boy Lô, Léral, Samba Ndélling ou Sa Ndiarème sont catégoriques:  la lutte est le chemin le plus rapide pour "devenir quelqu’un" dans la société sénégalaise.  

Autrefois, la lutte sénégalaise était uniquement un sport amateur, traditionnel qui avait lieu après la saison des pluies. Les joutes opposaient alors les lutteurs de villages environnants avec comme trophées du bétail, des céréales ou du tissu.

Réglementée et modernisée avec désormais l’ajout de la boxe, la lutte compte plus de 10.000 licenciés qui ne rêvent que d’une seule chose : devenir un jour "le roi des arènes", titre officieux du meilleur lutteur du Sénégal. 

Un trône synonyme d’argent, de réussite sociale dans un pays où le salaire minimum garanti est de 0,415 usd, l’heure.

Aujourd’hui, le "Roi", s'appelle Bombardier (aussi surnommé B52) . Il a gagné 155 000 usd lors de son dernier combat en juillet de cette année, alors que d’autres "Rois" comme les lutteurs "Balla Gaye 2" ou "Yékini", peuvent encore toucher près de 300 000 usd pour un combat. Sans compter leurs recettes publicitaires qui se chiffrent en milliers de dollars également.

Des sommes qui en font rêver plus d'un. 

«Je suis certain que si tout ce passe bien, je vais devenir millionnaire, célèbre, adulé, et respecté», martèle Léral, 197 cm, le regard fier.

 Sa mine post-pubère et sa voix trahissent son jeune âge (20 ans) malgré sa masse athlétique impressionnante.

Le garçon habite Guédiawaye (banlieue de Dakar) et a commencé la lutte, il y a moins de 3 ans. Il a cessé toute activité pour se consacrer à sa passion. 

Ancien conducteur de calèche, il pouvait rester des jours sans gagner de l’argent. Sa situation n’a pas beaucoup changée depuis.

«Comme jeune lutteur ce que je perçois est insignifiant : 198 usd par combat pour 2 combats par saison. C’est trop peu pour vivre, mais j’ai bon espoir que je vais toucher des millions dans 3 ou 4 ans en alignant des victoires dans l’arène». Pour atteindre son objectif, le jeune de Guédiawaye s’entraîne 2 ou 3 trois fois par jour pendant toute l’année.

A Dakar, sur les plages de Yoff ou de Guédiawaye, des dizaines de jeunes comme lui, s’entraînent pour améliorer leur condition et apparence physique et perfectionner leurs techniques de lutte.

Boy Lô, lutteur de 21 ans fait des séries de pompes sur la plage. Il a déjà 6 combats dans l’arène à son actif et rêve de monter une entreprise agroalimentaire avec "les millions" qu’il compte gagner dans la lutte.

«Je veux retourner travailler la terre dans mon terroir d’origine avec des machines ultra modernes. Je veux parvenir au sommet pour gagner 300 000 usd un jour», espère le jeune de l’ethnie sérère, dont les membres sont réputés pour être de bons lutteurs.

Abou, lui, a 16 ans. Depuis 3 ans, il ne va plus à l’école, et n’est pas intéressé non plus par les cours de mécaniques que voulait lui imposer son père. Son vœu : «Réussir dans la lutte et acheter une belle maison à mes parents».

Pour Al Ousseynou Bâ sociologue, le phénomène des jeunes dans la lutte est simplement la conséquence de la crise.

«Le Sénégal est dans un monde de crise où chacun veut se faire une place. La lutte n’échappe pas à la guerre des places surtout avec les millions qui sont injectés dans l’arène. Le statut social que procure l’argent que touchent certains ténors font que les jeunes rêvent de les imiter. Avant, c’était les emplois, par le biais du savoir, qui faisaient rêver, aujourd’hui, ce sont les lutteurs qui sont devenus des exemples. Les plus belles filles du pays veulent s’afficher avec les mastodontes, les plus grandes entreprises veulent associer leurs images à ces nouvelles stars enviées qui perçoivent des centaines de millions de francs CFA ( plus de 200 000 usd) ». 

La lutte comme ascenseur social, "c’est une réalité" confirme à Anadolu, Pape Abdou Fall, promoteur de combats de lutte dans un langage imagé.

«Cela ne sera pas facile pour eux, mais la lutte est devenue au Sénégal un grand train qui transporte tous ces jeunes vers des opportunités qu’ils ne pouvaient pas atteindre, il y a encore quelque temps».

Le promoteur invite ainsi l’Etat à se pencher sur la lutte pour en faire un nouveau moyen de canaliser la jeunesse par ces temps de crise.

«Il faut soutenir les écuries (clubs ou écoles de lutte) pour qu’elles dispensent à leurs membres des formations professionnelles qui pourraient leur permettre d’avoir d’autres options de travail avant ou après leur carrière».

Sa proposition trouve un écho favorable chez  Modou Lô, dit "Kharagne", l’un des lutteurs les mieux payés de l’arène.

Idole et référence de la majorité des jeunes lutteurs, Kharagne les invite à suivre des formations professionnelles.

«Tout le monde ne peut pas réussir dans la lutte, il faut être objectif. Il n’y a qu’un seul roi pour des centaines de milliers de lutteurs. Je fais la promotion de l’émission télévisée «Kharagne à l’école» pour inciter les jeunes à rester le plus longtemps possible dans les salles de classe. Certes la lutte nourrit son homme, mais le Sénégal a aussi besoin d’intellectuels pour avancer.»

Aujourd’hui, les grands combats de lutte au Sénégal se déroulent souvent dans les stades de foot qui peuvent accueillir entre 25 000 et 60 000 spectateurs. Les lutteurs choisissent généralement des surnoms de scène par superstition ou crainte du maraboutage, très présent dans le milieu.

La lutte est coordonnée par le Comité National de Gestion (CNG) qui fait office de fédération.

 

 
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