AA/ Conakry/ Fabien Offner
On distingue trois petits points noirs au sommet d'un des quatre vertigineux minarets de la grande mosquée de Conakry. Les ouvriers guinéens, sommairement harnachés à un inquiétant échafaudage, n'ont jamais été aussi proches du ciel, dangereux en ce mois d'août orageux. Mais, tout comme le erste de leurs concitoyens, ils peineront cette année à se rendre à l'un des trois symboles de l'Islam: la Mecque et leur grogne s'annonce lourde de sens.
La mosquée Fayçal se refait une beauté. Ouverte en 1982 sous la présidence d'Hamed Sékou Touré, premier président de la République de Guinée de 1958 à 1984, l'édifice est un cadeau du roi Fahd d'Arabie saoudite. Mais, cette année la monarchie pétrolière, alarmée par les quelque 1200 morts d'Ebola, a levé son veto contre la Guinée et les autres pays touchés apr Ebola. Leurs pèlerins n'auront pas de visa pour se rendre à la Mecque. Le bouillonnement des Guinéens insatisfaits s’entend et s’observe, par conséquent, à tout bout de champ.
«J'ai 66 ans et aussi loin que remontent mes souvenirs, c'est la première fois qu'un tel événement arrive dans l'histoire de la Guinée. Le gouvernement y est pour beaucoup», témoigne Mohamed Diallo, habitué d'une mosquée de Sangoya en grande banlieue de Conakry, où la ville se heurte à la mangrove (forêt des littoraux tropicaux .
Comme la plupart des Guinéens, majoritairement musulmans, M. Diallo n'ira sans doute jamais à la Mecque. Le coût du voyage est d'environ 3 000 euros, 60 fois le salaire minimum local. «L'argent des pèlerins n'a pas encore été encaissé, donc les problèmes liés à l'annulation sont limités», explique à Anadolu Elhadj Amadou Mounir Diallo, directeur d'une agence de voyages spécialisée.
L'année dernière, son petit bureau sombre décoré par une photo de l'esplanade de la Kaaba a envoyé 220 pèlerins. «En ce moment, les difficultés concernent surtout les avances faites par certaines agences pour le logement des pèlerins sur place», explique-t-il.
Les restaurateurs, indispensables compagnons des voyageurs guinéens perdus sans leurs plats de riz, sont eux aussi concernés par l'annulation du hadj. Chaque année, quand les pèlerins se rendent à la Mecque pour se nourrir spirituellement, Mme Kadiatou Camara se charge de nourrir leur corps, d'ailleurs. «Nous allons faire autre chose, dit-elle: nous irons à Dakar (Sénégal), à Bamako (Mali), en Chine, un peu partout pour acheter des marchandises et les revendre en Guinée, en substitut.»
Plus qu'un coup limité au porte-monnaie de certaines entreprises, ce pèlerinage manqué est surtout une vexation de plus pour les Guinéens. Délégation parlemenaire refoulée au Cameroun, compagnies aériennes désengagées du pays, frontières du Kenya et de la Zambie fermées aux voyageurs en provenance des pays touchés, les Guinéens sont devenus pestiférés aux yeux d'autres pays africains.
«Ebola est une maladie, donc je ne dis pas que c'est la faute de qui que ce soit. Mais, l'Etat doit faire son maximum pour stopper l'épidémie», affirme Bakaye Touré, conducteur de taxi. Comme la plupart de ses collègues, il n'a pas pris de mesures d'hygiène particulières dans son véhicule. Dans un contexte politique tendu depuis l'élection d'Alpha Condé en 2010, l'opposition critique pour sa part franchement le gouvernement pour sa gestion «défaillante» de la crise liée à Ebola. «Le gouvernement est le seul responsable de sa propagation dans le monde», accuse l'Union des Forces Républicaines (UFR- opposition) de Sidya Touré. «L’épidémie devient une pandémie, parce que quelque part le gouvernement guinéen a refusé de déclencher la sonnette d’alarme à temps».
La Guinée a déclaré l'état d'urgence sanitaire le 13 août, sept mois après le début de l'épidémie. En guise de consolation, le ministre de la Communication a rappelé que l'islam ne tient pas rigueur aux pèlerins empêchés de se rendre à la Mecque pour des raisons indépendantes de leur volonté.
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