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Trudeau et Macron ... Deux golden boys aux parcours divergents

- Les deux quadras, dont l’arrivée au pouvoir avait fait souffler un vent d’espoir et de changement, ont connu des fortunes diverses, notamment s’agissant de leurs liens avec les communautés musulmanes de leurs pays respectifs

Fatma Bendhaou  | 15.06.2021 - Mıse À Jour : 16.06.2021
Trudeau et Macron ... Deux golden boys aux parcours divergents

Canada

AA / Montréal / Hatem Kattou

En accédant au pouvoir, en 2015 et en 2017, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, et le président français, Emmanuel Macron, étaient âgés, respectivement de 44 et de 40 ans.
Ce rajeunissement avait fait souffler, à l’époque, un vent d’espoir et de changement dans les deux pays, voire au-delà, compte tenu de leur poids et de leur rayonnement, notamment, en termes de tolérance et d’ouverture sur les autres communautés, aussi bien celles des autres contrées que celles résidant en France et au Canada.
Cependant, si cet espoir a été grandement justifié et satisfait, au pays de l’érable, cela n’a pas été de même de l’autre côté de l’Atlantique.
En effet, Macron qui a réussi, a priori, à casser les clivages classiques, initialement infranchissables entre la gauche et la droite, n’a pas été à la hauteur des espoirs placés en ce jeune président, qui n’a fait qu’accumuler les tensions face aux réfractaires à ses politiques, en particulier, la communauté musulmane, que ce soit à l’intérieur de l’Hexagone qu’en dehors des frontières de la Métropole.
De son côté, Trudeau, ce « golden boy », qui arbore un sourire candide et qui est quasiment tout le temps de bonne humeur, lors des apparitions publiques, est parvenu à confirmer « tout le bien » que pensaient de lui, aussi bien ses électeurs canadiens que ses dizaines de millions de « followers » à travers le monde.
Nous tenterons, dans ce qui suit, de déceler les principales spécificités qui caractérisent chacun des deux hommes politiques et qui séparent leurs discours et agissements respectifs adaptés en la matière, en se basant sur le contexte national, le traitement accordé à l’Islam ainsi que l’indice révélateur que représente les vœux à l’occasion des fêtes religieuses.


