
Istanbul
AA / Istanbul / Ihsen al-Faqih
Après les événements du Printemps arabe en 2011, les Emirats arabes unis (EAU) ont adopté une politique extérieure aux contours clairs, visant à jouer un rôle régional grandissant et à peser dans les affaires de la région, en coordination avec l'Arabie saoudite.
Leur but consiste à repousser d'éventuels risques pouvant être générés par l'arrivée de la vague de ce Printemps dans leurs deux pays, d’autant plus que cette vague menaçait désormais plusieurs de leurs régimes voisins, en l'occurrence le Yémen et le Bahreïn.
Les Emirats sont intervenus aux côtés de l'Arabie Saoudite ainsi que d'autres pays du Golfe, en 2011, dans le cadre des de la Force « Bouclier de la Péninsule » afin de réduire l'intensité des protestations survenues au Bahreïn contre le régime en place.
Abou Dhabi et Ryad ont soutenu également le coup d'Etat militaire en Egypte, en 2013, sous la conduite de Abdelfattah al-Sissi, contre le président, démocratiquement élu, Mohamed Morsi.
Depuis 2011, l'Arabie Saoudite et les Emirats se sont employés à réaliser certains objectifs communs, pour réduire l'impact des Révolutions du Printemps arabe sur les pays du Golfe et leurs alliés, tels que la Jordanie, l'Egypte et le Maroc.
Les directions des deux pays ont estimé que les mouvements de l’Islam politique, qui ont pris le dessus lors des révolutions du Printemps arabe, représentent un danger existentiel sur les régimes en place dans les pays du golfe et leurs pays alliés.
Parallèlement à la menace commune que représente la mouvance de l'Islam politique, l'Arabie Saoudite et les Emirats faisaient face également à une menace existentielle parallèle, illustrée par l'influence de l'Iran dans la région, que cela soit de manière directe ou indirecte à travers les forces alliées à Téhéran.
Pour faire face à cette double menace, quelques différends ont émergé lorsque Riyad a considéré la menace iranienne comme étant prioritaire par rapport à celles que représentent les mouvements de l'islam politique.
A l'opposé, les politiques émiraties se sont employées à réduire et à faire baisser l'intensité de la menace iranienne, en accordant la priorité à celle que représentent les mouvements de l’Islam politique pour les contrer, en particulier, en Libye et en Egypte.
Nombre d’observateurs et d’analystes occidentaux estiment que le prince-héritier saoudien, Mohamed Ben Salmane, qui a pris les commandes du ministère de la Défense dans son pays, à l'orée de l'année 2015, soit quelques jours après l'intronisation de son père, le roi Salman Ben Abdelaziz, a renforcé ses liens avec son homologue émirati, Mohamed Ben Zayed, en coordonnant de manière commune leurs positions s’agissant des dossiers régionaux et internationaux d’intérêt commun, tels que la guerre au Yémen et le boycott du Qatar.
La phase de la formation de la Coalition arabe pour le soutien de la légalité au Yémen, en mars 2015, et l'intervention militaire conduite par l'Arabie Saoudite, en partenariat avec les EAU, a constitué la principale étape dans l'action commune pour faire face aux supposées menaces iraniennes, en raison de l'appui apporté par Téhéran au groupe des Houthis, qui a pris le contrôle de la capitale yéménite Sanaa, en septembre 2015, et qui s'est dirigé vers le sud du pays pour tenter de s'emparer des autres provinces et villes.
La décision d'Abou Dhabi de se retirer, partiellement, du Yémen, en juillet 2019, constitue un moment clé dans l'histoire des relations entre les Emirats et l'Arabie Saoudite. En effet, les Emirats ont tenté de confirmer leur capacité à accomplir un rôle régional, de manière indépendante et en prenant leur distance par rapport aux politiques de Riyad.
Ce différend s'est illustré davantage dans les relations du pays avec l'Iran, avec qui les Emirats préservent des relations de coordination dans le domaine de la sécurité maritime, tout en accueillant sur leur sol quelque 40 mille résidents iraniens et des centaines d'entreprises de ce pays, tandis qu'aucune relation n’existe entre Riyad et Téhéran et qu'aucune entreprise iranienne n'est enregistrée sur le territoire saoudien.
Il semble que les Emirats ont atteint certains de leurs objectifs au Yémen et n'ont plus besoin d'un déploiement militaire intensif, après avoir garanti davantage de présence de forces alliées à Abou Dhabi au sein du Conseil transitoire du Sud, qui partage le pouvoir et la direction d'une partie du Yémen avec le gouvernement légal et ce, plusieurs années après sa prise de contrôle de la majorité du sud du Yémen.
