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OPINION – Les boycotts au-delà du sentiment : un devoir moral et une logique économique

- Le boycott peut commencer par quelques produits faciles à remplacer, et même de petits changements peuvent influencer la production d’une entreprise.

Usman Masood  | 12.09.2025 - Mıse À Jour : 12.09.2025
OPINION – Les boycotts au-delà du sentiment : un devoir moral et une logique économique

Istanbul

AA/Istanbul/ Usman Masood


L’auteur est professeur adjoint à l’Université SZABIST d’Islamabad, au Pakistan.

Alors que nous débattons, à l’heure du thé, du bien-fondé et des conséquences économiques des boycotts de produits, beaucoup à Gaza traversent l’une des transitions les plus lentes et les plus douloureuses qui soient : une famine atroce. L’arôme de mon café préféré peut être unique, mais si la même marque opère dans les territoires d’apartheid occupés par Israël, il est peut-être temps de reconsidérer mes choix.

Parfois, nous qualifions nos marques favorites d’irremplaçables, allant jusqu’à nous identifier à leurs emblèmes. De temps en temps, l’économiste en nous avance que si nous cessons d’acheter auprès d’une certaine entreprise, nos propres concitoyens risquent de perdre leur emploi. Et parfois, les plus rationnels parmi nous posent une équation simple : les boycotts ne seraient qu’une réaction sentimentale, ni vraiment applicable ni durable.

Pourtant, on pourrait soutenir qu’une personne ne devrait pas être définie par une marque. Dans un monde de plus en plus attentif à la responsabilité sociale des entreprises, c’est la marque qui devrait être définie par les gens qu’elle sert – par son sens du devoir envers la société, dans l’acception la plus claire.



- Blanchiment humanitaire

Si une entreprise estime légitime d’implanter ses activités sur des terres illégalement occupées, de servir une armée qui perpètre des massacres, puis de lui proposer des « offres » allant de machines de démolition à des paniers alimentaires destinés à redorer son image, alors permettre à de telles marques de nous représenter est profondément troublant.

Distribuer çà et là quelques dons aux pauvres au nom de la responsabilité sociale, après avoir amassé des fortunes issues d’un génocide, constitue une forme de « blanchiment humanitaire » sur laquelle certaines entreprises s’appuient lourdement aujourd’hui. En tant que consommateurs responsables, nous devons nous garder de leur accorder un blanc-seing. Derrière les habits philanthropiques se cache le même pacte faustien : du plaisir, des produits et de l’abondance en échange d’un « détournement du regard », en adoptant une apolitique de convenance.

Même en mettant de côté ces considérations morales, les arguments en faveur du « business as usual », fondés sur le pragmatisme du « c’est l’économie, idiot », sont fondamentalement viciés.



- L’économie au-delà des slogans

Oui, s’opposer à Israël – et aux entreprises complices – peut coûter des emplois et des investissements au pays qui pratique le boycott, mais cela ne prend en compte que les coûts statiques et immédiats, en ignorant le potentiel de gains dynamiques à long terme. Si un boycott provoque un chômage temporaire, un économiste vous expliquera que les flux de capitaux se redéploient : le désinvestissement d’une entreprise signifie que les investisseurs se tournent vers une autre, et donc qu’il y a création d’emplois de substitution.

De plus, lorsqu’une entreprise locale prend de l’ampleur aux dépens d’un concurrent étranger, cela garantit que les profits et les emplois restent dans le pays, au lieu d’être rapatriés dans les États d’origine. De nombreuses économies ayant connu une croissance sans précédent dans l’histoire ont appliqué cette recette : remplacer des biens auparavant importés par une production locale, ce qui a dynamisé l’industrie nationale. Si les politiques de substitution aux importations ont eu leurs limites, la formule s’est révélée transformatrice dans des cas comme le Japon, la Chine et la Corée du Sud, où la production locale, initiée pour remplacer les importations, a fini par prospérer avec le temps, propulsant ces pays au rang de leaders des exportations mondiales.

Dans son ouvrage Bad Samaritans: The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism, (Le mythe du libre-échange et l’histoire secrète du capitalisme) Ha-Joon Chang rappelle que l’élan en faveur de la consommation de produits locaux s’est manifesté jusque dans les détails les plus anodins, comme les cigarettes. En Corée du Sud, l’importance accordée à la consommation locale était telle qu’un stigmate frappait ceux qui fumaient des marques étrangères.

L’État encourageait même la population à dénoncer ces actes jugés « traîtres », qui gaspillaient des devises étrangères – une ressource rare représentant le « sang et la sueur » des « soldats de l’industrie » (p. xiv). Sous cet angle, le boycott se transforme en opportunité. La réticence à acheter des produits israéliens ou provenant d’entreprises alignées sur l’occupation a déjà joué un rôle dans l’émergence d’un marché pour les produits locaux dans des pays comme la Türkiye, le Pakistan et l’Arabie saoudite.



- Le pouvoir transformateur du choix des consommateurs

Certains soutiennent encore qu’un boycott généralisé n’est tout simplement pas praticable, et donc inutile. Mais quel est l’intérêt d’une approche « tout ou rien » ? Soyons clairs : boycotter n’a pas besoin d’être extrême pas tout, partout, pour toujours. On peut commencer par quelques produits facilement remplaçables, dès qu’ils le sont, et pour le temps nécessaire. De petits changements progressifs dans nos habitudes de consommation peuvent sembler insignifiants, mais ils influencent les décisions d’achat des détaillants, les choix de stockage des grossistes et, en fin de compte, les décisions de production d’une entreprise. L’effet des décisions des consommateurs est tel que l’impact se renforce à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement, un phénomène connu sous le nom « d’effet coup de fouet ».

Un léger mouvement du fouet d’un seul consommateur peut sembler dérisoire, mais collectivement, il peut ébranler la mécanique d’un capitalisme complice. Il est temps de se désengager du génocide, un produit après l’autre.



* Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale d’Anadolu.



*Traduit de l'anglais par Sanaa Amir

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