
AA/Brazzaville/Marien Nzikou-Massala
A Sibiti, chef-lieu de la Lékoumou, région du sud-ouest du Congo Brazzaville, les femmes autochtones sont régulièrement victimes de discrimination et souffrent des préjugés ancestraux des « bantous », une ethnie majoritaire dans le pays, qui refusent jusqu’à manger leur manioc (plat traditionnel au Congo) par peur d’être « envouté ».
"Je n’achète jamais le manioc des femmes autochtones !", lâche Raïssa, jeune restauratrice d’à peine 20 ans, croisée au marché de Sibiti, et qui porte en elle les croyances de ses ancêtres « qui ne mangeaient jamais les plats des autochtones.»
« Nos ancêtres disaient qu’elles ne savent pas cuisiner et pire encore, qu’elles ensorcèlent les gens par leurs plats. Nous ne pouvons pas briser les principes de nos grands-parents », tente de se justifier la jeune femme.
Aujourd’hui à Sibiti, comme dans bien d’autres localités du département de la Lékoumou, le manioc préparé par les autochtones ne trouve pas d’acheteurs.
"Cette discrimination demeure ancrée dans bien des esprits", déplore Jean Denis Toutou Ngamiye, président de l’Association pour la promotion socioculturelle des autochtones du Congo (APSAC).
"Dès que les Bantous apprennent que le manioc est fait par les femmes autochtones, aussitôt ils ne veulent plus l’acheter. La croyance populaire veut que si un Bantou mange la nourriture des autochtones, il devient comme eux , à savoir un marginal, et risque de ne plus trouver de femme de sa communauté", explique celui qui s’emploie à protéger cette minorité depuis plus de vingt ans.
Pour Angèle Bouanga, une autochtone de Sibiti, ce refus tient de «la véritable hypocrisie ».
« Nous sommes tous des humains ! Le comble c’est que certains Bantous sortent avec nous en cachette. Ils prétendent nous aimer, mais ne mangent jamais ce que nous préparons ! », s’énerve-t-elle.
En 2013 l’APSAC avait mis en place un programme permettant aux autochtones de vendre directement aux Bantous des champs de manioc arrivés à maturité ou sous forme de foufou (pâte comestible, réalisée à partir de farines bouillies et pilées), plus facilement acheté. Une initiative qui a connu un succès que très partiel.
Pour faire face à cette discrimination, l’association Sala Bisala (« Tout va rester, inutile de se vanter des biens qu’on possède ici-bas »), a trouvé une autre parade.
Catherine Tsiahou, sa présidente s’explique : "Nous avons quatre femmes autochtones parmi nos 24 membres. Je les considère comme mes sœurs. Chez-nous, elles mettent leurs tubercules de manioc dans l’eau pour le faire rouir et quand il faut préparer et vendre le manioc, ce sont les Bantoues qui s’en occupent. Et ça marche !" se réjouit la présidente.
A Zanaga et Bambama, deux grandes localités de la Lékoumou, d’autres initiatives prometteuses existent.
"Les autochtones sont plus émancipées ici qu’à Sibiti et leurs maniocs sont mangés par tous ! Des commerçants les achètent et les revendent dans de grandes agglomérations comme Dolisie et Pointe-Noire", fait savoir Marguerite Ngono, présidente de l’association Femme de Bambama.
Pour continuer à faire évoluer les mentalités, Monique Ngouamouele, présidente du groupement des femmes de Mapindi, appelle au respect de l’être humain et des Saintes Ecritures : "Dans nos églises, nous prêchons l’amour et mangeons dans une même assiette. Les écritures bibliques nous disent que nous nous ressemblons tous, alors pourquoi faire des différences entre nous ?".
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