- Un contexte national distinct et influent
La France est traversée depuis plusieurs années par une islamophobie ambiante et une hostilité aux citoyens de confession musulmane, sournoise par moments, franche par d’autres.
Certes, cette hostilité et cette animosité ont été alimentées dans un premier temps par les courants d’extrême droite voire de droite mais nous avons assisté au cours de la dernière décennie à des positions similaires émanant de certaines personnalités représentatives de la gauche française.
L’actuel locataire de l’Elysée n’a quasiment pas échappé à la règle bien qu’il soit initialement un produit original et inédit qui casse avec la configuration classique du paysage politique français schématisé par une dichotomie entre la droite et la gauche et quelques représentations aux extrêmes avec un centre plutôt mou.
Après avoir cassé ce schéma traditionnel, Macron s’est rapproché davantage des thèses de la droite, du moins de ses politiques, ce qui l’a poussé inéluctablement à épouser ses visées plus ou moins hostiles à l’endroit de la communauté musulmane.
Ajoutons à cela l’atmosphère générale qui prévaut en France et qui a surtout caractérisé l’ère de Macron, qui a entamé l’ultime année de son premier mandat. Ce mandat a été marqué par des protestations sociales sans précédent, illustrées par le mouvement des Gilets jaunes.
De plus, les réformes économiques lancées par Macron n’ont pas facilité les choses, ce qui a rendu la couleuvre difficile à avaler dans un pays qui demeure réfractaire au changement et qui a un lourd héritage d’inertie jacobine.
Autant de facteurs et d’éléments qui ont poussé le régime à un recroquevillement et à une fermeture vis-à-vis de l’autre, attisant les schismes et alimentant la défiance, dans un pays, longtemps basé sur l’immigration, et qui a été édifié et développé par l’apport de « l’autre et des nouveaux ».
La personnalité de Macron est celle d'un « jeune arriviste » qui a débarqué, opportunément, dans le monde de la politique sans passer par la case qui forge l’expérience et qui enseigne les vertus de la nuance, en l’occurrence, celle du militantisme et du cadre institutionnel partisan, et sans être mis à l’épreuve du suffrage électif, un passage obligatoire pour tout homme politique. Tout cela a fait que l’actuel chef d’Etat français a versé plus dans un « autisme anti-communautaire », aidé en cela par son égo et devenu imbu de sa personne.
Notons que les « conflits » et l’entêtement de Macron avaient généré une confrontation avec le chef d’État-major de l’armée qui a démissionné avec grand fracas, fait inhabituel des dirigeants de la « Grande muette ».
Le contexte canadien est diamétralement opposé. Certes, le géant nord-américain connaît ses difficultés économiques, somme toutes relatives, et ses impondérables politiques, mais le pays traverse une sorte de « cohésion » sociale en dépit des différences et des disparités qui caractérisent les 250 ethnies et origines qui composent sa population.
En effet, cette mosaïque est réglée comme du papier à musique à la faveur de l’harmonie qui unit les populations des dix provinces et des trois territoires du pays.
Certes, les drames vécus par les populations autochtones ne passent pas sous silence, de même que les actes haineux et racistes existent. Il n’en demeure pas moins, que leur fréquence et leur occurrence demeurent minimes dans un pays d’une superficie de 10 millions de kilomètres carrés, d’un océan à l’autre.
La personnalité du Premier ministre, Justin Trudeau, élu pour la première fois en 2015 y est pour beaucoup. Cette image reluisante n’était pas la même du temps de son prédécesseur, le conservateur Stephen Harper qui a gouverné le pays durant presque une décennie (février 2006 – novembre 2015).
Grand ami d’Israël, Harper avait été l’auteur d’une série de déclarations à l’emporte-pièce au sujet des mosquées et de leurs liens avec la promotion du terrorisme, ce qui avait provoqué à l’époque un tollé parmi les associations musulmanes du pays qui ont exigé des excuses.
De son côté, Justin Trudeau, chef des Libéraux, qui est à sa sixième année à la tête du pays de 40 millions d’habitants, sait jouer à l’équilibriste parfait. en évitant toute déclaration tendancieuse ou sujette de controverses, tout en veillant à faire part de compassion et de sympathie à l’occasion de tout événement qui le mérite.
Cette personnalité qui prône l’ouverture conjuguée à une réalité nationale, notamment, dans les provinces anglophones, propice à la cohésion, génère une situation apaisée, qui abhorre les clivages religieux ou communautaires, et qui rejette tout esprit de stigmatisation et de sédition, en dépit de quelques faits et épisodes fâcheux.
Il convient de souligner que la majorité du pays (provinces anglophones) sont régies par la « Common Law », cet héritage anglo-saxon et britannique, qui serait à l‘origine, selon nombre d’observateurs, d'un traitement apaisé de la religion et d’autres phénomènes sociaux et communautaires.


- Un traitement différent accordé à l’Islam et aux musulmans
L’ambiance hostile à l’Islam et aux musulmans en France a amené les médias, juge et partie dans ce débat, à adopter un néologisme assez éloquent, à savoir, celui de « l’islamo-gauchisme », un terme crée pour soi-disant qualifier les quelques voies issues des mouvements de gauche et leurs accointances avec les milieux d’obédience islamique dans l’Hexagone.
C’est dire l’ampleur de la « folie furieuse » qui s’est emparée des médias et des tendances politiques de la droite, voire de la « gauche laïque » jusqu’à assimiler des personnalités justes et qui défendent des valeurs universelles, du moins c’est leur propre point de vue, à des courants qui leur sont initialement opposés.
Toutefois, ce phénomène ne s’est pas arrêté au niveau des débats sempiternels (une autre caractéristique française) dans les médias et les salons politiques, mais s’est vu concrétiser dans la législation.
En effet, le Parlement français a adopté au cours de la présente année un projet de loi controversé contre le « séparatisme » qui viserait « l’Islam radical » mais qui, en réalité, stigmatise et vilipende la communauté musulmane.
Ce texte de loi, décrié aussi bien en France qu’en dehors de la « Patrie des droits de l’Homme », est une illustration des plus éloquentes de l’injustice institutionnalisée qui frappe une partie de la population, en raison de sa foi.
Il convient dans ce cadre de mettre en exergue, que le texte de loi, dont l’intitulé officiel est la loi « confortant le respect des principes de la République », a été voulu par le Président Emmanuel Macron.
Rappelons également un autre/énième épisode qui « conforte » cette tendance, lorsque le Président français est venu soutenir son ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, au sujet de la construction de la future plus grande mosquée d’Europe à Strasbourg.
Macron a carrément dénoncé la position des collectivités locales et leur « complaisance » et appuyé les propos du locataire de la Place Beauvau venu dénoncer "le financement d’une une ingérence étrangère en France" par les écologistes qui gèrent la mairie de la ville paneuropéenne.
Nous pouvons multiplier les exemples à satiété comme la polémique, une de plus, sur l’accompagnement des enfants lors des sorties scolaires, par leurs…mères qui portent le voile.
Au Canada, et malgré les attaques islamophobes perpétrées en janvier 2017 (Grande mosquée de Québec) et de juin 2021 (famille fauchée à London), et d’autres actes haineux et à caractère raciste, somme toute épisodiques, il n’en demeure pas que l’atmosphère globale qui prévaut dans le pays est sereine.
De plus, les réactions des hommes politiques, aux paliers fédéral, provincial et municipal, et la levée de boucliers provoquée par chaque acte islamophobe reflète une compassion sincère et une solidarité avec la communauté visée par de tels actes.
Par ailleurs, et c’est ce qui demeure le plus important si l’on s’inscrit dans une perspective comparative avec la France, il n’existe pas de courant au Canada, du moins officiellement et publiquement, qui appelle à stigmatiser la communauté musulmane.
Chose impensable en France par exemple, voire une femme journaliste portant le foulard, une afro-latine, qui anime, sur une chaîne de télévision publique (CBC News Network), à une heure de grande écoute (20h00), un talk-show qui porte son nom (Canada Tonight with Ginella Massa ).
Ce fait illustre, à lui seul, l’étendue et l’ampleur de la tolérance et de l’ouverture qui prévaut au Canada, un état d’esprit et des lieux qui n’aurait été possible sans une volonté politique et sans une attitude franche affichée par le gouvernement, et en particulier, le Premier ministre Justin Trudeau.
Il n’en demeure pas moins que cette ouverture est constatée davantage dans les provinces anglophones du pays qu’au Québec, une province francophone qui connaît des frictions d’ordre politique, médiatique et social, en la matière.
Notons à ce propos la fameuse loi controversée sur l’interdiction du port des signes religieux dans certains lieux de travail (fonction publique), communément plus connue sous le nom de la Loi 21, adoptée au forceps par l’Assemblée provinciale en juin 2019.


