
AA/Yaoundé/Anne Mireille Nzouankeu
A l'heure où un écolier égyptien a été battu à mort par son enseignant au Caire et que la France reçoit une sanction symbolique par le Conseil de l’Europe au motif qu’elle «ne prévoit pas d'interdiction suffisamment claire des châtiments corporels» à l’encontre des enfants, au Cameroun, on s’accorde à dire que fouetter un enfant revient à l’éduquer.
Yves Abolo garde un vif souvenir de son enfance.«Mon père était très sévère.On l’appelait chien noir car il avait une corde électrique noire avec laquelle il nous fouettait», se remémore ce Camerounais de Yaouné, aujourd’hui âgé de 34 ans.
«Nous savions que nous n’avions pas le droit à l’erreur aussi bien à l’école que dans notre comportement à la maison», ajoute le jeune homme.
Aujourd’hui ingénieur et cadre dans une grande entreprise de télécommunications, Yves Abolo estime qu’il doit sa réussite à la sévérité de son père.
Comme lui, beaucoup de camerounais ont subi des fessées «dans un but éducatif», que ce soit à l’école ou à la maison.
Si aucune statistique officielle concernant le phénomène ne peut être obtenue, les témoignages de professionnels et de particuliers révèlent que l’usage du fouet est généralisé au Cameroun.
Depuis le début des années 2000, les autorités éducatives camerounaises l’ont pourtant interdit à l’école en vertu de la Loi d’Orientation de l’éducation au Cameroun (art. 35), mais il n’existe encore aucune loi formelle généralisée sur la question.
Bien que le fouet soit interdit à l’école donc, dans les faits, «il y a un seuil de tolérance», révèle à Anadolu Charles Koung, président d’un syndicat d’instituteurs de l’enseignement primaire à Yaoundé.
«On ne sanctionne pas un enseignant pour avoir donné un ou deux coups de fouets. Le fouet a été interdit pour éviter des exagérations car certains enseignants fouettaient les enfants au point de les rendre malades», explique le syndicaliste.
«Il y a des enfants turbulents et l’enseignant se doit d’imposer la discipline en classe», ajoute-t-il.
Le syndicaliste affirme que des sanctions plus douces sont admises. Il s’agit par exemple de priver l’élève de recréation, de le mettre à genou ou de l’envoyer nettoyer les toilettes.
Mais «ces sanctions sont inefficaces. En plus, en punissant l’enfant, l’enseignant se punit lui-même. S’il prive un enfant de récréation, l’enseignant aussi n’aura pas droit à sa recréation puisqu’il doit rester avec l’élève durant la punition», estime Koung.
«Si l’enseignant envoie l’élève laver les toilettes, il doit être présent lors de l’exécution de cette punition», ajoute le syndicaliste. Alors que «le fouet est expéditif et efficace», conclu Koung.
Un avis que ne partage pas Jean Takougang, professeur d’Université à Yaoundé et Douala, les deux plus grandes villes du Cameroun.
«La sanction doit être éducative. Elle doit amener l'enfant à s'améliorer. Le fouet peut l'endurcir. Il faut beaucoup plus l'avoir avec l'affection et non avec la brutalité», analyse Takougang, également spécialiste du dialogue social.
«Pour un enfant qui n'a pas fait ses devoirs, on peut l'obliger à faire un ou deux exercices de plus de manière à ce qu'il rattrape la leçon qu'il devrait assimiler», dit Takougang pour expliquer son concept de sanction éducative.
Pour Paul Abouna, anthropologue et enseignant à l’université de Yaoundé, le fouet a en revanche «toute sa place dans l’éducation d’un enfant».
«Le fouet est une sanction liée à la mortification de la chair. C’est une stratégie de socialisation. Ce n’est pas du sadisme ou une humiliation. Il permet à l’enfant de ne plus commettre les mêmes fautes et d’apprendre à respecter les normes de la société dans laquelle il vit», argumente Abouna.
Tous les parents rencontrés à Yaoundé par Anadolu admettent avoir reçu plusieurs fessées durant leur enfance. La plupart d’entre eux, ont affirmé être d’accord avec ces pratiques mais dans des proportions raisonnables.
«Le fouet permet de fixer des limites. Il est efficace lorsqu’on s’y prend tôt, avant l’âge de 10 ans. Après deux ou trois fessées, on n’a plus besoin d’utiliser cet instrument car l’enfant sait déjà ce qu’il doit faire et jusqu’où il peut aller», explique par exemple Hervé Ondoua, père de cinq enfants.
Une infime minorité est cependant convaincue du contraire. «Administrer la fessée est une violence qui n’a pas sa place dans l’éducation de l’enfant. Priver l’enfant de jeu par exemple est plus efficace. Lorsque il est enfermé dans la maison et entend ses amis courir, rire, jouer à l’extérieur, il a plus mal que s’il avait reçu une fessée», explique Irène-Marguerite Nzhié, mère de trois enfants.
«Il faut inscrire le fouet dans sa finalité. Si la finalité est bonne alors le moyen est bon», conclu pour sa part l’anthropologue.
D’après l’association mondiale «End corporal punishment of children», qui effectue des recherches sur la question, 44 Etats dans le monde ont formellement interdit l’usage des châtiments corporels à l’instar de la Suède, de la Finlande, de la Grèce, du Kenya, de l’Autriche, ou encore du Brésil.
112 états ne se sont pas prononcés sur la question tandis que dans une vingtaine de pays,«il est légal de donner des coups de bâton ou fouetter les enfants», notamment en Afghanistan, au Botswana, en Colombie, ou encore en Tanzanie.
En Afrique, la plupart des pays n’ont pas légiféré sur la question, créant un flou sur leur position exacte vis-à-vis des châtiments corporels infligés aux enfants.
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