
Tunisia
AA / Tunis / Yemna Selmi
Deux experts politiques tunisiens ont mis en garde contre les pratiques du Parti Destourien Libre (PDL), présidé par Abir Moussi, qui pourraient entraîner le pays au carré de la violence, du chaos et de la guerre civile.
Ces mises en garde interviennent sur fond de la prise d'assaut, mardi, par Abir Moussi, et par des membres du PDL (Libéral, 16/217 députés) en plus d'un groupe de leurs sympathisants, du siège de l'Association de l'Union internationale des Savants musulmans (UISM) – Section Tunisie.
Dans des entretiens séparés avec l’Agence Anadolu, les deux experts ont appelé l'Etat à appliquer la loi, à fournir la protection à toute association qui évolue dans le pays tant qu'elle respecte les législations nationales, et à mettre un terme aux pratiques du parti de Moussi.
A maintes reprises, Abir Moussi avait mis en garde contre l'infiltration de l'Etat tunisien par des organisations et des centres avec un « référentiel religieux extrémiste », selon elle.
De son côté, un membre à l'UISM a qualifié Moussi de « fasciste et de faire peu de cas de la justice », mettant l'accent sur le respect des lois par l'Union, tout en envisageant de déposer des plaintes judiciaires après l'effraction forcée du siège de l'association ainsi que la séquestration de plusieurs personnes à l’intérieur.
- Fascisme et irrespect de la justice
Le membre du Conseil de l'association des Savants musulmans - section Tunisie, Abdelmajid Najjar, a déclaré à l’Agence Anadolu : « Nous sommes une association légale, créée selon les exigences de la législation tunisienne, et cette fasciste (Abir Moussi) a déposé, à deux reprises, des plaintes auprès des tribunaux. La première depuis un an et demi et la deuxième il y a de cela quelques mois et les tribunaux nous ont rendu justice ».
Il a ajouté que Abir Moussi a « fait montre d’irrespect envers la justice en s’appropriant sa place et en faisant peu de cas des jugements rendus en s'installant devant le siège d'une association légale et en plantant une tente pour observer un sit-in ».
« Depuis des mois, nous avons fait preuve de retenue et de calme jusqu’à ce que la question soit tranchée par la loi et par les tribunaux », a-t-il soutenu.
Najjar a, cependant, poursuivi : « Mais hier (mardi dernier), elle est venue avec son armada fasciste pour observer un grand sit-in avant de prendre d'assaut le siège de l'association et séquestrer un groupe d'hommes et de femmes qui étaient à l'intérieur, jusqu’à 23h, avant l’arrivée des forces de sécurité pour les disperser ».
Najjar a relevé que « les membres du PDL sont revenus mercredi pour observer un sit-in devant le siège de l'association et empêcher les dirigeants de l'Union d'accéder au siège ».
« Cette fasciste, a-t-il dit, ne respecte pas la loi et s’emploie à justifier tout ce qu'elle veut par le biais de la force et non pas par celui du droit ».
Najjar a ajouté que « l'Union respecte scrupuleusement les législations et ne veut pas recourir à la violence et notre voie consiste à respecter la loi ».
« De nouvelles plaintes judiciaires seront déposées contre Moussi et les membres de son parti pour effraction du siège et séquestration d'un groupe de femmes et d'hommes à l'intérieur, de même que nous allons observer un sit-in là même où elle l’observe ».
Il n'a pas été possible de recueillir un commentaire dans l'immédiat de la part du PDL.
- Affaiblissement de l'Etat
Pour sa part, Sami Brahem, chercheur en Civilisation, a considéré que « ce à quoi a procédé le parti de Moussi est un affaiblissement de l'Etat, lequel Etat se doit de prendre une position conforme à la loi au sujet de ce qui se passe ».
« Si l'association a commis des contraventions d'ordre légal, il faut réagir et la fermer en vertu de la loi. A défaut, et en l'absence d'infractions, l'Etat est obligé de protéger son droit à l'activité », a-t-il argumenté.
Dans une déclaration faite à l’Agence Anadolu, Brahem a estimé que « le parti de Abir Moussi, qu’il considère comme étant un parti fasciste, veut être à la fois juge et pouvoir réglementaire en procédant simultanément à l'accusation, au jugement et à l'exécution ».
A maintes reprises, Abir Moussi avait annoncé qu'elle était hostile à la Révolution de 2011 qui avait renversé le Régime du président de l'époque, Zine el Abidine Ben Ali (1987-2011).
Brahem a ajouté que « la prise d'assaut par Moussi, hier, du siège de l'association est une violation des lois régissant l'Etat au vu et au su de tout le monde ».
Il a affirmé que « ce parti politique a violé les règles de l'Etat, en s'arrogent l'attribution d'accuser une association de terrorisme, de la juger et de mettre en œuvre le verdict et qu’en contrepartie, les institutions de ce même Etat constatent ce qui se passe de manière ordinaire et avec nonchalance ».
L'académicien a relevé que « ce qui se déroule générera une mauvaise impression au monde sur ce qui se passe en Tunisie, « en particulier auprès des donateurs et des Etats avec qui nous sommes liés par des conventions, qui considéreront l'Etat tunisien comme étant impuissant et incapable d'imposer ses lois ».
