Normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie : Opportunités et défis (Analyse)
- La rencontre entre les émissaires turc et arménien, le 14 janvier courant, dans la capitale russe Moscou, a été le premier pas pris sur la voie de la normalisation des relations

Istanbul
AA / Istanbul/ Par Pr Yildiz Deveci Bozkus*
Après la libération par l’Azerbaïdjan de ses territoires, qui étaient occupés auparavant par l'Arménie, une nouvelle phase a été enclenchée dans les relations entre Bakou et Erevan, de même qu'une étape nouvelle a commencé dans les relations entre la Turquie et l'Arménie.
La rencontre entre les émissaires turc et arménien, le 14 janvier courant, dans la capitale russe Moscou, a été le premier pas pris sur la voie de la normalisation des relations au cours de cette étape, appuyée également par l'Azerbaïdjan.
La rencontre a bénéficié d'un grand suivi de la part de l'opinion publique des deux pays et les déclarations faites à l'issue des entretiens ont suscité un intérêt certain.
Imposer comme préalable par Erevan la reconnaissance par la Turquie des allégations de l'Arménie au sujet des Evènements de 1915, a été l'un des facteurs ayant entravé jusqu'à aujourd’hui la tenue de rencontres de normalisation des relations.
Toutefois, les dernières déclarations faites par des responsables arméniens qui envisagent de poursuivre les mesures de normalisation des relations sans conditions préalables ont été un indice attestant que la rencontre s'est déroulée dans une atmosphère positive.
Ainsi, il est possible d'avancer que les deux parties sont, cette fois-ci, plus que jamais proches de la paix.
- Opportunités et entraves
Parmi les principaux points qui constituent une entrave à la normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie, au cours de la nouvelle étape, figurent les manifestations et événements organisés par la Diaspora arménienne, à qui cette normalisation entre Ankara et Erevan déplaît.
En examinant les déclarations des pays occidentaux, nous constatons qu'ils appuient en apparence la normalisation des relations, mais il est également connu que cette voix leur déplaît, dans la mesure où ils seront en dehors de l'équation en cette phase, en particulier la France.
Généralement, l'Union européenne (UE) et les organisations internationales font part de leur prédisposition à soutenir la normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie.
La rencontre entre le Président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, et le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, à Bruxelles avec le président du Conseil européen, Charles Michel, et l'annonce par l'UE de sa prédisposition à appuyer la phase de normalisation en injectant des investissements dans les projets des lignes ferroviaires reliant les deux pays, font partie des principaux développements survenus dans cette question au-delà de la dimension bilatérale.
Il ressort de cette déclaration que l'Occident s'intéresse à la région et l'éventualité de la transformation de cet intérêt, avec le temps, en une nouvelle entrave sur la voie de la normalisation des relations, est plausible.
Un autre point pourrait constituer un écueil à cette normalisation, celui de l’existence de certains groupes radicaux qui critiquent l’Administration Pachinian et qui organisent des manifestations de protestation contre la normalisation des relations avec la Turquie.
Il est, d’ailleurs, prévu que ces manifestations se multiplieront au cours des jours à venir, ce qui serait de nature à entraver la phase de normalisation.
- L'importance de tenir des rencontres sans médiateur
S'agissant des principales opportunités qu’offrent les discussions entre la Turquie et l'Arménie, mentionnons la tenue de rencontres directes et sans médiateur entre les deux parties, ayant mis fin à l'un des principaux problèmes en suspens entre les deux pays après la victoire de l'Azerbaïdjan dans la Guerre du Haut-Karabagh.
De même, citons l'accord conclu concernant l'ouverture du Corridor de Zenzegur qui permettra de changer les équilibres géopolitiques régionaux et internationaux et deviendra ainsi l'une des principales opportunités au cours de la phase de la normalisation des relations.
De même, l'ouverture des frontières entre les deux pays constitue une opportunité de choix qui permettra de relancer et de développer les relations commerciales et économiques.
- Les principaux dossiers
Les allégations d'un génocide arménien constituent l'un des principaux dossiers en suspens dans les relations entre les deux pays. Néanmoins, ce dossier ne figure pas actuellement à l’ordre du jour des discussions. Ainsi, nous pouvons dire que les deux parties ont entamé la première phase en discutant des dossiers et questions pouvant être facilement résolus.
Il est prévu que les premiers pas qui seront pris par les deux pays seront axées sur des questions d’ordre commercial, économique et culturel.
La poursuite de la phase de normalisation des relations sera, grandement, tributaire de la Feuille de route qui sera adoptée par la Turquie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
La déclaration de la Turquie qu’elle se mobilisera au cours de cette phase, en coordination avec l'Azerbaïdjan, montre que les relations entre Erevan et Bakou jouent un rôle de premier plan dans les relations entre Erevan et Ankara.
Il est tout à fait clair que la position de la Turquie est plus forte cette fois-ci dans la mesure où c'est la partie qui a décidé d'une série de mesures au cours des années écoulées sur la voie de la normalisation des relations.
- Les trois parties
En plus des responsables officiels, un rôle doit être dévolu aux institutions et établissements privés et informels s’agissant de la normalisation des relations.
Il s'agit en particulier des médias des deux pays qui se doivent de revoir le discours véhiculé et la méthode suivie.
De même, associer les organisations de la Société civile et les Universités à cette phase aura un impact positif sur la normalisation des relations.
Par ailleurs, les hommes d'affaires des deux pays pourront contribuer à cette phase en lançant des projets et des initiatives de coopération régionale, après l'ouverture des frontières.
Il sera possible, également, de mettre en œuvre des programmes et des projets d'échanges entre académiciens, chercheurs et journalistes, aux fins de renforcer les contacts et les liens entre les deux pays.
En résumé, plus les contacts et les échanges officiels et informels entre les deux pays se multiplieront et plus rapidement les relations bilatérales ont des chances de s’améliorer.
Chacun des deux pays se doit d’accorder une importance particulière aux relations et aux entretiens pour garantir la poursuite de la phase de normalisation des relations, dans une atmosphère saine, et épargner, ainsi, tout facteur favorisant son échec, comme cela fut le cas par le passé.
*Pr Yildiz Deveci Bozkus, enseignante à l'Université d'Ankara
**Traduit de l'arabe par Hatem Kattou