- Les vœux occasionnels : Un indice révélateur
Justin Trudeau ne rate aucune occasion ou fête religieuse musulmane pour présenter ses vœux de bonheur et de joie aux membres de la communauté islamique, locale canadienne, ou encore les personnes de confession musulmane dans les quatre coins de la planète.
Via une vidéo d’une durée de plusieurs minutes, postée sur ses comptes officiels des réseaux sociaux (Twitter, Facebook) et à travers un communiqué mis en ligne sur son site personnel officiel et celui de la Présidence du gouvernement, le Premier ministre canadien présente ses vœux ainsi que ceux de son épouse, Sophie Grégoire, à l’occasion de l’avènement du mois béni du Ramadan et des fêtes de l’Aïd al-Fitr et de l’Aïd al-Idha.
Il convient, toutefois, de mentionner que Trudeau adresse les mêmes vœux aux fidèles des autres religions (chrétienne et juive) voire aux Bouddhistes et adeptes d’autres croyances spirituelles résidant sur le territoire canadien.
Il n’en demeure pas moins qu’il se dégage de ses messages, pouvant être considérés par certains comme un simple exercice protocolaire et machinal qui verse plus dans la propagande et la récupération, une véritable volonté de partage et de considération à l’adresse d’une partie de la population du pays.
Notons, aussi, que la teneur de ces messages comprend un rappel des vertus, bienfaits et desseins des fêtes religieuses et de leur impact sur la société et autres interactions sur les liens tissés entre les différentes communautés du pays.
Contrairement à Trudeau, Macron n’offre pas ses vœux, à l’occasion des fêtes religieuses aux Musulmans de France, dont le nombre s’élève pourtant à environ 5 millions de fidèles, soit plus de 7% de la population du pays.
Certains justifieraient cette absence de vœux par le fait que le France est un pays laïc, alors que d’autres chefs d’Etat et de gouvernement, de puissances occidentales, peu connues pour être des islamophiles convaincus, à l’instar de la chancelière allemande Angela Merkel, de l’ancien locataire de la Maison Blanche Donald Trump, voire du Premier ministre israélien, fraîchement évincé, Benyamin Netanyahu, qui y vont chacun par son petit message de félicitations.
De plus, Emmanuel Macron, qui respecte « scrupuleusement » les préceptes de la laïcité en France, cette « fille aînée de l’Eglise », se permet d’adresser, bien que sur son compte twitter personnel, ses vœux à ses concitoyens de confession chrétienne à l’occasion de Noël. Une illustration parfaite des vœux à géométrie variable.

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