Melilla, point d’entrée vers une Europe forteresse pour laquelle les migrants prennent tous les risques (Reportage)
- Malgré les fils barbelés et une clôture haute de plusieurs mètres qui entoure entièrement la ville, des centaines de migrants issus principalement d’Afrique subsaharienne réussissent chaque année à accéder au territoire espagnol.

France
AA/Nador et Melilla/Feïza Ben Mohamed
L’enclave espagnole de Melilla, l’une des principales portes d’entrée de l’Afrique vers l’Europe, fait face, chaque année, à un afflux important de candidats à l’immigration.
Malgré les fils barbelés et une clôture haute de plusieurs mètres qui entoure entièrement la ville, des centaines de migrants issus principalement d’Afrique subsaharienne réussissent chaque année à accéder au territoire espagnol.
Mais ces tentatives de passage, se soldent parfois par de véritables drames humains, comme en juin dernier, où plusieurs dizaines d’entre eux, ont trouvé la mort en tentant un passage en force.
L’Agence Anadolu s’est rendue sur place pour décrire en détail, les dispositifs mis en place à la frontière entre Nador et Melilla, mais aussi pour recueillir les témoignages de ceux qui rêvent de cette Europe, devenue une véritable forteresse aux barrières infranchissables.
- Le poste de frontière : porte de tous les dangers pour l’immigration illégale
À l’arrivée à la frontière entre Nador et Melilla, il faut évidemment s’armer de patience, à fortiori en période estivale, pour pouvoir entrer sur le sol espagnol.
Le long de hautes grilles bleues, la police marocaine procède aux premiers contrôles de passeports et autres formalités administratives avant que la Guardia Civil, ne prenne le relais quelques mètres plus loin pour vérifier à nouveau les passeports des arrivants.
Les policiers marocains comme espagnols opèrent les contrôles dans une ambiance conviviale et légère, mais ce lieu, que beaucoup franchissent pour profiter d’une journée à la plage, ou pour faire quelques courses en période de vacances, demeure l’une des deux seules frontières terrestres de l’Afrique avec l’Union européenne (l’entrée est également possible via Ceuta).
L’immense clôture ornée de fils barbelés qui entoure la ville, témoigne de la fermeté et de la détermination des autorités espagnoles comme marocaines à empêcher l’immigration illégale.
Rencontré du côté de Farkhana (province de Nador), Youssouf, 22 ans, espère encore que sa chance viendra.
Ce Guinéen, arrivé au Maroc en 2021, survit dans la rue, aux côtés d’autres candidats à l’immigration sans avoir pu, pour l’instant, atteindre Melilla.
« J’attends mon tour », explique le jeune homme, qui n’exclut pas l’éventualité « de rester bloqué au Maroc ».
Il le sait « la frontière est très dure à passer » et « les risques sont grands pour ceux qui tentent » mais se dit « déterminé ».
Plusieurs autres ressortissants africains qu’il a rencontrés sur son périple « ont réussi à entrer sur la terre espagnole » avec comme but ultime, d’être accueillis « au centre de rétention pour migrants puis transférés à Madrid ».
Mais le poste frontière reste le théâtre de drames récurrents, et nombres de ces migrants perdent la vie chaque année, en chutant de la clôture ou écrasés dans leur fuite.
- Le drame de juin dans tous les esprits
Le 24 juin dernier, plusieurs milliers de migrants se sont dirigés vers Melilla, en tentant de franchir, coûte que coûte, la clôture, équipés d’armes blanches.
Plusieurs vidéos, que l’Agence Anadolu a pu consulter, montrent un cortège déterminé et composé de centaines de personnes, se diriger vers la frontière à pieds, dans les rues de Beni Ansar (province de Nador à proximité immédiate de Melilla).
« Ils se sont rués sur les clôtures et la plupart de ceux qui ont perdu la vie, ont été tués en chutant et écrasés par les grilles », déclare une source policière sous couvert d’anonymat.
Cette même source assure que « les policiers marocains n’ont à aucun moment fait usage d’armes à feu qui aurait pu provoquer la mort de quiconque » mais reconnaît cependant « un usage de gaz lacrymogène destiné uniquement à empêcher l’assaut de progresser ».
Mais du côté de l’AMDH (association marocaine des droits humains), le constat est alarmant.
Si le bilan officiel fait état de 37 morts, l’association assure que 64 migrants, essentiellement soudanais ou tchadiens, sont portés disparus depuis le 24 juin, après avoir participé à la tentative de passage.
Elle dénonce, via de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, le manque d’efforts « des autorités pour retrouver les disparus ».
Si les versions divergent, tous s’accordent pour déplorer les multiples décès, occasionnés par ces tentatives désespérées d’accéder au territoire européen.
La Cour d’Appel de Nador a, néanmoins, condamné, le 17 août dernier, à deux ans et demi de prison, et 10 000 dirhams (Environ 1000 euros) d’amende, 13 migrants interpellés en juin dernier en essayant de braver la clôture.
- Une fois à Melilla, l’étape du CETI
Tous le savent, une fois sur le territoire espagnol, ces migrants sont naturellement protégés par le droit européen et ne peuvent être renvoyés vers des pays en guerre.
Pour ceux qui accèdent à Melilla, c’est au CETI (Centre d’hébergement temporaire de migrants) que se joue la suite de leur parcours.
Situé à l’opposé du poste frontière, à quelques mètres de la clôture qui sépare l’enclave espagnole de Farkhana (province de Nador, en milieu montagneux), le CETI héberge actuellement près de 130 candidats à l’immigration.
Sur place, l’Agence Anadolu a pu rencontrer trois ressortissants subsahariens qui n’ont pas souhaité donner plus de détails sur leur identité par peur des représailles.
Ils assurent être « correctement traités au CETI » et se disent « heureux d’avoir réussi cette étape ».
Dans un anglais approximatif, l’un d’eux qualifie même sa situation de « paradis comparé à tout ce qui a été traversé ».
Dans un entretien à l’Agence Anadolu, Ikram, employée d’une structure qui travaille avec le CETI, accompagne ces migrants.
Elle insiste sur le fait que « le CETI n’est pas un centre de rétention » et les personnes qui y sont hébergées « sont libres d’entrer, de sortir » comme bon leur semble.
La jeune femme explique qu’ils « seront autorisés à voyager hors de Melilla un mois après leur entretien d’asile ».
Cette formalité doit ensuite leur permettre d’être inscrits sur « la liste des transferts » vers d’autres villes d’Espagne avant d’éventuellement se diriger vers d’autres pays européens.
À noter que les chiffres officiels du premier trimestre 2022 indiquent que 14 746 tentatives d’entrée illégales sur le territoire espagnol ont été avortées.
En 2021, les autorités marocaines ont empêchés 49 opérations coordonnées, qualifiées d’assauts, dont 47 en direction de Melilla.
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