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La réconciliation sud-africaine "modèle non exportable" en Afrique

La réconciliation sud-africaine a réussi à la faveur de Mandela, de la recherche de l'intérêt national.

29.04.2014 - Mıse À Jour : 29.04.2014
La réconciliation sud-africaine "modèle non exportable" en Afrique

AA- Tunis -Safouene ben Grira

Le leadership de Nelson Mandela, le sens du sacrifice animé par la recherche de l'intérêt national et la particularité du combat mondial contre le racisme rend le modèle sud-africain "non exportable" à d'autres zones de conflit actuelles en Afrique, et réduisent toute réconciliation s'en inspirant "à un pure exercice de style", selon le géopoliticien Lucien Pambou.

En 1995, près de 8000 sud-africains ont avoué à la "commission vérité et conciliation" les crimes dont ils se sont rendus coupables sous l'Apartheid, en échange de leur amnistie. Noirs et blancs se sont ainsi avoué mutuellement leurs torts pour mettre fin à un conflit qui aura duré 43 ans. Cette institution basée sur "le pardon mutuel" a été, selon l'écrivain tunisien Safi Said, une source d'inspiration pour beaucoup de pays africains sans jamais avoir donné les mêmes résultats. La première raison est que "d'autres pays ayant besoin de réconciliation n'ont pas de leaders de la carrure de Mandela".

" Est-ce que l'on a aujourd'hui des gens de la trempe de Mandela ou de de Klerk dans n’importe quel autre pays africain pour que l’on puisse aboutir à une réconciliation ? Mandela a même participé à certaines réconciliations au Rwanda,au Zimbabwe, en RDC, note Said. Il a assimilé l’expérience de son pays et a essayé de l’exporter ailleurs" a déclaré l'écrivain à Anadolu. "Mais ces pays tous seuls, ne pourraient y parvenir. Qui pourrait, aujourd’hui, être à la tête d’un grand projet de réconciliation nationale en RCA par exemple ? Personne."

La particularité sud-africaine, faisant défaut dans d'autres pays, tient également à la nature des faits incriminés. Le racisme anti-noir est devenu "l'objet d’une condamnation universelle" selon l'éditorialiste Lucien Pambou, du comité de rédaction de la revue "Géopolitique africaine". L'opinion internationale, dont l'apport est important dans les réconciliations, se trouve, dès lors, moins sensibilisée à des conflits puisant leurs sources ailleurs que dans ce thème, selon cet écrivain.

"Le combat contre le racisme est un combat considéré comme mondial. Dans des pays nécessitant une réconciliation, la prise de conscience internationale de leurs conflits n’est pas encore au point" soutient cet expert de la géopolitique africaine "Tous les autres conflits, qui ne trouvent pas leurs sources directement dans le racisme anti-noir, ne bénéficient pas de publicité suffisante mondialement parlant. Ils sont plutôt considérés comme des différends exclusivement liés le pouvoir."

Au lendemain de la guerre civile provoquée par la crise politico-électorale de 2010, la Côte d'Ivoire s'est essayée à une réconciliation entre le pouvoir et les partisans de l'ancien président Laurent Gbagbo. Cette réconciliation n'a, toutefois, pas rencontré la réussite escomptée en ce qu'elle a été perçue par les vaincus, selon le géopoliticien Lucien Pambou, comme un instrument de réconciliation "à double vitesse". Le sens du compromis, animé par la recherche de l'intérêt national, condition qui s'est retrouvée en Afrique du Sud, "y a fait défaut" selon Lucien Pambou.

"Cette commission "dialogue, vérité et réconciliation" a été organisée par les vainqueurs de la guerre civile qui a fait 3000 morts" rappelle Pambou. "Elle a été perçue par les membres du FPI (pro-Gbabgo) comme une commission des vainqueurs. Les pro-Gbagbo ont estimé que tous les problèmes de fond n'ont pas été traités, dans la mesure où l'on ne peut se réconciler tant que Gbagbo et Goudé [proche de Gbabgo] sont mis en cause devant la Cour Pénale Internationale. C'est donc une fausse réconciliation pour les vaincus."

La recherche de l'intérêt national au prix de sacrifices, demeure ainsi, pour ces experts, la pierre angulaire du modèle sud-africain. Cette conscience nationale a, toutefois, fait défaut, en  République Démocratique du Congo, selon le professeur à l'Université de Kinshasa. Le critère de "l'abnégation nationale" rendrait, selon cet universitaire congolais, toute vélléité de réconciliation inopérante.

" On avait besoin, en 2003, d’une approche inclusive qui n'exclue personne. La commission ne réussit pas chez nous parce que ceux qui n’ont pas pris les armes pensent qu’ils ont moins de concessions à faire que les autres, et ceux qui ont pris les armes pensent que cela leur avait procuré un avantage considérable par rapport aux autres. Chacun voulait faire triompher ses ambitions personnelles. En Afrique du sud, le parti de Mandela a fait preuve d'humilité et a fait prédominer l'intérêt collectif sud-africain au détriment des intérêts des noirs."

L'experte en questions africaines au centre Ahram pour les études politiques et stratégiques, au Caire, Amira Abdelhalim, adhère à l'analyse du Professeur congolais. Elle rajoute qu'une réconciliation ne peut être envisagée présentement en Egypte en raison de "la forte tension populaire et politique" qui s'y opposerait.

"On ne peut s’inspirer que partiellement du modèle sud-africain"  indique l'experte égyptienne à Anadolu. "La situation est tendue en Egypte. A la veille des élections, évoquer la réconciliation revient à jeter un pavé dans la marre. On a besoin d’un peu d’apaisement et de stabilité avant, parce qu’en ce moment, chacun des deux protagonistes se positionne en victime."

Un constat partagé par Hassan Nafaa, professeur de sciences politique à l'Université du Caire. En février, cet universitaire avait proposé une réconciliation nationale entre Frères Musulmans et le pouvoir en place.

"La dimension politico-religieuse du conflit a fait de l'Egypte un cas particulier" indique cet expert à Anadolu. "Si un président fort émerge avec une majorité très confortable, une réconciliation est possible. Mais il faudrait que les Frères Musulmans fassent leur auto-critique et que les autres comprennent que la réconciliation est nécessaire pour l’établissement d’une démocratie."

Durant les deux dernières décennies, d'autres commissions de réconciliation ont vu le jour à la suite de conflits ou de transitions politiques. Cela a, notamment, été le cas du Ghana (2002), de la Sierra Leone (2002) et du Liberia (2005). Selon une étude menée par le politologue David Baker, 80% de la population ont pensé que la Commission a permis que de telles violations des droits de l’homme ne se reproduisent plus dans le futur.

 
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