Analyse

Remaniements ministériels en Jordanie : problèmes insolubles ou solutions absentes? (Analyse)

L'article 35 de la Constitution mentionne que le souverain désigne, limoge et accepte la démission du Chef du gouvernement, de même qu'il désigne, limoge et accepte la démission des ministres, sur avis du Chef du gouvernement

Ekip  | 08.03.2021 - Mıse À Jour : 09.03.2021
Remaniements ministériels en Jordanie : problèmes insolubles ou solutions absentes? (Analyse)

Jordan

AA / Amman / Leith al-Jouneidi

Les derniers gouvernements jordaniens ont connu des remaniements ministériels à répétition, dont certains ont atteint les cinq changements introduits sur la même équipe ministérielle, au milieu d'interrogation multiples quant à leur opportunité, au moment où le royaume hachémite souffre d’une situation économique difficile.

L'article 35 de la Constitution mentionne que le souverain désigne, limoge et accepte la démission du Chef du gouvernement, de même qu'il désigne, limoge et accepte la démission des ministres, sur avis du Chef du gouvernement.

Par ailleurs, l’alinéa premier de l'article 45 de la Loi fondamentale jordanienne prévoit que le Conseil des ministres a la responsabilité de diriger l'ensemble des affaires intérieures et extérieures de l'Etat, à l'exception de celles qui ont été dévolues, en vertu de cette constitution ou de tout autre loi, à une personne ou à une instance, autres que le cabinet ministériel.
Des observateurs estiment que les raisons motivant ces remaniements ministériels sont intimement liées aux tentatives des Chefs de gouvernement successifs de faire couronner de succès leurs programmes, de mettre en œuvre leur engagement et de se maintenir à leurs postes, en plus d’autres facteurs exogènes qui impliquent certains changements.

L'actuel Chef du gouvernement, Bisher Al-Khasawneh, a procédé, dimanche dernier, au deuxième remaniement de son cabinet, en l’espace de cinq mois d’exercice, après avoir été investi officiellement. Ayant touché dix ministères, ce remaniement a permis d’intégrer cinq nouveaux ministres, d’en limoger sept autres et de faire permuter plusieurs, parallèlement à la fusion et à la séparation de certains départements.

Al-Khasawneh avait demandé à ses ministres de présenter leur démission, en prélude de l'amendement, et ce, une semaine après la démission des ministres de l'Intérieur, Samir al-Mobaideen, et de la Justice, Bassam Talhouni, au motif de contravention aux mesures de lutte contre la COVID-19.

Le 2 décembre dernier, al-Khasawneh avait procédé au premier remaniement de son gouvernement, en désignant Mobaideen au ministère de l'Intérieur, en succession à Tawfik al-Halalmeh, qui avait quitté le cabinet après que des dépassements d’ordre juridique aient été enregistrés aux dernières élections de la Chambre des députés.

Les avis des analystes, qui se sont confiés à Anadolu, ont été divergents au sujet des objectifs et des causes des remaniements ministériels en Jordanie. Toutefois, ils se sont tous accordés à dire que cette méthode n'aboutit pas à des solutions effectives.

- Prolonger la durée de vie des gouvernements

Arib al-Renaoui, directeur du Centre al-Quds pour les Etudes stratégiques, a indiqué à l'Agence Anadolu que ces remaniements sont assimilés à du « folklore qui ne retient l'intérêt de personne ».

Ainsi, les Jordaniens ne savent pas, selon lui, « pourquoi a-t-on procédé au remaniement? Pourquoi certains ministres ont été nommés et que d'autres ont été limogés».

Il a ajouté que « les remaniements accélérés et à répétition, en des laps de temps relativement court, illustrent l'impasse à laquelle abouti cette méthode ».

Al-Rentaoui a poursuivi : « Lorsque tu veux engager une secrétaire ou un directeur de bureau, tu as besoin de trois mois pour les évaluer, alors que certains ministres n'achèvent même pas cette durée qu’ils sont déjà démis de leurs fonctions, en plus du fait qu’ils occupent des postes qui ne relèvent pas de leurs champs de compétence ».

L'analyste a estimé que « les remaniements ne sont qu'un subterfuge pour prolonger la vie des gouvernements successifs », estimant que « le régionalisme et le clientélisme ont abouti à une ornière et ne servent point, ni la Jordanie ni les Jordaniens ».

« Nous nous engageons dans le deuxième Centenaire (Le royaume hachémite fut fondé en 1921) et nous devons nous diriger, avec constance et assurance, vers la formation de gouvernements parlementaires qui ont des programmes prédéfinis par les partis et la majorité à la Chambre des députés », a-t-il soutenu.