« Si l'Etat fait preuve de neutralité négative face à ce qui se passe, cela aboutira au chaos », a-t-il averti.
Brahem a ajouté que « Moussi a recouru à la justice pour dissoudre l'association de l'UISM, en réclamant la mise sur pied d'une commission de surveillance. Ses requêtes ont été exécutées et elle a pris connaissance des dossiers et des documents de l'association et tout ce qui a trait à son financement. La justice a décidé qu’aucun fait litigieux ou douteux inhérent à l'association n’a été constaté ».
« Personnellement, a-t-il ajouté, j'ai pris connaissance des publications de l'association qui s'inscrivent dans une approche de modération et de juste-milieu ».
Il a, également, qualifié les accusations portées à l'endroit de l’association par le PDL « d’assertions mensongères et de tromperies ».
Sami Brahem a conclu que « Moussi parie sur l'enlisement de la scène tunisienne vers la violence et la tension, comme prélude à la guerre civile ».
- C'est à la justice de trancher
De son côté, Mokhtar Ben Nasr, un expert militaire et ancien président de la Commission tunisienne de lutte contre le terrorisme, a souligné que « l'Etat est appelé à protéger toute institution où structure administrative qui évolue en Tunisie et toute protestation, refus ou agression contre ces institutions sont rejetés ».
Il a indiqué que « la protestation doit être pacifique et protégée par les forces de l'ordre afin d'éviter que les gens ne s’agressent mutuellement ».
Ben Nasr a poursuivi : « Toute demande pour contrôler des associations doit se faire dans le cadre de la loi. En Tunisie, nous avons une profonde conviction en la suprématie de la loi et le peuple se doit de respecter cette loi. Tout ce qui se passe en termes de tiraillements et de tensions est de nature à affecter davantage et à aggraver la situation actuelle ».
« En revanche, les Tunisiens ont besoin aujourd'hui de resserrer leurs rangs et d’union nationale ainsi que d’une compréhension juste des causes profondes qui entravent la progression du processus démocratique de manière effective », a-t-il estimé.
« Il est supposé que la loi soit celle qui tranche entre tous et personne n’a le droit de s’arroger le droit et les attributions ou encore le statut de la Justice. Celui ou celle qui veut dissoudre une association ou prendre des mesures contre elle, n'a qu’à recourir aux tribunaux qui prendront en charge la question sur la base des législations nationales », a-t-il soutenu.
« Si la justice n'a pas encore statué, a-t-il ajouté, cela n'accorde pas le droit à certains de fermer ou de bloquer une institution quelconque, d'autant plus que cette dernière dispose du visa légal et des autorisations requises ».
« Nous devons éviter de procéder à de telles pratiques, d’autant plus que le pays est dans une situation tendue et subit une crise économique et politique », a-t-il ajouté.
Ben Nasr a mis en garde contre le fait « d'entraîner la Rue tunisienne vers un conflit, qui pourrait être alors la résultante naturelle de ces tiraillements et de ces tensions ».
« Si chaque partie donne le feu vert et ordonne à ses sympathisants de violer l'intégrité d'une institution quelconque, cela nous entraînera vers la discorde et des affrontements mutuels », a-t-il mis en garde.
« Les guerres commencent par ces formes simples avant de se développer en un conflit ouvert, a-t-il dit, mettant l'accent sur le fait que l'unique solution consiste à appliquer la loi et à respecter les législations de la part de tous ».
Mardi, l'Union internationale des Savants musulmans avait dénoncé la prise d'assaut de son siège par Moussi et ses sympathisants, considérant cela comme étant un « scandale à mettre à l’actif de l'Etat tunisien ».
Au mois de novembre dernier, l'UISM - section Tunisie - avait déposé une plainte judiciaire contre Moussi, l’accusant d'agression contre son siège et le tribunal n'a pas encore rendu son verdict en la matière.
Durant le même mois, des membres du PDL ont entamé l'observation du « sit-in de la Colère », devant le siège de l'association pour réclamer sa fermeture.
La justice tunisienne avait rejeté, toujours durant le mois de novembre, une plainte déposée par le PDL en vue de suspendre l'activité de l'Union en Tunisie.
L'UISM est une référence fondamentale en termes de théorisation et de rationalisation du projet civilisationnel de la Oumma islamique, dans le cadre de sa coexistence pacifique avec le reste de l'Humanité, selon une présentation mise en ligne sur le site électronique de l'Union.
L'UISM est une institution populaire fondée dans la ville de Dublin en Irlande, en 2004, et compte dans ses rangs des membres issus du monde islamique et des différents groupes et minorités islamiques.
L’Union est gérée par une Assemblée générale, un Conseil exécutif, un Secrétariat général, une présidence et une instance de Secrétaires généraux.
Indépendante des Etats, l'Union a sa personnalité morale et dispose de l’autonomie financière. Son siège principal a été transféré, en 2011, à la capitale qatarie Doha sur la base d'une décision de son Conseil exécutif.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou