
AA/Bujumbura/ Ndabashinze Rénovat
«Comment un homme normal peut-il, brusquement, se mettre à arracher les arbres, errer dans les rues et se déshabiller en pleine voie publique sans être ensorcelé ?», s’interroge Adelaïde (elle s'est abstenue de donner son nom de famille), soulignant que «les guérisseurs traditionnels sont plus efficaces que les centres psychiatriques».
Cette vieille dame de 65 ans, native de la province Cibitoke, dans le Nord-ouest burundais en a fait l'amère expérience. Au début de l’année 2003, son fils, père de quatre enfants, a été atteint d'un traumatisme psychique. «Un matin, je ne sais quel diable l’avait piqué, il a quitté le lit conjugal, tout nu et il s’est mis à courir dans les rues. Sa femme nous a aussitôt alertés, mais mon fils avait déjà fait des kilomètres vers la rivière Rusizi. Il a été gagné par les mauvais esprits en provenance de ladite rivière», a-t-elle déclaré, convaincue que le sauvetage de sa progéniture devrait être assuré par un guérisseur traditionnel.
Ce faisant, son fils a été transporté chez un "certain Tabura", célèbre sorcier congolais. Il a passé chez-lui plus d’un mois avant de s'évader, sans être guéri. «Depuis cette période, personne ne l’a encore revu. Il s’est peut-être suicidé en se jetant dans la Rusizi », suppose sa mère. Sa femme reste, par ailleurs, convaincue que son mari a été ensorcelé par son frère avec qui, il était en conflit foncier.
Ce cas n'est néanmpoins pas isolé au Burundi. "A.N", 70 ans, natif de la commune Isare, province rurale de Bujumbura , a confié à Anadolu que sa nièce, orpheline, est devenue malade mentale en 2007 : «Nous l’avons amenée chez un sorcier de la région. Mais, la santé de ma nièce s’est détériorée. En deux ans, nous avons dépensé plus de 500 $ pour rien ».
A.N décide alors de faire recours au Centre neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK). «Trois ans après, mon enfant était guérie», se réjouit cet homme affirmant que les Burundais optent souvent, à tort, pour les guérisseurs traditionnels aux dépens des centres psychiatriques.
Hyppolite Manirakiza, directeur du CNPK n'y vas pas par quatre chemins, reconnaissant que la plupart des patients viennent au centre, en étant à un stade avancé de la maladie.
Les troubles mentaux sont fréquents au Burundi. Les changements rapides du mode de vie (urbanisation, mondialisation économique, migration des populations, etc) et la crise sociopolitique d'octobre 1993 y sont pour beaucoup, fait-il remarquer , précisant: « Des pertes en vies humaines, des destructions de biens et des ruptures des liens sociaux et la vie dans des camps de déplacés ou en exil nourrissent désespoir et lassitude de la vie.». A ce marasme, s'ajoute un personnel médical "peu qualifié", s'est-il désolé.
Le Burundi compte trois centres : le Centre neuropsychiatrique de Kamenge (1981), le centre des soins mentaux de Gitega (2011) et le Centre neuropsychiatrique de Ngozi (mai 2014). Ces centres sont confrontés à maintes difficultés dont endettement et modestie des infrastructures.
Le Centre Neuropsychiatrique de Kamenge a enregistré à lui seul près de 10.000 consultations ambulatoires et 900.000 hospitalisés. Ces chiffres représentent, toutefois, l'infime partie des Burundais qui savent que des centres neuropsychiatrique existent.
Le directeur du centre souligne, du retse, la condition des malades mentaux qui font l'objet de discrimination au sein de leurs familles. Lesquelles familles tardent à les accompagner durant la rude épreuve de la maladie. Les malades mentaux sont considérés, déplore-t-il, comme des "ratés de la société".
Au Burundi, la stratégie nationale de soins mentaux est encore embryonnaire en l'absence d'une législation appropriée et de centres de recherches scientifiques développés, souligne encore Manirakiza.
Force est de constater, par ailleurs, qu'aucun des guérisseurs contactés par Anadolu n'a voulu s'exprimer à propos du sujet.