Les divergences entre Riyad et Abou Dhabi ne sont pas apparues au public, mais les observateurs attentifs confirment l'existence d'un véritable différend dans les politiques menées par chacun des deux pays au Yémen.
L'Arabie Saoudite s'emploie à appuyer les institutions de l'Etat et le gouvernement légal pour préserver l'intégrité territoriale du Yémen, que nombre d'observateurs estiment faisant face à de sérieuses menaces générées par les politiques émiraties soutenant l'établissement d'un « Etat parallèle » dans le sud du pays, à travers la formation, l'entraînement et le financement de forces armées pour restaurer l'Etat du « Yémen du Sud », dans la perspective de le séparer de l’actuel Yémen.
L'Arabie saoudite et les EAU ont tenté d'exploiter les profondes relations tissées avec l'Administration de l'ancien président américain, Donald Trump, après son accession au pouvoir et sa première tournée extérieure, en mai 2017, qui avait comme point de départ, Riyad.
Quelques jours après le déplacement du président américain, un embargo global a été imposé au Qatar par quatre pays, en particulier, l’Arabie Saoudite et les Emirats.
Le boycott s'est poursuivi, pendant plus de trois ans et demi, et a pris fin avec l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, en janvier dernier.
Joe Biden a adopté une nouvelle politique à l'égard de l'Arabie Saoudite fondée sur la réévaluation et la révision des relations avec ce pays. Le nouveau locataire de la Maison Blanche accorde désormais une priorité à la question de violation des droits de l'Homme, parallèlement à la suspension des ventes d'armes et à l'appui militaire à l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen.
Les Emirats et l'Arabie Saoudite s'étaient convenues, en coordination avec l'Administration de Donald Trump, de juguler les menaces iraniennes dans la région et d’interdire Téhéran d'accroître son influence à travers ses forces alliées en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, par le truchement de sanctions infligées par Trump qui s’est retiré de l'Accord sur le nucléaire iranien, en mai 2018.
Le rôle régional émirati en Afrique, au Yémen et dans le Golfe a offert l'opportunité aux décideurs de ce pays d'adopter une politique plus autonome par rapport à Riyad, après les attaques qui ont pris pour cible des installations pétrolières saoudiennes, le 14 septembre 2019, ainsi qu’après l'agression de quatre pétroliers dans des attaques menées dans les eaux territoriales émiraties.
Les prémices de la tentative émiratie d'adopter une politique autonome de celle de l'Arabie Saoudite est apparue lors des attaques qui ont ciblé quatre pétroliers dans le port d’al-Fujairah, en mai 2019.
Il ressort de rapports américains que l'Iran serait l'instigatrice de ces frappes, ce qui coïncide avec la politique d'escalade adoptée par l'Arabie Saoudite contre l'Iran, contrairement aux politiques émiraties qui se sont abstenues de faire assumer la responsabilité de ces attaques ou celles qui s'en sont suivies contre deux pétroliers dans la Mer d’Oman, au mois de juin de la même année, à l'Iran.
En raison de leurs appréhensions, les Emirats ont adopté une politique plus prudente dans leurs relations avec l'Iran pour éviter des frappes similaires à celles que mène Téhéran ou ses alliées, tels que les Houthis, qui les avaient menacés à maintes reprises mais n’ont pas concrétisé leurs menaces. Et ce contrairement aux frappes qui ont été lancées contre l'Arabie saoudite, des centaines de missiles balistiques et de drones ayant mené des frappes contre le territoire saoudien.
Il n'est pas exclu que des changements affecteront la politique étrangère émiratie, au cours des semaines ou des mois à venir, après l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, notamment au niveau des liens « d’alliance » ou de partenariat avec l'Arabie Saoudite dans les dossiers régionaux sensibles.
Rappelons que les relations entre les deux pays ont convergé vers un tandem, celui de faire face aux mouvements de l’Islam politique et de juguler les menaces iraniennes et l’élargissement de l'influence de Téhéran dans des pays, qui appartenaient auparavant au pré carré traditionnel de l'Arabie Saoudite, tel que le Yémen.
Malgré l’absence, pendant plus d'une année, de visites réciproques ou d’entretiens téléphoniques publics entre le prince héritier d'Abou Dhabi et son homologue saoudien, cela ne signifie pas qu’un froid s'est abattu sur les relations « personnelles » ou sur la coordination mutuelle entre les deux dirigeants.
Bien que les priorités des deux pays soient divergentes pour faire face aux supposées menaces, il n'en demeure pas moins qu’aucun indice n’est apparu quant à l'éventualité de l'existence de tensions dans les relations entre Riyad et Abou Dhabi ou de baisse de la coordination commune entre les deux pays de la Péninsule arabique.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou
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