- Prérogatives constitutionnelles

Leith Nasraween, professeur de droit constitutionnel à l'Université jordanienne, a affirmé que « les remaniements ministériels relèvent des prérogatives du Chef du gouvernement, en vertu du concept du mandat général mentionné dans l'article 45 alinéa premier de la Constitution ».

Dans une déclaration faite à l'Agence Anadolu, Nasraween a précisé « qu’indépendamment de la dimension politique, le Chef du gouvernement a le droit d'évaluer le rendement de ses ministres, en particulier, ceux qui n'ont pas prouvé leur compétence ».

« La durée de vie du gouvernement n'est pas une condition préalable pour procéder au remaniement, de même qu'il n'existe pas de contraintes d'ordre constitutionnel imposés au Chef du gouvernement », a-t-il poursuivi.

L'académicien a relevé que « l'intérêt du chef du gouvernement consiste à disposer d'un groupe homogène et cohérent. Ainsi, opérer un remaniement, au service de l’intérêt général, ne constitue pas de problème », a-t-il poursuivi.

L'enseignant a, cependant, tenu à rappeler que « le caractère itératif des remaniements ministériels suscite des interrogations au sujet de l’obtention par la Déclaration générale du gouvernement de la confiance de la Chambre des députés ».

Il s'est interrogé, à ce propos : « Dans la mesure où le gouvernement a obtenu la confiance de la Chambre des députés sur la base de sa Déclaration générale, conformément aux dispositions de la Constitution, qu'est-ce qui empêcherait le gouvernement de s'y engager, d'autant plus que le changement de ministres impactera sur le respect par le cabinet de ses engagements devant le Parlement? ».

- Contourner les solutions

De son côté, l'analyste politique Amer al-Sebeila a considéré « la multiplication des remaniements ministériels comme un signal révélateur de l'instabilité du rendement politique ».

Dans une interview accordée à AA, al-Sebeila a indiqué : « Si nous convenons de dire que la Jordanie souffre d'une crise économique aiguë, ces changements, aux multiples formes et méthodes, confirment l'inexistence de véritables solutions ».

En conséquence, a-t-il conclu, « Nous pouvons qualifier ce qui se passe comme étant un subterfuge illustrant l'incapacité à offrir des solutions réelles ».

« Quel sens conférer, s'est-il interrogé, à des changements en continue sans données pratiques et scientifiques, qui seront à même de définir ce dont a réellement besoin la Jordanie pour faire face et surmonter ses crises? ».

« Il y a eu une exagération, au cours des dernières années, dans la consommation des gouvernements et des ministres, ce qui pousse nombre de Jordaniens à se poser des questions, non seulement quant à l'opportunité des remaniements mais au sujet des méthodes et des mécanismes de choix des personnes, y compris le Chef du gouvernement», a-t-il expliqué.

- Des problèmes insolubles

Wasfi al-Charaa, professeur de sciences politiques à l'Université de Yarmouk, a indiqué à l'Agence Anadolu que « les raisons motivant les différents remaniements consistent en l'absence de solutions aux problèmes irrésolus, face auxquels les ministres actuels sont impuissants, ce qui pousse le Chef du gouvernement au changement ».

« Procéder à ces remaniements ne relève pas, selon l'académicien, d’un luxe politique, mais plutôt d'une tentative de résolution des véritables problèmes, au sein du régime politique jordanien ».

Il a estimé que la « principale problématique consiste en les choix de l'équipe ministérielle, sans l'existence de critères ou de fondements, en raison des pressions exercées sur le Chef du gouvernement, ce qui aboutit à l'absence de la spécialisation et à l'ouverture du champ à l'intervention dans la décision politique ».

Al-Charaa a formulé l'espoir de voir « la fin de l'intervention de la bureaucratie politique dans le travail des ministres pour engranger des intérêts personnels qui ne permettent pas au gouvernement de mettre en œuvre ses programmes ».

Il a proposé une « concomitance entre le changement de ministres et celui des hauts fonctionnaires, afin d'éviter qu'il y ait de contradiction entre les intérêts de ces derniers avec le programme gouvernemental et les orientations royales », selon lui.

Al-Charaa a mentionné, pour corroborer sa suggestion, ce qu'il a appelé « la pérennité de la corruption et du clientélisme en dépit du changement des ministres ».

Le 7 octobre dernier, Bisher Al-Khasawneh a été chargé de former le gouvernement par le souverain hachémite Abdallah II de Jordanie.

Il s’agit du 13ème Chef du gouvernement depuis l'accès du roi Abdallah II au trône, en date du 7 février 1999.

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